Sœur Marie Lataste
Lettre 33
Marie Lataste interroge Notre-Seigneur au nom de M. Dupérier. Réponse du Sauveur à cet ecclésiastique.
Monsieur,
N’ayant l’honneur de vous connaître que par les louanges que j’ai entendues de votre vertu et de votre mérite, je vous prie d’agréer l’hommage de mon plus profond respect et de ma considération.
Mon vénérable pasteur m’a fait connaître le désir que vous aviez, Monsieur, que j’adressasse pour vous une prière au Sauveur Jésus, et que j’écrivisse pour vous la livrer la réponse du divin Maître. J’ai fait ce que m’a demandé pour vous mon père spirituel ; je vais rapporter simplement ce qui s’est fait.
Le lendemain du jour où votre désir me fut exprimé, je me réveillai, contre mon ordinaire, à la pointe du jour. Je me trouvais bien délassée de la fatigue de la veille, je me levai pensant que j’allais avoir un moment bien propice pour faire ma méditation. Je me transportai comme de coutume près du saint sacrement, et après avoir religieusement contemplé les douleurs de sa passion, je lui parlai ainsi : Mon Sauveur vous savez la commission que mon directeur m’a donnée pour vous. Je ne sais quelle prière il faut que je vous adresse ; mais vous, qui connaissez la position et les besoins de toute âme, dites-moi ce qui convient le plus à ce prêtre pour lequel je recours à vous. Pardonnez ma hardiesse à vous faire cette demande ; je me garderais de le faire par moi-même, mais vous m’avez recommandé d’être toujours obéissante en tout et pour tout ; Seigneur, c’est pour obéir que je vous parle ainsi. Je ne vous demande point cela par moi-même et pour moi-même, mais par vos mérites et pour votre plus grande gloire, et je vous le demanderai jusqu’à ce que vous m’ayez exaucée.
Le Sauveur Jésus m’écouta avec bonté. J’étais à ses genoux ; il me parla ainsi : « Ma fille, vous direz à celui qui vous a demandé de m’adresser une prière en sa faveur : Voici ce que dit le Dieu tout-puissant, qui règle tout par sa providence. »
En ce moment une pensée vint me troubler ; c’était celle-ci : Qui es-tu, me disais-je à moi-même, pour recueillir les paroles de ton Dieu et les livrer ensuite à son ministre ? Les rappelleras-tu en entier et n’y mêleras-tu d’aucune manière ta parole ? Le Sauveur Jésus s’en aperçut ; il me tranquillisa en disant : « Ne craignez rien, ma fille, écoutez-moi et soyez en paix. » Puis il ajouta : « Vous direz à ce prêtre : Voici ce que dit le Seigneur tout puissant, qui règle tout par sa providence : Ayez confiance, bon serviteur ! jetez les yeux sur moi, qui suis votre modèle, et voyez ce que je ferais si j’étais à votre place. Obéissez d’une manière parfaite à la voix de votre évêque comme à ma voix. » – « Ma fille, ajouta le Sauveur, l’obéissance de ce prêtre sera récompensée. Qu’il n’agisse point comme ont agi d’autres qu’il connaît ; il leur eût mieux valu d’obéir sans résistance, ils se fussent épargnés bien des peines. Bien des pensées roulent dans sa tête, qu’il ne se trouble pas et qu’il écoute ma voix au fond de son cœur. Qu’il consulte pour la chose qui le préoccupe et que je n’ai pas besoin de vous faire connaître, qu’il consulte un ancien dans le sacerdoce qui ait de l’expérience et un jugement droit, qu’il se dépouille de tout jugement propre, qu’il se soumette à la décision qu’il recevra, et en agissant ainsi, il marchera sur les traces de son Sauveur, soumis à Marie et à Joseph, et même aux puissances temporelles et aux soldats, qui le crucifièrent. Celui qui obéit peut se consoler en disant : Je fais la volonté de mes supérieurs, et par conséquent celle de Dieu. Que ce prêtre soit ainsi soumis à la volonté de son évêque, et je lui ferai cueillir la rose sur l’épine. Qu’il soit, dans la charge qu’il occupe au séminaire, plein de vigilance, de fermeté et de douceur. Que sa vigilance prévienne les abus, que sa fermeté les fasse disparaître, que sa douceur lui gagne l’amitié de tous ses disciples. Qu’il ait une grande dévotion à ma Mère et qu’il l’inspire à tous ceux qui approcheront de lui. Si, dans le cours de sa vie, il se trouve en butte à la contradiction des hommes quels qu’ils soient, qu’ils se rappelle la recommandation que je lui transmets aujourd’hui par ma petite servante Marie d’imiter celui dont il a l’honneur d’être le ministre, sachant bien qu’il ne souffrira jamais autant que lui. Qu’il se console, qu’il prenne courage et confiance ! Il est du nombre de mes bien-aimés. Je loue son humilité à solliciter de vous une prière et par vous la grâce de recevoir ma parole. Qu’il soit fidèle à l’accomplir, comme il a été humble à la demander, mes regards se reposeront sur lui avec complaisance et mes bénédictions se répandront sur son âme avec abondance. »
J’ai tout rapporté et écrit aussi fidèlement que je l’ai su. Je vous supplie en finissant, Monsieur, d’avoir la charité de prier pour moi, afin que Dieu m’accorde les grâces dont j’ai besoin pour accomplir toujours sa volonté et triompher de mes ennemis, surtout du plus opiniâtre, qui est l’orgueil, je ne le cache pas.
Daignez recevoir, Monsieur, je vous prie, l’assurance de ma considération la plus distinguée, avec laquelle j’ai l’honneur d’être,
Monsieur,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 2 mai 1843.
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Lettre 34
Dieu éclaire les âmes de diverses manières.
Monsieur le Curé,
Le 10 de ce mois, après la sainte communion, je me prosternai aux pieds du Sauveur Jésus et lui parlai ainsi : Seigneur Jésus, serait-il permis à votre servante de vous demander pourquoi vous ne répondez pas aux demandes que je vous adresse pour M. Dupérier ?
Le divin Maître me répondit : « Ma fille ; dites à ce prêtre de ne point s’affliger, je l’aime. »
Cette réponse ne me satisfaisait pas. C’est pourquoi je fis toutes mes instances pour en obtenir une plus favorable et recevoir l’assurance qu’il répondrait aux demandes de M. Dupérier directement, en parlant à lui-même, et non par mon entremise.
Le Sauveur Jésus m’écouta avec bonté : « Ma fille, me dit-il ensuite, puisque vous insistez à ce point, je vous ordonne de rapporter à celui pour lequel vous me priez les paroles qu’il me plaît en ce moment de lui adresser par votre intermédiaire. Voici ces paroles : « Mon fils, ne soyez pas étonné si je n’ai point satisfait à vos désirs. Ce n’est pas que je ne veuille vous instruire pour votre bien et celui d’autrui ; vous seriez le premier qui, désirant sincèrement de s’instruire par la connaissance de la vérité, n’aurait pas reçu les lumières nécessaires ; mais j’avais mes desseins en ne vous instruisant pas comme vous le désiriez. Je n’instruis pas tout le monde de la même manière. Si je ne vous ai jamais parlé d’une manière sensible comme à Marie, c’est qu’il y a une grande différence entre vous et elle. Je demande plus à celui qui a plus reçu. J’ai éclairé votre esprit, je l’ai orné de science, je l’ai rendu capable de réflexions profondes et sérieuses. J’avais placé Marie dans une condition où il lui était impossible de s’instruire, où son esprit devait se trouver incapable de réfléchir beaucoup ; les hommes ne pouvaient l’élever et l’instruire suffisamment pour les desseins que j’avais formés sur elle, voilà pourquoi je me suis fait moi-même son maître.
« Pour vous, mon fils, n’attendez pas tout de Dieu, faites valoir ce qu’il vous a donné, faites agir votre esprit en la présence de Dieu, et Dieu agira en vous en suggérant à votre esprit les pensées et les réflexions qui vous sont nécessaires dans la situation où vous vous trouvez. En vérité, je vous le dis, posez-moi toutes les questions qu’il vous plaira, je répondrai à toutes, mais de la manière qui me conviendra. Quand vous aurez reçu ma réponse, c’est-à-dire quand la lumière se sera faite en votre esprit, interrogez votre directeur et agissez selon qu’il vous le dira.
« Cherchez toujours, mon fils, l’instruction qui vous est nécessaire, vous la trouverez pour la confirmation de ces paroles du saint Évangile : Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira. Mon fils, augmentez de plus en plus en vous le trésor de ma grâce, avancez dans la pratique du bien. »
Vous penserez de cet entretien ce qu’il vous plaira. J’abandonne tout à la miséricorde de Dieu, je mets en lui ma confiance, et par le secours de sa grâce, je sens mon courage et ma force s’augmenter.
Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de ma considération la plus distinguée, avec laquelle
J’ai l’honneur d’être,
Monsieur le Curé
Votre très respectueuse servante,
Marie Lataste.
Mimbaste, 13 mai 1843.
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Lettre 35
Marie remercie son directeur de ses bontés pour elle
et promet de s’adonner à la pratique de la plus grande humilité.
Monsieur le Curé,
Je me vois dans l’impossibilité de pouvoir jamais reconnaître toutes les bontés que vous avez pour moi. Votre manière d’agir à mon égard, si bonne, si prévenante, si charitable, augmente toujours les sentiments de reconnaissance qui se sont formés dans mon cœur depuis que j’ai eu le bonheur de vous avoir pour directeur.
Ne pensez point que je vous dise ceci par forme ou par politesse ; non, Monsieur, je vous le dis bien sincèrement et selon la vérité. Certes, je suis bien loin d’avoir à me plaindre de celui qui le premier a pris soin de la direction de mon âme, car je fus tout affligée de son départ ; mais j’ai éprouvé néanmoins la vérité de cette parole, que Jésus me disait alors pour me consoler : « Ne vous affligez point, ma fille, vous bénirez la divine Providence de ce changement, et vous verrez que tout sera pour votre bien. »
C’était une nécessité, pour moi, Monsieur le Curé, de vous dire et de vous exprimer ces sentiments de mon âme par écrit, n’ayant pas trouvé l’occasion de vous les exprimer verbalement.
Non, Monsieur, je ne suis pas le moins du monde étonnée que vous me recommandiez l’humilité si souvent et avec tant de persistance. Je m’unirai à vous pour la demander au Seigneur et je ferai de nouveaux efforts pour l’acquérir. Mais hélas ! je suis si faible et si lâche. Je suis ce que je ne voudrais pas être, et je n’ai pas la force d’être comme je devrais et comme je le voudrais. Je suis tantôt toute de feu et tantôt toute de glace. Aujourd’hui je sentirai en moi la force du lion, et demain je serai la faiblesse même.
Que nous sommes malheureux sur la terre d’être sujets à toutes ces misères, à toutes ces vicissitudes, à tous ces changements ! Cependant, nous ne devons pas perdre courage. Notre Dieu est si bon et si miséricordieux. Combien nous serons heureux quand nous serons avec lui dans le ciel. Là, le bien sera sans aucun mélange de mal ; on aimera Dieu nécessairement parce qu’on le verra et qu’il est impossible de voir Dieu sans l’aimer. Là le bonheur sera sans aucun mélange de tristesse ou d’affliction ; on y est souverainement heureux, parce qu’on y possède Dieu, et que cette possession ne laisse rien à désirer. Vraiment, tout ce que nous pouvons souffrir sur la terre est peu de chose pour nous faire obtenir ce bonheur, et cependant c’en est assez. Quelle consolation pour nous si notre cœur est quelquefois si fortement affligé sur la terre ; au ciel du moins nous serons bien dédommagés de toutes nos peines. Eh ! mon Dieu ! ne le sommes-nous même pas quelquefois sur la terre ?
Souffrez, Monsieur, je vous prie, cet épanchement de mon cœur dans le sein de votre charité, et daignez recevoir mes très humbles remerciements pour tout ce que vous faites pour moi. Ma reconnaissance sera éternelle ; je ne l’oublierai jamais, vous pouvez y compter.
Je ne puis vous la témoigner que par ma soumission et ma docilité à recevoir vos salutaires avis, et à les mettre en pratique. Je tâcherai de le faire avec la grâce de Dieu et le secours de vos puissantes prières.
Daignez agréer, je vous prie, Monsieur le Curé, les sentiments de ma profonde vénération, de ma vive reconnaissance et de ma parfaite soumission, avec lesquels
J’ai l’honneur d’être,
Monsieur le Curé,
Votre respectueuse et très obéissante servante,
Marie.
Mimbaste, 7 mai 1843.
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