ASDE 053 St José-Maria

 

Prêtre pour l’éternité

 (1ère partie)

De saint Josemaria Escriva

Extraits du livre

Aimer l’Eglise

 

Il y a quelques jours, pendant que je célébrais la Sainte Messe, je me suis arrêté un bref instant à considérer ces mots du psaume choisi par la liturgie pour l’antienne de la Communion : Le Seigneur est mon berger, rien ne pourra me manquer (Ps 22, 1 ; Antienne de la Communion de la Messe du samedi de la quatrième semaine de Carême). Cette invocation m’a rappelé les versets d’un autre psaume, récité autrefois pendant la cérémonie de la première tonsure : Le Seigneur est ma part d’héritage (Ps 15, 5). Le Christ en personne se place dans les mains des prêtres, qui deviennent ainsi des dispensateurs des mystères — des merveilles — du Seigneur (1 Co 4, 1).

 

L’été prochain, une cinquantaine de membres de l’Opus Dei recevront les ordres sacrés. Ces promotions sacerdotales d’un petit nombre de membres de l’œuvre se succèdent depuis 1944, témoignant ainsi de la grâce et d’une volonté de service de l’Église. Malgré cela, il y a chaque année des gens qui s’en étonnent. Comment est-il possible, se demandent-ils, que trente, quarante, cinquante hommes, dont la vie est pleine de promesses, soient disposés à devenir prêtres ? Je voudrais présenter aujourd’hui quelques considérations, même au risque d’accroître la perplexité de ceux-là.

 

Le saint Sacrement de l’Ordre Sacerdotal sera administré à ce groupe de membres de l’œuvre, qui ont à leur actif une riche — et parfois longue — expérience de médecin, d’avocat, d’ingénieur, d’architecte ou d’une autre activité professionnelle, et dont le travail offrait la possibilité réelle d’accéder à des situations plus ou moins importantes dans leur milieu social.

 

C’est pour servir qu’ils seront ordonnés : non pour commander, ni pour briller, mais pour se donner, en un silence ininterrompu et divin, au service de toutes les âmes. Une fois prêtres, ils ne se laisseront pas entraîner par la tentation d’imiter les activités et le travail des laïcs, quand bien même il s’agirait de tâches qu’ils connaissent bien, pour les avoir réalisées eux-mêmes jusqu’alors ; et cela assure en eux une mentalité laïque qu’ils ne perdront jamais.

 

Leur compétence en diverses branches du savoir humain — de l’histoire, des sciences naturelles, de la psychologie — bien qu’elle fasse nécessairement partie de cette mentalité laïque, ne les amènera pas à vouloir se présenter comme des prêtres psychologues, des prêtres biologistes ou des prêtres sociologues : ils ont reçu le Sacrement de l’Ordre pour être, ni plus ni moins, des prêtres—prêtres, des prêtres à cent pour cent.

 

Sur beaucoup de problèmes temporels ou humains, ils en savent probablement plus que bien des laïcs. Mais, à partir du moment où ils deviennent clercs, ils taisent cette compétence avec joie, pour continuer à se fortifier dans une prière incessante, pour ne parler que de Dieu, pour prêcher l’Évangile et administrer les sacrements. Voilà, si je puis m’exprimer ainsi, leur nouveau travail professionnel, auquel ils consacrent toutes les heures de la journée, qui seront toujours trop peu nombreuses : il leur faut en effet étudier constamment la science de Dieu, orienter spirituellement beaucoup d’âmes, écouter de nombreuses confessions, prêcher inlassablement et prier beaucoup — beaucoup — l’âme toujours tournée vers le tabernacle où se trouve réellement présent Celui qui nous a choisis pour être siens, en un don merveilleux et plein de joie, même à l’heure des contradictions, qui sont le lot de toute créature.

 

Toutes ces considérations peuvent augmenter, comme je vous le disais, les motifs d’étonnement. D’aucuns continueront peut—être à se demander : pourquoi renoncer à tant de choses bonnes et nobles de la terre ? Pourquoi renoncer à avoir une situation professionnelle plus ou moins brillante ? Pourquoi renoncer à exercer une influence chrétienne sur la société par l’exemple, à partir de la culture profane, de l’enseignement, de l’économie ou de toute autre activité civile ?

 

D’autres rappelleront comment de nos jours de sérieux doutes circulent en beaucoup d’endroits à propos de la figure du prêtre : il faut, prétend—on, rechercher son identité. Et l’on met en doute la signification que revêt, dans les circonstances actuelles, ce don à Dieu dans le sacerdoce. Enfin, on pourrait être surpris qu’à une époque où les vocations sacerdotales se font rares, elles naissent précisément chez les chrétiens qui avaient déjà résolu — grâce à un travail professionnel exigeant — leurs problèmes de situation et d’emploi dans le monde.

 

Je comprends cet étonnement, mais je ne serais pas sincère si j’affirmais que je le partage. Ces hommes qui embrassent le sacerdoce librement, parce qu’ils en ont envie — c’est une raison très surnaturelle — savent bien qu’il ne s’agit pas de renoncement, au sens ordinaire du terme. Déjà auparavant — de par leur vocation à l’Opus Dei — ils s’adonnaient au service de l’Église et de toutes les âmes, avec une vocation à part entière, divine, qui les amenait à sanctifier leur travail ordinaire, à se sanctifier dans ce travail et, à partir de cette tâche professionnelle, à faire de leur mieux pour sanctifier les autres.

 

Comme à tous les chrétiens, ces paroles de saint Pierre s’adressent aussi aux membres de l’Opus Dei, qui sont toujours des chrétiens courants, prêtres ou laïcs : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis pour annoncer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le peuple de Dieu, qui n’obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde (1 P 2, 9—10).

 

Unique et identique est la condition des fidèles chrétiens, chez les prêtres et chez les laïcs, parce que Dieu Notre Seigneur nous a tous appelés à la plénitude de la charité, à la sainteté : Béni soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus—Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles aux cieux, dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés en sa présence et dans l’amour (Ep 1, 3—4).

 

Il n’existe pas de sainteté de second ordre : ou nous luttons constamment pour demeurer en état de grâce et ressembler au Christ, notre Modèle, ou nous désertons cette guerre divine. Le Seigneur nous invite tous à nous sanctifier, chacun dans son propre état. Dans l’Opus Dei, le fait d’être prêtre ou laïc ne change absolument rien à cette passion pour la sainteté — en dépit des erreurs et des misères de chacun. Les prêtres ne constituent d’ailleurs qu’une proportion très réduite par rapport à l’ensemble des membres.

 

Par conséquent, si l’on regarde les choses avec les yeux de la foi, ce n’est pas de renoncement qu’il s’agit quand on arrive au sacerdoce ; et parvenir au sacerdoce ne suppose pas non plus le couronnement de la vocation à l’Opus Dei. La sainteté ne dépend pas de l’état de chacun — célibataire, marié, veuf, prêtre — mais de sa réponse personnelle à la grâce, qui nous est accordée à tous, pour que nous apprenions à éloigner de nous les œuvres de ténèbres et que nous revêtions les armes de lumière : la sérénité, la paix, le service, empreint de sacrifice et de joie, rendu à l’humanité tout entière (Cf. Rm 13, 12).

Le sacerdoce amène à servir Dieu dans un état qui, en soi, n’est ni meilleur ni pire que les autres : il est tout simplement différent. Mais la vocation de prêtre apparaît comme revêtue d’une dignité et d’une grandeur que rien ne dépasse sur la terre. Sainte Catherine de Sienne met les mots suivants sur les lèvres de Jésus—Christ : Je ne veux pas que décroisse la révérence et le respect que l’on doit observer à l’égard des prêtres, parce que la révérence et le respect qu’on leur manifeste ne s’adresse pas à eux, mais à moi, en vertu du Sang que je leur ai donné à administrer. S’il n’en était pas ainsi, vous leur devriez la même révérence qu’aux laïcs, et pas plus. Il ne faut pas les offenser : lorsqu’on les offense, c’est moi que l’on offense, et non pas eux. C’est pourquoi je l’ai interdit, et j’ai disposé que je n’admets pas que l’on touche à mes Christ (Sainte Catherine de Sienne, Le Dialogue, chap. 116 ; cf. Ps 104, 15).

 

Certains s’évertuent à chercher l’identité du prêtre, comme ils disent. Comme elles sont claires, ces paroles de la sainte de Sienne ! Quelle est l’identité du prêtre ? Celle du Christ. Tous les chrétiens peuvent et doivent être non pas alter Christus, mais ipse Christus : d’autres Christ, le Christ lui—même ! Mais, dans le cas du prêtre, ceci se réalise d’une manière immédiate, de façon sacramentelle.

Pour l’accomplissement d’une si grande œuvre, celle de la Rédemption, le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la Messe, et dans la personne du ministre, « le même offrant maintenant par le ministère des prêtres, qui s’offrit alors lui—même sur la croix » et, au plus haut point, sous les espèces eucharistiques (Concile Vatican II, constitution Sacrosanctum Concilium, 7 ; cf. Concile de Trente, Doctrine sur le Très Saint Sacrifice de la Messe, chap. 2). Le sacrement de l’Ordre confère au prêtre la possibilité effective de prêter à Notre Seigneur sa voix, ses mains, tout son être ; c’est Jésus—Christ qui, dans la Sainte Messe, change, par les mots de la consécration, la substance du pain et du vin en son Corps, son Âme, son Sang et sa Divinité.

 

C’est en cela que se fonde l’incomparable dignité du prêtre. C’est une grandeur d’emprunt, compatible avec ma petitesse. Je demande à Dieu Notre Seigneur de donner à tous les prêtres la grâce de réaliser saintement les choses saintes, et de refléter également dans notre vie les merveilles des grandeurs du Seigneur. Nous qui célébrons les mystères de la Passion du Seigneur, nous devons rendre notre vie conforme à ce que nous célébrons. Et alors l’hostie occupera notre place devant Dieu, si nous nous faisons nous—mêmes hosties (Saint Grégoire le Grand, Dialog. 4, 59).

 

Si vous rencontrez un jour un prêtre qui, apparemment, semble ne pas vivre en accord avec l’Évangile —ne le jugez pas, c’est Dieu qui le juge — sachez que s’il célèbre validement la Sainte Messe, avec l’intention de consacrer, Notre Seigneur n’en descend pas moins entre ses mains, bien qu’elles en soient indignes. Peut—il exister plus grand abandon, plus grand abaissement ? Plus qu’à Bethléem, plus qu’au Calvaire. Pourquoi ? Parce que le Coeur du Christ déborde du désir de la Rédemption, parce qu’il ne veut pas que quelqu’un puisse dire qu’il ne l’a pas appelé, parce qu’il va à la rencontre de ceux qui ne le cherchent pas.

 

Il est Amour ! Il n’y a pas d’autre explication. Toutes les paroles sont bien pauvres pour parler de l’Amour du Christ ! Il s’abaisse à tout, Il admet tout, Il s’expose à tout — aux sacrilèges, aux blasphèmes, à la froideur de l’indifférence de tant de personnes — pourvu qu’Il puisse offrir, ne serait—ce qu’à un seul homme, la possibilité de découvrir les battements d’un Cœur qui bat dans sa poitrine blessée.

 

Telle est l’identité du prêtre : être l’instrument immédiat et quotidien de cette grâce salvatrice que le Christ nous a gagnée. Si l’on comprend cela, si l’on a médité dans le silence actif de la prière, comment peut—on envisager le sacerdoce comme un renoncement ? C’est un gain incalculable. Notre Mère sainte Marie, la plus sainte des créatures — Dieu seul est supérieur à elle — a mis Jésus—Christ au monde une seule fois dans le temps ; les prêtres le font venir tous les jours au monde où nous vivons, à notre corps et à notre âme : le Christ vient nous alimenter, nous vivifier, être, dès à présent, le gage de la vie future.

 

Le prêtre n’est supérieur au laïc ni en tant qu’homme ni en tant que fidèle. C’est pourquoi il convient particulièrement que le prêtre fasse montre d’une profonde humilité, pour comprendre comment, dans son cas, ces paroles de saint Paul s’accomplissent aussi de manière toute spéciale et en plénitude : Qu’as—tu que tu n’aies pas reçu ? (1 Co. 4, 7) Ce qu’il a reçu c’est Dieu ! Ce qu’il a reçu, c’est le pouvoir de célébrer la Sainte Eucharistie, la Sainte Messe — fin principale de l’ordination sacerdotale — de pardonner les péchés, d’administrer d’autres sacrements et de prêcher avec autorité la parole de Dieu, dirigeant les autres fidèles en tout ce qui a trait au royaume des Cieux.

 

A suivre…

 

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