ASDE 053 Lettres Marie Lataste

 

Sœur Marie Lataste

Lettre 31

 

Marie est tranquillisée sur sa vocation

Notre-Seigneur fait son éloge

Monsieur le Curé,

 

Je dois vous l’avouer, je me trouve dans une position assez pénible. Mon cœur est fortement attiré de deux côtés. Les représentations et les réflexions qu’on me fait me donnent mille craintes ; mais aussi, j’éprouve un attrait si fort que je ne puis y résister.

 

Dois-je m’arrêter à ses représentations et à ses réflexions, dois-je m’y soumettre aveuglément ? Sans doute, je ne puis, je ne dois qu’obéir. Mais comment résister à cet attrait qui me soulève, qui m’emporte, qui me domine, qui se rend maître de moi ? Quelle triste perplexité ! D’un côté, je veux obéir et me soumettre ; d’un autre côté, il me semble que l’obéissance m’est impossible et que nécessairement il faudra que je suive le mouvement ou la voix qui m’appelle à un autre genre de vie.

 

C’est pourquoi, Monsieur le Curé, dans cette situation pénible et difficile, j’ai sondé de nouveau mon cœur et examiné mes sentiments en la présence de Dieu, dans la simplicité et la sincérité de mon âme. Or, ma conscience, à moins qu’elle ne soit complètement aveugle et endormie, ne saurait me reprocher, en cette circonstance, ma résistance à la volonté de mes supérieurs comme l’effet d’une orgueilleuse opiniâtreté. J’ai reconnu de plus en plus la force et la vigueur de l’attrait qui m’appelle au Sacré-Cœur, et je vois qu’il m’est impossible de résister à cet attrait, qui est le maître absolu de mon cœur. Aussi, pour ne plus douter, pour me rassurer complètement je me suis adressée au Sauveur Jésus : Seigneur Jésus, lui ai-je dit, votre volonté est-elle absolue et m’appelez-vous réellement à devenir religieuse du Sacré-Cœur.

 

Le Sauveur Jésus m’a répondu : « Ma fille, écoutez mes paroles avec attention. Je vais les adresser à votre pasteur, rapportez-les lui avec exactitude :

 

« Mon fils, l’intérêt que vous portez à Marie me plaît ; car, selon ce qui est rapporté dans l’Évangile, je regarde comme fait à moi-même ce que vous faites pour elle. J’aime la manière dont vous agissez vis-à-vis d’elle, et si je dois accorder récompense éternelle pour un verre d’eau donné à un pauvre qui le demande en mon nom, combien plus devrai-je récompenser ce que vous faites pour Marie…

 

« Donnez toujours vos soins à Marie, vous ne savez point à qui vous les donnez. Marie sera un jour la mère spirituelle des pauvres pécheurs, Marie sera la consolatrice des affligés et la lumière des ignorants. La voix de Marie retentira comme la voix d’un grand docteur et sa parole combattra les ennemis de ma religion sainte. Marie, comme une étoile brillante, sortira de dessous les nuages qui la couvrent et sera donnée en spectacle à sa patrie et aux contrées lointaines. Les habitants du ciel la regarderont et seront éblouis de sa beauté. Marie deviendra la terreur des démons et un objet de haine et de confusion pour les ennemis de ma doctrine. Marie sera persécutée, elle éprouvera toutes sortes de déboires ; mais tout tournera à sa sanctification. Elle est à la veille d’entrer dans la retraite profonde que je lui destine. Permettez-lui de partir et vous me serez agréable… »

 

Voilà, Monsieur le Curé, en toute simplicité, ce que m’a dit le Sauveur Jésus. Vous en penserez ce que vous jugerez convenable.

 

Agréez l’assurance de mon plus profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

 Marie.

Mimbaste, 29 mars 1843.

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Lettre 32

 

Le Sauveur annonce à Marie qu’elle tombera malade le lundi

de la première semaine de mai et qu’elle guérira le 4ème jour.

Comment cette parole trouvera son accomplissement.

 

 

Monsieur le Curé,

 

Je sais que votre volonté est que je ne vous cache rien et que je vous dise en toute sincérité ce que j’ai éprouvé. Voici donc ce que me dit un jour le Sauveur Jésus : « Ma fille, tu tomberas malade le lundi de la première semaine de mai, à huit heures du matin. Tu éprouveras de nombreux vomissements, avant-coureurs d’une grande fièvre. Un habile médecin viendra, il emploiera toutes sortes de remèdes sans nul effet. On sera fort inquiet sur ton compte ; mais sois tranquille, tu ne mourras qu’au temps dont je t’ai parlé. Tu souffriras beaucoup dans cette maladie ; l’amour importun de ta mère sera pour toi une vive affliction. Garde-toi de la repousser ou de repousser les personnes qui te visiteront. Prends patience, renonce à ta volonté, ne te plains jamais, tu guériras le quatrième jour où tu seras tombée malade ; mais la convalescence sera longue. »

 

J’attendais impatiemment le jour qui m’avait été fixé. Dieu, me disais-je intérieurement, veut te donner là une assurance que tu n’es pas trompée, que ce n’est pas le démon qui te parle et se joue de toi, mais le Sauveur Jésus. Si tu tombes malade au jour et à l’heure fixés, tu auras la certitude de n’être point trompée ; mais si tu conserves la santé, tu verras bien clairement, que tu es le jouet du démon.

 

Je l’avoue, je doutais beaucoup ; je craignais d’être trompée. Je voulais néanmoins me préparer à soutenir cette épreuve avec courage dans le cas où je me verrais dupe de l’esprit des ténèbres. Je priais Dieu de me soutenir contre cette épreuve si je ne tombais pas malade, et de me conserver la paix, le calme et la tranquillité. Je le priais aussi, si la maladie me frappait, de me donner la force de la supporter patiemment et de la manière dont on m’avait parlé.

 

Enfin, le jour désigné arriva. Je me levai. Voici, me dis-je, le jour où tu dois tomber malade. J’avais été méditer dans le jardin. Je reposais tristement sur le sein de Jésus. J’entendis sonner huit heures et je me trouvai en parfaite santé. Je quittai le jardin aussitôt en disant : Pourquoi attendre plus longtemps, je suis trompée, je n’ai plus à en douter. Mais qu’importe ? Vengeons-nous de Satan. Je ne lui donnerai même pas le plaisir de me voir dans le trouble ni l’agitation. Dès ce jour, je lui jure une haine éternelle. J’éviterai avec plus de soin que jamais toute sorte de péché et tâcherai de croître plus en vertu qu’en années. Après cela, je rentrai dans ma chambre, pleurant non sur ce qui m’était arrivé, mais sur ma mort, qui n’arriverait pas peut-être dans ma jeunesse. Car si je suis trompée sur ma maladie, pourquoi ne le serais-je pas aussi sur le temps de mon trépas ?

 

Il me sembla aussitôt entendre la voix de Jésus, qui me dit : « Dieu seul connaît le jour et l’heure de ta mort. Pour toi ; tu ne le connais pas, vis chaque jour comme s’il devait être le dernier de ta vie, et ainsi tu mourras tous les jours. » Il ajouta : « Accepte toutes les épreuves avec pleine et entière soumission à la volonté de Dieu. » Il me dit encore : « Espère en Dieu, et ton espérance ne sera pas déçue. »

 

Que se passa-t-il pendant les jours qui suivirent ? Ah ! Monsieur, je ne pourrais vous le dire. Que de luttes, que de combats, que de souffrances ! Je ne m’appartenais pas à moi-même. Je ne savais que faire, je ne savais que devenir ! Néanmoins, ce qui m’étonne et me surprend, je conservai malgré tout une paix profonde au milieu de mon âme. J’aimais Dieu de tout mon cœur, j’aurai voulu l’aimer davantage, me donner tout à lui, vivre de lui et à jamais pour lui.

 

J’avais même des moments heureux. Mon accès auprès de Jésus était facile. Il n’attendait pas que je fusse vers lui, il accourait vers moi. Il me comblait de ses caresses, il me regardait avec un œil plein de douceur, il mettait sa main sur mon cœur comme pour en compter les pulsations et soulager le poids qui l’oppressait. Il me parlait souvent comme pour me consoler ; mais ses paroles étaient des paroles voilées, c’étaient des figures, des images et des paraboles.

 

Tout cela me paraissait fort suspect. D’autant plus que si, sous l’influence de Jésus, mon cœur s’élevait facilement vers Dieu, plus facilement encore il se détachait de lui et perdait même parfois complètement sa présence. Je ne tardais pas à revenir pour m’humilier devant Dieu, mais je souffrais beaucoup. Quelquefois les ténèbres qui obscurcissaient mon esprit étaient si épaisses, que je ne voyais plus rien et que je ne savais à quoi m’en tenir, à quoi m’attacher. Je ne comprenais pas quelle pouvait être cette voix qui me parlait. J’étais tentée de me décourager, de renoncer à ma vie intérieure pour mener une vie tout extérieure. Tout me semblait illusion, et je souffrais un martyre ineffable.

 

Mais il se fit dans mon âme un trait de lumière : aussitôt je jugeai différemment. Je me dis à moi-même : Attendons ! et j’attendis. La paix dans mon intérieur n’était point encore attaquée. Je demeurais ferme. Néanmoins, j’étais tellement agitée extérieurement, que j’étais tout abattue. Je pouvais me traîner à peine.

 

Le quatrième jour, chose étrange ! je me trouvai complètement dégagée. Grand fut mon étonnement, et je roulai dans mon esprit mille pensées diverses ! La lumière ne tarda pas à se faire dans mon intelligence plus claire et plus brillante.

 

Mon corps, à la vérité, n’avait point été malade ; mais mon âme avait eu une véritable fièvre ; c’est pourquoi la lumière brillant dans mon intérieur, je raisonnai ainsi : La maladie dont m’a parlé le Sauveur Jésus n’est point la maladie de mon corps, mais celle de mon âme. Ces paroles doivent s’entendre non physiquement, mais spirituellement. Que signifient, en effet, cette haine contre le démon et ce parti ferme pris contre lui, si ce n’est ces vomissements dont m’a parlé le Sauveur Jésus ? Que signifie cette forte fièvre qui devait suivre, si ce n’est cet état dans lequel je me suis trouvée pendant quatre jours ? Quel est cet habile médecin et cette mère venus pour me prodiguer leurs remèdes et leurs soins, si ce n’est le Sauveur lui-même, et ses paroles et ses consolations, qui ne faisaient guère impression sur mon âme et ne pouvaient me guérir ? Enfin, la longueur de ma convalescence ne signifiait-elle pas tous les maux, toutes les peines que je dois endurer jusqu’à la fin de ma vie ?

 

Voilà, Monsieur, ce que j’ai éprouvé, voilà ce que j’ai pensé. J’ai éprouvé ces tourments dans ces jours dont je vous parle, et il me semble avoir appris à supporter la souffrance avec courage et énergie. La lumière s’est faite aussi, et pour ma consolation, j’ai été comme entraînée à supposer que le Sauveur Jésus avait voulu me parler d’une maladie spirituelle. Ce qui me porte encore à penser ainsi, ce sont ces paroles qu’il me semble avoir entendues et que m’adressait aussi le Seigneur : « L’homme est toujours homme, et parce qu’il est homme, il agit en homme, il parle en homme, il voit en homme, il juge en homme, il entend et comprend en homme ; mais Dieu est Dieu, et parce qu’il est Dieu, il agit en Dieu, il parle en Dieu, il juge en Dieu, il voit en Dieu, entend et comprend tout en Dieu. »

 

Je vous abandonne toutes ces choses comme à mon père et au directeur de mon âme. Vous en penserez, Monsieur, ce qu’il vous plaira, ou plutôt ce que vous suggérera l’Esprit de Dieu. Je laisse tout à votre jugement et à votre décision.

 

Pardonnez-moi si je vous entretiens de choses peut-être futiles. Tant que vous m’ordonnerez d’écrire, j’écrirai tout ; comme je m’arrêterai et ne dirai plus rien ni par écrit ni de vive voix quand vous me l’aurez commandé.

 

Je vous conjure de prier beaucoup Dieu pour moi, et je suis en Notre-Seigneur Jésus-Christ

Votre très respectueuse servante,

 Marie Lataste.

Mimbaste, 30 avril 1843.

 

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