Sœur Marie Lataste
Lettre 27
Desseins de Dieu sur la famille de Marie Lataste.
Monsieur le Curé,
J’étais un jour auprès du Sauveur Jésus, reposant dans le tabernacle de son amour. Je pensais à l’appel que j’avais entendu sortir de sa bouche, je pensais à ma famille que j’allais laisser seule avec Marguerite, je pensais à ma sœur Quitterie qui nous avait quittés depuis longtemps, et je disais au Sauveur : Je vous suivrai partout où vous voudrez m’emmener. Parlez, mon Dieu, et votre heure sera l’heure où je quitterai tout pour m’attacher à vous uniquement.
Le Sauveur me fit alors entendre sa voix pleine de douceur : « Ma fille, me dit-il, j’ai vécu sur la terre de trois vies différentes ; de ma vie publique avec les hommes, que j’instruisais et guérissais de leurs maladies, de ma vie cachée à Nazareth, avec ma mère et saint Joseph à qui j’étais soumis, et de ma vie intime avec mon Père céleste. Or, j’ai jeté les yeux sur votre sœur Quitterie pour m’imiter dans ma vie publique. Elle ira porter aux hommes les secours qui leur sont nécessaires dans leurs infirmités corporelles, et souvent elle leur procurera aussi les secours qui leur seront plus nécessaires encore dans leurs infirmités spirituelles. J’ai choisi votre sœur Marguerite pour m’imiter dans ma vie cachée de Nazareth ; elle demeurera près de votre père et de votre mère pour veiller sur eux, les soigner et leur obéir. Je vous ai choisie et vous ai destinée à m’imiter dans ma vie intime avec mon Père céleste qui est au ciel. Je n’ai jamais eu qu’une volonté, la volonté de mon Père ; j’ai toujours fait ce qui était le plus agréable à mon Père ; je n’ai jamais cherché ma gloire, mais celle de mon Père ; je me suis immolé à chaque instant de ma vie pour racheter les hommes et les délivrer du péché, je n’ai prévenu en rien l’heure de mon Père. Enfin je l’ai fait connaître au monde et il a élevé mon nom au-dessus de tout nom, et, au ciel, sur la terre et dans les enfers, tout genou fléchit devant mon nom.
« Ma fille, la pensée de mon Père était toujours présente en moi ; j’écoutais sa parole et jugeais toute chose selon la parole de mon Père et ne faisais qu’un avec mon Père.
« Ayez toujours ma vie intime avec mon Père sous les yeux, n’ayez d’autre volonté, d’autre désir que la volonté et les désirs de mon Père. Cherchez toujours sa gloire en toutes choses. Sacrifiez-vous à chaque instant devant lui et pour effacer vos péchés, et pour demander miséricorde pour autrui. Ne devancez jamais son heure, attendez-la avec soumission, et il vous glorifiera dans le ciel.
« Que sa pensée demeure toujours en votre esprit ; écoutez sa parole qui est ma parole, vivez de lui, en lui et pour lui, qu’il y ait union entre vous et lui. Recevez en vous l’effusion de sa vie par la grâce. Si vous agissez ainsi, je vous dévoilerai des secrets à tout autre inconnus, comme mon Père me dévoile les secrets éternels de sa vie divine, et par ces communications notre union ira toujours croissant et se développant.
« Maintenant que je vous ai dévoilé mes desseins sur vous, demeurez plus soumise encore à ma volonté. Vivez dans une plus grande humilité et craignez de vous rendre indigne de mes bienfaits. »
Ah ! Monsieur, je sens bien que je ne mérite pas les faveurs de Jésus, je sais qu’il fait tout par miséricorde pour moi. Puissé-je l’aimer à jamais et m’abandonner toujours à sa sainte volonté.
Priez pour moi, demandez au Sauveur qu’il me délivre de tous les ennemis de mon âme et me garde sous sa tutelle.
Veuillez agréer, Monsieur le Curé, les sentiments de ma profonde vénération et de tout mon respect.
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 17 février 1843.
Lettre 28
Notre-Seigneur adresse à Marie la parabole du roi,
de l’écuyer et de l’olivier.
Monsieur le Curé,
Je viens vous soumettre une chose que j’ai éprouvée ; vous en penserez ce que vous jugerez à propos.
Un jour après la communion, Jésus me dit, car c’est bien lui, je crois, qui m’a parlé.
« J’élèverai ma voix et je dirai : réjouissez-vous, maison de Juda, parce qu’une grande gloire vous attend.
« Réjouissez-vous, vous à qui j’ai dit : Celui qui vous reçoit me reçoit, celui qui vous écoute m’écoute, celui qui vous méprise me méprise.
« Réjouissez-vous, descendants de ceux à qui j’ai dit : Allez enseigner toutes les nations du monde et baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
« Réjouissez-vous, vous à qui j’ai confié la prunelle de mon œil.
« Réjouissez-vous, Jérusalem, parce que vous recevrez dans votre sein une épouse de l’Époux, une fille du Père, ornée de la grâce de son Époux et enrichie des trésors du Père. »
Puis il ajouta :
« Un roi faisant la visite de ses États trouva dans le désert une plante. Elle lui plut beaucoup, il la cueillit en disant : Cette plante est un olivier excellent que je veux placer dans mon jardin ; elle me donnera de l’huile pour faire d’excellents ragoûts que je servirai à mes amis. Il la confia à son écuyer favori et lui dit : Prenez bien soin de cette plante.
« L’écuyer considéra cette plante et reconnut véritablement un olivier d’excellente espèce. Il le cultiva soigneusement, enlevant les mauvaises herbes qui poussaient par côté, y portant de temps en temps de l’engrais et l’arrosant avec de l’eau très pure qu’il allait prendre dans le puits du roi.
« Les autres écuyers le raillaient et lui disaient : « Insensé de donner tant de soins à une vigne que notre roi a fait planter dans son jardin, et dont la liqueur enivrante fera perdre la raison. Pour nous, nous nous garderons bien de la douceur apparente de cette liqueur. »
« Les railleries pouvaient tomber sur le roi et la plante qu’il faisait travailler, mais l’écuyer en était peu ému ; bien loin de là, il considérait de plus près la plante, et chaque fois qu’il s’en approchait il respirait une odeur si suave d’olivier, qu’il s’écriait avec conviction : « Ce n’est point à une vigne que je donne mes soins ; cette plante est un olivier qui donnera à mon maître de l’huile pour lui préparer d’excellents ragoûts. »
« Le roi, ayant entendu les autres écuyers, en fut indigné et leur dit : « Insensés, pour qui me prenez-vous que de planter une vigne dans mon parterre pour endommager les autres fleurs. Non, ce n’est point une vigne, mais un olivier très précieux. » Puis s’adressant à l’écuyer fidèle, il lui dit : « Arrachez cette plante et transplantez-la dans un autre parterre que je vous indiquerai et dont le sol est plus fertile. »
« Le roi lui-même fit une cage d’or dans laquelle il ordonna de placer la plante, afin que rien ne ternit la beauté de sa verdure, et pour plus de précaution encore il ordonna à son écuyer de couvrir la cage d’or d’un voile, afin que nul ne pût même considérer l’éclat de cette plante.
« L’écuyer dit au roi : « Pourquoi mettre ce voile, la plante ne peut recevoir aucun dommage ? » – « Recouvrez-la d’un voile, répliqua le roi, qui connaissait toutes les propriétés de la plante, parce que la beauté de cette plante et l’odeur suave qui sortira d’elle pourraient nuire à quelques-uns de mes sujets qui sont en bonne santé. Ils envieraient ma plante et ils perdraient mes bonnes grâces, parce que je veux la plante pour moi seul. »
« Mais l’écuyer se dit à lui-même : Si je couvre cette plante, je ressemblerai à un contrebandier, et si l’on m’oblige à montrer la plante je serai dans la confusion ; je ne mettrai point ce voile. La cage d’or éloignera tout dommage de la plante du roi. Tant pis pour ceux qui savoureront trop l’odeur de la plante ou qui l’envieront à mon roi.
« Il arracha la plante, la plaça dans la cage d’or, mais sans la couvrir d’un voile, et il la transporta dans le nouveau parterre. Quelques-uns en effet qui avaient bonne santé, mais un tempérament faible, respirèrent l’odeur de la plante et en furent ravis à ce point qu’ils auraient voulu toucher, au moins une de ses feuilles ; la cage d’or les en empêcha. Or, en approchant de plus en plus près ils furent éblouis par la beauté de la plante et empoisonnés par son odeur, et avant de mourir ils s’écriaient : « Maudit soit le jour de ma naissance, qui a causé mon malheur, maudit soit le jour où j’ai vu cette plante qui me fait mourir. »
« La plante crût et grandit dans le nouveau parterre du roi, elle porta des fruits et donna une huile d’un goût exquis.
« Alors l’écuyer fidèle raillant les autres écuyers, leur dit : « Je savais bien que je ne donnais point mes soins à une vigne, mais à un olivier. Quelle suave odeur répandent ses fleurs, combien ses fruits sont abondants et son huile délicieuse ! Voyez, ne semble-t-il pas que par ses racines qui s’étendent dans tout le parterre elle a engraissé toutes les autres fleurs et amélioré leur nature ? »
« C’est ainsi que cet écuyer se réjouissait et se félicitait d’avoir bien soigné la plante du roi. Un jour le roi le manda près de lui et lui remit une grande récompense.
« Ma fille, je vous le dis en vérité, heureux est le parterre où le roi transporta la plante du désert ! »
Vous penserez, Monsieur, de ceci ce qu’il vous plaira, je suis complètement indifférente à cette chose comme à tout le reste. Je ne désire que Dieu, je ne m’attache qu’à Dieu, je ne veux que lui. Je le dis dans toute la sincérité de mon cœur, et Dieu qui voit et qui connaît mes sentiments en rendra témoignage au jour de la vérité ; je n’en désire point d’autre.
Recevez, Monsieur le Curé, l’assurance de la plus haute considération et de la plus vive reconnaissance dont je suis pénétrée pour vous, et avec laquelle j’ose me dire
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 25 février 1843.