Sœur Marie Lataste
Lettre 41
Renseignements nouveaux sur
Les visions de Marie depuis 1842 ;
Elle ne voit pas Jésus d’une manière sensible, mais
Elle entend sa parole, et son bonheur n’est pas moindre
Très vénérable Père,
Vous désirez savoir de quelle manière Jésus s’est conduit dans ses relations avec moi. Voici en vérité ce qui s’est passé.
Quelque temps après ma première communion, je sentis mon cœur tout pénétré par une foi très vive à la présence de Jésus-Christ au saint sacrement de l’autel. Cette foi me portait à un plus grand recueillement chaque dimanche et chaque jour de la semaine où j’avais le bonheur de venir dans l’Église.
Un an après, c’est-à-dire vers l’âge de treize à quatorze ans, il me sembla voir comme une lumière brillante sur l’autel après l’élévation, mais je ne distinguai rien encore d’une manière claire. Pendant que cette clarté frappait mes yeux, mon âme s’échauffait d’amour pour le Dieu de l’eucharistie et j’aurais voulu m’unir à lui bien souvent, alors que je n’avais pas le bonheur de communier.
A mesure que je sentais mon amour croître pour Jésus, la lumière devenait plus claire et plus brillante. Enfin un jour il me sembla voir Jésus véritablement sur l’autel. Je le vis, mais il était comme environné d’un nuage de lumière ou de grâce, je ne sais quoi.
Quel fut mon bonheur ! je croyais bien à la présence réelle de Jésus en l’eucharistie, mais voir Jésus, le contempler de mes yeux ; quelle faveur ineffable, quelle félicité pour mon âme. J’avais alors dix-sept ans, c’était en l’année 1839.
Un jour je revins à la messe ; ah ! Monsieur, quelle ne fut pas ma peine, je ne vis plus le Sauveur. Vainement mes yeux se fixaient sur l’autel, je ne voyais ni Jésus ni sa lumière ; je ne sentais plus mon cœur attiré vers lui ; il me semblait que je ne l’aimais plus autant. Jésus voulut-il me punir de mon indifférence pour lui ou me r etirer cette grâce que je ne méritais aucunement ? Je ne le sais pas non plus.
Que de chagrin dans cette épreuve ! Je tâchai pourtant de me soumettre à la volonté de Dieu. Bientôt je fus au-dessus de mon affliction, et je dis à Jésus dans toute la sincérité de mon cœur : Seigneur, que votre volonté soit faite et non la mienne.
Au commencement de l’année 1840, le jour de l’Épiphanie, j’eus le bonheur de faire la sainte communion. Je sentis en moi une félicité comme je n’en avais éprouvé jamais. Je voulus porter mes yeux sur l’autel. Jésus y était assis sur un fauteuil d’or, plein de gloire et de majesté. Je le vis me sourire avec bonté et je lui dis intérieurement : Seigneur Jésus, bénissez-moi et prenez pitié d’une pauvre pécheresse comme moi.
J’ai eu le bonheur de le voir ainsi chaque fois que j’ai assisté à la messe, jusqu’à la fin de 1842.
Au moment de l’élévation, alors que le prêtre faisait la génuflexion après avoir prononcé les paroles de la consécration, je voyais une immense clarté se répandre dans le sanctuaire et Jésus apparaître sur l’autel, où il demeurait jusqu’à la communion. Son visage était ordinairement plein de bonté et de douceur, mais quelquefois aussi il était sérieux et paraissait irrité. Son éclat surpassait celui du soleil, sa majesté n’avait rien de comparable sur la terre ; son trône était de l’or le plus brillant, sa robe n’était point d’étoffe, même de la plus fine, ou, si c’était de l’étoffe, je n’en ai jamais vue de pareille ; elle semblait toute transparente et jetait des feux comme un diamant ou une pierre précieuse. Il était assis sur son trône ; sa main gauche reposait sur son cœur et la droite reposait doucement sur ses genoux. Ses yeux étaient ordinairement fixés sur le peuple, et à certains moments, par exemple pendant le Pater et l’Agnus Dei, toujours sur le prêtre.
Pendant ce temps ; il m’était permis d’approcher jusqu’à la table sainte, et Jésus m’adressait sa parole comme je l’ai rapporté. Quelquefois il me permettait de m’approcher jusqu’à lui. Alors il n’y avait plus pour moi ni balustrade, ni degrés, ni prêtre, ni autel, je ne voyais que Jésus, je marchais vers lui et je m’avançais comme sur la terre ferme.
Je me mettais à ses genoux, il prenait mes mains dans les siennes et me parlait avec bonté. D’autres fois il me faisait reposer sur son cœur et me caressait comme une mère caresse son enfant.
Après la communion, Jésus n’était plus sur l’autel. Un jour je le cherchai ailleurs et je le trouvai dans mon cœur. Or, chose étrange, mon cœur m’apparut comme le sanctuaire et l’autel du tabernacle. Il ressemblait à une petite chambre voûtée, au milieu de laquelle je vis un fauteuil d’or comme celui de l’autel, et Jésus était assis sur ce fauteuil. Une balustrade entourait son trône comme la balustrade du sanctuaire. Seulement elle n’était ni en bois ni en pierre, mais de l’or le plus fin. La clarté que je voyais sur l’autel de l’église, je la voyais dans mon cœur.
Voilà ce que je voyais ; j’aurais voulu entrer dans mon cœur. Je sentais un violent attrait qui me portait à y pénétrer, je le suivis. Je me mis en marche vers mon cœur, comme s’il avait été séparé de moi, et j’y pénétrai comme je pénétrais dans le sanctuaire de l’église.
Quelquefois Jésus me retenait en dehors de lui, à genoux devant la balustrade qui entourait son trône.
Là, Jésus me parlait comme sur l’autel, comme pendant la sainte messe. Je ne dirai point ici la manière dont je voyais mon cœur, ni les précipices que je rencontrais et que j’y apercevais souvent ; les divers récits que j’ai donnés le rapportent fidèlement.
Enfin il est un autre lieu où j’apercevais encore Jésus d’une manière sensible.
Quand je méditais, je me transportais toujours aux pieds du tabernacle pour lui rendre mes devoirs. Quand j’étais en prière et en oraison, l’attrait me portait à pénétrer dans le tabernacle, et j’y trouvais encore Jésus comme sur l’autel et dans mon cœur après la communion. Je voyais Jésus, j’étais dans le tabernacle avec lui, je lui parlais, j’étais à genoux à ses pieds ou debout devant lui, et il m’entretenait selon sa coutume.
Depuis 1842, je ne le vois plus d’une manière sensible, mais j’entends sa voix distinctement comme avant. Il me prépara à cette privation en me disant : « Ma fille, il vous souvient de l’affliction que vous éprouvâtes lorsque je me cachai pendant un temps à vos yeux après m’être montré à vous. Vous devez avoir aujourd’hui plus de force, de vigueur et d’énergie. Je ne veux plus vous traiter en enfant. Je ne veux plus vous donner du lait pour nourriture, mais une viande forte et solide. Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, mais vous entendrez néanmoins ma voix et ma parole ; encore un peu de temps et vous ne m’entendrez même plus, et puis vous me verrez encore et vous m’entendrez de nouveau. »
Jésus me disait que je ne devais plus être enfant, mais je l’étais encore, car je pleurai beaucoup quand il m’apprit que je ne le verrais plus.
II vint à moi et me consola en me disant : « Ma fille ; ne pleurez pas, essuyez vos pleurs et consolez-vous ; vous ne me verrez pas d’une manière sensible, mais je serai réellement présent dans le tabernacle, sur l’autel et aussi dans votre cœur. Vous pourrez m’y rendre vos devoirs et je les recevrai avec autant de plaisir qu’avant, car je vous aimerai encore et toujours, bien que vous ne receviez plus des marques sensibles de mon amour par la vue de mon corps. Je verrai vos gémissements, vos plaintes, vos prières et vos demandes. Je serai votre secours, votre soutien et votre appui. Confiance, ma fille ; obéissez toujours à votre directeur, demeurez soumise, offrez-vous à Dieu chaque jour ; imitez mes actions avec plus de fidélité et je vous donnerai des grâces plus précieuses que celles que vous avez reçues. Ma fille, je vous bénis. »
En ce moment, il leva sa main au-dessus de ma tête et je sentis comme des flots de grâce et de bonheur inonder toute mon âme, la dégager de toute peine et de toute inquiétude, et la fortifier comme un bouclier qui ne ferait qu’un avec elle.
Pendant quelques jours, bien que je n’eusse point de peine ni d’affliction dans mon cœur, je me trouvais tout étonnée et comme étrangère dans ma nouvelle manière de vivre. Ce n’était plus la vue de Jésus, mais c’était bien sa parole ; ce n’était plus sa présence sensible, mais c’était bien la douceur de sa grâce ; ce n’était plus mon repos sur son cœur, mais je me reposais avec délices dans l’immensité de Dieu.
La parole de Jésus n’avait plus cette douceur sensible ni dans le ton, ni dans l’expression, ni dans la signification que je trouvais dans ses paroles quand je le voyais ; mais sa parole me consolait, me soutenait, me fortifiait et me défendait. Sa voix m’instruisait encore, mais le plus souvent cette instruction concernait plus la défense de ma vie que l’éducation de mon âme. C’était l’instruction ou pour mieux dire le plaidoyer de la vérité de nos relations, en ces moments où j’ai été si fortement éprouvée. C’est alors qu’il m’inspirait la réponse à toutes les difficultés que me faisait proposer par vous M. Dupérier. Sa voix, depuis ce temps, est non seulement une lumière pour moi, mais encore pour autrui. Sa voix me dit non seulement ce qui se passe en moi, mais aussi ce qui se passe en autrui. C’est elle qui m’a fait connaître bien souvent vos pensées, celles de M. Dupérier et de Mgr l’Évêque, comme vous avez pu vous en apercevoir par les réponses que je vous faisais.
Ainsi, Monsieur, selon la parole de Jésus, loin d’avoir perdu à la privation de sa vue sensible, j’y ai beaucoup gagné. J’y ai gagné plus de fermeté, plus de courage, plus de lumière et plus de communication de vérité.
Depuis, en me levant, j’offre à Dieu ma journée, mes actions, tout ce que j’ai et tout ce que je suis. Je me tiens chaque matin en mesure de résister aux épreuves qui surgiraient. Je fais ma méditation dans laquelle j’écoute la voix de Jésus ; je me tiens toujours en la présence de Dieu ; je lui rends de temps en temps dans la journée mes devoirs d’adoration et d’amour ; je me tiens unie à lui. J’adresse à Dieu mes prières et je le fais, ce me semble, avec plus de calme et de liberté, je dirai même avec plus de ferveur. Je m’élève vers Dieu et je me perds dans son immensité. Alors, qu’on m’ôte toute consolation, toute satisfaction, toute félicité, possédant Dieu je ne désire plus rien, et ma félicité et mon bonheur sont de n’en avoir d’autre que la possession de Dieu.
Quelque affliction qui m’advienne, je me dis : encore un peu de temps et tout sera fini ; ne refusons pas le calice rempli de fiel et d’amertume, buvons-le à longs traits, c’est le calice qui renferme le salut et le germe de la vie éternelle et de l’union à Jésus.
Ainsi rien ne sera capable de m’ébranler, je demeurerai toujours unie à Jésus, attendant patiemment l’heure où il accomplira ses desseins sur moi. Je ne suis pas digne de lui servir d’instrument. Qu’il fasse ce qu’il voudra, je suis prête à tout. Il m’a dit un jour : « Ma fille, les desseins de Dieu sont admirables et inconnus aux hommes. Vous êtes comme une fontaine, comme un bassin que Dieu a formé de ses mains et qu’il veut remplir de ses grâces, afin que nombre d’âmes viennent y puiser. Vous êtes comme une cire que je pétris par ma parole, que je moule par la tribulation, et que je dresserai comme un flambeau magnifique qui éclairera toutes les âmes qui voudront m’aimer après votre mort. Ce flambeau restera d’abord sous le boisseau, mais je le ferai paraître au grand jour et il dissipera les ténèbres. » C’est ainsi qu’il m’a parlé, que sa volonté soit faite ; je n’ai qu’un désir, celui de l’accomplissement de sa volonté. Je ne cherche ni la gloire ni l’approbation des hommes, je ne cherche que le bon plaisir de Dieu.
Un temps viendra où probablement je n’entendrai plus même la voix de Jésus. Ce sera l’annonce de ma mort prochaine, puisqu’il m’a assuré qu’ensuite et après un peu de temps je l’entendrai, je le verrai de nouveau face à face. Heureux temps ! car je l’espère, je serai unie à Jésus ; il me pardonnera et mes péchés et mes négligences, afin de me permettre de l’aimer toujours.
Voici une bien longue lettre, Monsieur le Curé ; je vous ai parlé selon la vérité de ma pensée et avec la liberté entière à laquelle vous m’avez habituée.
Je vous prie d’agréer les sentiments de profonde vénération avec laquelle je suis
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 24 juin 1843.