Dieu, la Sainte Trinité
1ère partie
Par Sœur Marie Lataste, mystique catholique
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus
à Jésus au Saint-Sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit
dans tous les siècles des siècles, Amen
Partie 2
Chap. 5, Les deux mouvements donnés à l’homme par Dieu :
L’un vers l’existence, l’autre vers Dieu
Deux amis véritables, éloignés l’un de l’autre, ne se contentent pas de penser chacun à son ami ; ils veulent aussi se voir de temps en temps, s’entretenir, et ces visites et ces entretiens augmentent leur affection réciproque. J’aime bien le Sauveur Jésus, mais je sens que je pourrais l’aimer davantage ; et l’aimer de plus en plus est le désir le plus intime de mon cœur. C’est pourquoi je vais, aussi souvent que je le puis, le visiter dans le sacrement de son autel. Là, je lui ai longtemps parlé toute seule. Je lui disais peu de choses, je ne savais lui dire que ces paroles : “Ô mon Jésus, je vous aime” ; ou bien : “Jésus, je vous donne mon cœur !” Ou encore : “Sauveur Jésus, augmentez mon amour pour vous.” Puis, quand je le quittais, je lui disais pour adieu : “Mon Sauveur, bénissez votre très humble servante !”
Le Sauveur Jésus m’a longtemps écoutée sans me faire entendre sa voix d’une manière sensible, mais j’entendais pourtant comme une voix intérieure qui ne prononçait pas de paroles, et cette voix pleine de douceur et de suavité me disait aussi :
— « Ma fille, je vous aime ; ma fille, j’accepte l’offrande de votre cœur ; ma fille, je vous bénis », et je me retirais contente.
Depuis qu’il a voulu me permettre d’entendre sa parole, j’ai remarqué que c’était toujours dans le lieu saint, pendant l’offrande du sacrifice de l’autel. Souvent il attend d’être descendu dans mon cœur ; c’est alors qu’il commence à m’entretenir ; quelquefois aussi c’est au moment de mon action de grâces. Il m’a rarement parlé avant la sainte messe, il l’a fait pourtant quelquefois. Quand je l’entends, je le vois face à face. Alors, il s’opère en moi comme un changement subit que je ne saurais exprimer. Il me semble que je suis seule avec le Sauveur Jésus ; je ne vois plus autre chose, je n’ai plus d’œil ni d’oreille pour les objets sensibles qui sont près de moi, je ne sens rien. Mes yeux ne voient que le Sauveur Jésus ; mes oreilles n’entendent que le Sauveur Jésus ; mon cœur n’aime que le Sauveur Jésus ; tout mon être n’a de sentiment que pour le Sauveur Jésus.
Voici ce qu’il m’a dit un jour en me parlant de l’homme :
— Dieu a créé l’homme. Le corps de l’homme a été fait de terre par les mains de Dieu. L’âme de l’homme a été produite par le souffle de Dieu, souffle plein de vie qui a animé le corps. Au commencement donc l’homme n’existait pas ; c’est Dieu qui l’a tiré du néant, et quand il a commencé, l’homme est encore demeuré semblable au néant ; car il n’a pu exister, il n’a pu se mouvoir, il n’a pu agir qu’autant que Dieu lui a continué l’existence, lui a donné le mouvement, lui a prêté l’action. Voilà pourquoi l’homme ne devrait jamais se fier sur soi-même, compter sur soi-même, espérer quelque chose de soi-même ; voilà pourquoi l’homme ne devrait vouloir que ce que Dieu veut, opérer que ce que Dieu commande. Ainsi l’homme tournerait son œil vers Dieu et non vers la terre ; ainsi l’homme marcherait vers Dieu qui l’attend et l’a fait pour lui, et non vers le mensonge et la vanité qui seront sa perte. L’homme vient de Dieu et doit retourner à Dieu. Il y a deux mouvements en l’homme : de son être créé par Dieu vers l’existence et de son être existant vers Dieu. Ces deux mouvements sont donnés à l’homme par Dieu ; et par ces deux mouvements, l’homme, s’il le veut, retournera infailliblement à Dieu. Je dis s’il le veut, parce que l’homme peut changer la direction de ce mouvement.
« Dieu, au commencement, avait fait l’homme : il l’avait fait grand et heureux. Il lui avait donné un monde dont il était le roi, un paradis dont il était le maître. Il l’avait fait son représentant sur la terre, il l’avait fait Dieu visible dans le monde pour rendre hommage au Dieu invisible du ciel. Il l’avait fait l’âme du monde, et son âme était celle par laquelle le monde donnait à Dieu son amour, et son esprit était celui par lequel le monde connaissait son auteur et son Dieu. Il devait en être ainsi, car l’ordre était là. Cet ordre a été dissous. Le second mouvement que Dieu avait donné à l’homme pour qu’il retournât à lui, l’homme le changea pour recevoir le mouvement du prince des ténèbres. Dès lors, l’homme ne marcha plus dans la voie de Dieu qui est la vérité, il marcha dans la voie de Satan qui est le mensonge. Le second mouvement donné à l’homme par son Créateur devait être à jamais anéanti, mais la miséricorde de Dieu vint s’opposer au triomphe de Satan. Je vins arrêter le mouvement de l’enfer en offrant à l’homme la force et le pouvoir de quitter ce mouvement. Je montrai de nouveau à l’homme la vérité, je montrai de nouveau à l’homme la voie ; je fis plus, je lui redonnai la vie qu’il avait perdue.
« Aujourd’hui, tout homme reçoit, comme au commencement, le premier mouvement, qui le lance dans la vie ; mais le second mouvement, qui relance l’homme vivant vers Dieu, ne lui est plus donné avec le premier mouvement. Le second mouvement le lance vivant dans la mort ; mais je suis là pour ressaisir l’homme par le baptême et le remettre sur le chemin qui mène à Dieu. Alors tout est réparé : l’homme est régénéré ; il marchera, s’il le veut, vers Dieu ou retournera à Satan, dont je l’ai délivré ; il marchera dans la vérité ou le mensonge.
« Voyez jusqu’où va la bonté de Dieu : il n’a pas voulu que je retirasse une seule fois l’homme de la voie de perdition ; il a voulu encore qu’à chaque heure du jour où l’homme criera vers Dieu, j’accourusse vers l’homme pour lui redonner la vie et le mouvement vers son Créateur par le sacrement de pénitence.
« Voilà ce que Dieu a fait pour l’homme, ce qu’il fait encore chaque jour : et l’homme, que fait-il pour Dieu ? Peut-on comprendre l’ingratitude de l’homme pour son Créateur et son Dieu ? Dieu est le bienfaiteur continuel et quotidien de l’homme, et l’homme un ingrat qui oublie chaque jour ce que Dieu fait pour lui. »
Chap. 6, Les deux servitudes de l’homme à Dieu :
L’homme est et doit être le serviteur de Dieu
Le lendemain du jour où le Sauveur Jésus m’adressa ces paroles, j’étais revenue auprès de lui. Pendant la sainte messe, je me rappelais ce qu’il m’avait dit la veille des deux mouvements de la créature, l’un de Dieu à l’existence, l’autre de l’existence vers Dieu. Afin de donner plus de force au mouvement qui me porte vers Dieu, je lui fis après la consécration l’offrande de mon corps, de mon âme, de mes facultés, de mes affections, de tout ce qui était en moi. Après cela, je vis le Sauveur Jésus au milieu de l’autel, assis sur un trône d’or. Sa figure était plus resplendissante que le soleil ; j’en étais éblouie. Il daigna voiler son éclat en ma faveur. Un ange sous une forme humaine s’approcha de moi, me prit par la main et me conduisit près de l’autel. Je restai là jusqu’à la fin de la messe, à genoux devant le Sauveur Jésus. L’ange était à ma droite, aussi à genoux. Il se leva, et je me levai avec lui pour aller vers Jésus, qui me dit :
— Vous avez présenté à Dieu une offrande qui lui a été agréable. Je vous accepte pour ma servante ; ma fille, réjouissez-vous ! »
Puis il ajouta :
— Vous vous êtes reconnue la servante de Dieu : cette reconnaissance est pleine de vérité et de justice, car l’homme est et doit être le serviteur de Dieu. Il doit vivre sous la servitude de Dieu, et pas un ne doit être exempt de cette servitude. Voyez l’homme ! Qu’est-il ? Est-il quelque chose par lui-même ? S’est-il donné l’existence lui-même ? A-t-il formé son corps et les membres de son corps ? Leur a-t-il donné la force, la vigueur, le mouvement, l’action ? Est-ce de l’intime de son être qu’il a tiré son âme ? De quelle manière a-t-il donné à son âme l’intelligence ? Où a-t-il pris pour son âme la puissance de vouloir ? Comment a-t-il doué son âme de souvenir ? Est-ce l’homme qui conserve par sa propre vertu et son corps et son âme ? Est-ce l’homme qui, par lui-même, et de lui-même, se donne le jour ? Est-ce l’homme qui fixe et règle l’heure de sa mort ? L’homme, de qui dépend-il dans sa naissance, dans son existence, dans sa mort ? N’est-ce pas de Dieu son Créateur ? La création de l’homme par Dieu, voilà la première servitude envers Dieu ; et nul homme ne peut s’en exempter, parce que nul homme ne peut se créer lui-même.
« Ô servitude admirable, servitude pleine de gloire, servitude infiniment heureuse, et combien peu comprennent cette servitude ! Dieu est Dieu, et par conséquent maître tout-puissant ; sa souveraineté n’a pas de bornes. Elle s’étend sur le corps et sur l’âme, sur toutes les actions possibles de l’homme, sur toutes ses pensées, même les plus secrètes. Elle s’étend sur sa vie, elle s’étend sur sa mort, elle va même au-delà du trépas. Cette souveraineté dure par-delà le temps, et pendant l’éternité Dieu sera encore le souverain de l’homme.

« Dieu est souverain de l’homme et souverain plein de bonté, plein d’amour, plein de tendresse. Pourquoi a-t-il créé l’homme ? Est-ce pour les mérites de l’homme qui n’existait pas, ou par pure bonté ? Comment Dieu exerce-t-il sa souveraineté sur l’homme ? N’est-ce pas avec l’affection la plus tendre qu’un père puisse avoir pour son enfant ? Ne semble-t-il pas que ce souverain de l’éternité se fasse l’esclave de l’œuvre de ses mains ? À chaque instant du jour, il veille sur son existence, il pourvoit à ses besoins, il le protège contre ses ennemis, il vient à lui quand il l’appelle, il lui accorde ce qu’il lui demande, il reçoit le nom de Père, il traite l’homme comme son fils, il s’abaisse vers sa créature infiniment plus que la créature ne le pourra jamais comprendre.
« Dieu Créateur est le souverain tout-puissant et tout aimant de l’homme. L’homme vit-il de bon cœur ou par force sous cette servitude ? L’homme est-il sujet soumis de Dieu ? L’homme accepte-t-il ce joug de Dieu ? Non, l’homme se révolte contre Dieu, méprise les commandements de Dieu, oublie Dieu et s’écrie même : “Il n’y a point de Dieu.”
« Il n’y a point de Dieu ! Parole insensée d’un serviteur coupable. Il n’y a point de Dieu ! Amis, il y aura pour celui qui parle ainsi une main puissante qui brisera la parole sur ses lèvres ; il y aura pour celui qui parle ainsi un bras vigoureux qui le terrassera et l’empêchera de se relever ; il y aura pour celui qui parle ainsi un lien, que les doigts de l’homme n’auront point tressé, qui enveloppera tous ses membres, le retiendra pendant l’éternité, et lui fera éprouver la justice de celui dont il n’a point voulu recevoir la miséricorde et l’amour. Il n’y a point de Dieu ! Il a dit vrai : pour cet homme, il n’y aura point de Dieu, félicité et bonheur suprême ; il n’y aura point de Dieu, souverain éternellement bon, éternellement aimable ; mais il y aura un Dieu éternellement offensé, un Dieu éternellement redouté, un Dieu éternellement juste, un Dieu éternellement vengeur de l’offense qui lui aura été faite.
« C’est là la seconde servitude de l’homme ; servitude dans la gloire, par laquelle, participant au bonheur de la vue de Dieu, il le louera éternellement ; ou bien servitude dans la malédiction, par laquelle, éprouvant les effets de la justice de Dieu, il lui rendra hommage dans les flammes de l’éternité.
« Ainsi Dieu sera toujours le souverain éternel de l’homme ; ainsi l’homme sera toujours le serviteur de Dieu. L’homme appartient à Dieu, parce que Dieu est son Créateur ; l’homme appartient à Dieu, parce que c’est de lui qu’il a tout reçu ; l’homme appartient à Dieu parce qu’il n’est rien sans lui. C’est là le souverain domaine de Dieu sur l’homme : jamais personne n’en dessaisira Dieu. Les hommes l’oublient, mais Dieu ne l’oubliera pas. »
Chap. 7, Dieu connaît toute chose, et rien n’arrive que par son ordre et selon sa volonté
— Ma fille, me dit un autre jour le Sauveur Jésus, Dieu connaît toute chose, et rien n’arrive que par son ordre et selon sa volonté. Conservez cette pensée dans votre cœur ; elle est pleine de vérité et de consolation. Elle est pleine de vérité ; car Dieu, Créateur et maître du monde et de tout ce qui est dans le monde, a, pour tout diriger, pour tout régler, pour tout conduire, une puissance égale à celle qui fit tout sortir du néant. Le Dieu qui a créé une première fois est le Dieu qui conserve tout, et, par cette conservation, semble tout créer de nouveau. Ainsi le ciel, la terre, les éléments sont soumis à la volonté de Dieu depuis le commencement des temps, comme ils lui furent soumis alors qu’il leur dit d’exister. Ainsi l’homme marche sous l’impulsion de la volonté de Dieu, naît, vit et meurt, s’agite et se remue, parce que Dieu lui dit de naître, de vivre, de mourir, et lui permet de s’agiter et de se mouvoir.
« Cette pensée est pleine de consolation pour ceux qui la possèdent et l’entretiennent dans leur cœur, parce que, dans quelque situation, dans quelque danger, dans quelque épreuve qu’ils se trouvent, sachant que c’est Dieu qui le veut ou le permet, ils peuvent mettre en lui leur espérance, et, loin de s’alarmer, lui dire, pleins de confiance : “Mon Dieu, que votre volonté soit faite et non la mienne !”
« Ne soyez jamais du nombre de ces insensés qui attribuent au hasard, au destin, à la volonté ou à la combinaison des hommes les événements heureux qui réjouissent, ou les malheurs qui affligent. Ne voyez en tout, ma fille, que la providence de Dieu, réglant, gouvernant et dirigeant tout ici-bas.
« L’âme juste voit la Providence dans tous les événements du monde, et ne cesse de la louer et la bénir.
« L’âme juste n’attribue point le gain d’une bataille à la valeur, au courage, au nombre des soldats, à l’habileté des capitaines ; elle l’attribue à la providence de Dieu, qui donne la victoire à qui il lui plaît.
« L’âme juste n’attribue point la prospérité d’un empire au gouvernement du prince de cet empire ; elle l’attribue à la providence de Dieu, lumière, conseil, puissance et soutien de ce prince.
« L’âme juste n’attribue point la chute d’une dynastie royale à la faiblesse ou à l’incurie des membres de cette dynastie ; elle l’attribue à la providence de Dieu, qui fait et défait les rois de la terre pour sa gloire et le bonheur des peuples ou leur châtiment.
« L’âme juste n’attribue point les fléaux, les inondations, la fureur des flots des mers, l’irritation du tonnerre, la famine, la peste, la guerre, les maladies, la mort, à des causes naturelles ; elle attribue tout à Dieu, qui commande à l’Océan comme à la foudre, qui donne l’abondance ou la stérilité, qui conserve la paix ou permet le trouble parmi les hommes, et leur envoie, quand il lui plaît, la maladie ou la santé.
« Si elle échappe à un danger, à un péril, à une mort imminente, l’âme juste reconnaît qu’elle a été protégée, délivrée, sauvée par son Dieu.

« Si elle réussit dans une entreprise, l’âme juste en remercie le Dieu du ciel qui lui a donné ce succès.
« En un mot, l’âme juste voit en tout et partout le doigt de Dieu ; et, toute pleine de reconnaissance et d’admiration, de soumission et de respect pour la Providence divine, elle bénit celui qui veille avec tant de soin sur elle et sur toute créature, qui pourvoit à tous les besoins spirituels et temporels de l’humanité, comme une mère à ceux de ses enfants, et dispose tout de manière à augmenter la couronne du juste et à ramener le pécheur à résipiscence [1].
« Voilà bien, en effet, ma fille, à quoi se résume l’action de Dieu sur les hommes : à rendre plus juste celui qui est dans la justice, et surtout à ramener dans la voie droite celui qui l’a quittée.
« L’homme souvent oublie Dieu pour s’appuyer sur des bras de chair : Dieu se retire un instant pour lui faire comprendre la faiblesse de l’appui qu’il a choisi, et l’homme revient à Dieu, qui lui tend les bras avec bonté. Le premier soutien de l’homme doit être Dieu ; c’est à sa providence qu’il doit s’abandonner et ne compter que sur elle.
« Néanmoins, il ne faut pas tellement tout attendre de Dieu qu’on néglige d’accomplir ce que la raison ou la nécessité prescrivent, car agir ainsi serait agir avec témérité et tenter Dieu. Or, Dieu ne cherche point à favoriser les téméraires ; il ne récompense que la foi de ceux qui espèrent de lui ce qu’ils doivent ou peuvent espérer.
« Oui, confiance en Dieu, confiance pleine et entière. Son bras n’est pas raccourci ; il fera plutôt un miracle, s’il est nécessaire, pour vous délivrer de vos ennemis ou empêcher la ruine de votre âme, que de laisser votre espérance déçue et frustrée. N’espérez donc qu’en Dieu et dans sa providence, et quelque chose qui vous arrive, sachez que tout vient de Dieu, et que pas même un cheveu ne tombera de votre tête sans permission. »
[1] Résipiscence : reconnaissance de sa faute avec réparation, amélioration, correction.