Sœur Marie Lataste
Lettre 42
Marie craint d’aimer le Sauveur Jésus
d’une manière trop sensible.
Le Sauveur la rassure et lui montre
qu’elle n’a rien à se reprocher à ce sujet.
Monsieur le Curé,
Je viens vous parler aujourd’hui de mes rapports avec le Sauveur Jésus. Vous m’aviez recommandé déjà plusieurs fois de vous renseigner à ce sujet ; ne pensez pas qu’il y ait eu mauvaise volonté de ma part si je ne l’ai point fait jusqu’à cette heure.
Quelques questions que vous m’avez posées m’ont fait penser à ce à quoi je n’avais jamais pensé. Les réflexions que j’ai faites à ce sujet ont soulevé des craintes dans mon âme, et je me suis demandé si l’amour que j’avais pour Jésus était pur. Il y a quelques jours, la bonté qu’il ne cesse d’avoir pour moi me porta à lui parler des peines que j’éprouvais. Je m’approchai et je lui dis : Ah ! Seigneur, je suis bien affligée ! Il me répondit : « Marie, quelle est votre affliction ? » – « Seigneur, lui dis-je, je crains que l’amour que j’ai pour vous ne soit pas pur, et cette pensée m’est très pénible. » Le Sauveur me sourit doucement et me dit : « Eh ! ma fille, quel est celui qui m’aime d’un amour pur ? » – « Seigneur, plus que personne, j’ai des reproches à m’adresser ; je suis péché et corruption, je sens le dérèglement et la dépravation qui sont en moi ; vous êtes la sainteté et la pureté même ; est-ce que je devrais même m’approcher de vous ? Ô Agneau sans tache, vous réunissez en vous toutes les perfections, vous possédez toutes les amabilités capables de ravir et de captiver les cœurs et de charmer les âmes ; il est impossible de vous voir sans vous aimer ! Mon Sauveur et mon Dieu, mon amour pour vous a-t-il été un amour pur et sans tache ?
Je vous ai vu avec les yeux de mon âme et de mon corps, aussi sensiblement qu’on vous voyait lorsque vous étiez sur la terre. J’ai été à genoux à vos pieds aussi sensiblement que cette Marie dont parle l’Évangile ; j’ai reposé sur votre sein aussi sensiblement que l’apôtre bien-aimé. Vous êtes saint et je suis péché, vous êtes juste et je suis coupable ; mon Sauveur et mon Dieu, mon amour pour vous a-t-il été un amour pur et sans tache ? J’ai renoncé à toute affection naturelle et terrestre, je me reprocherais d’en nourrir une seule dans mon cœur, je n’aime que vous, je n’ai d’affection que pour vous ; je vous aime autant que mon cœur est capable d’aimer. Vous m’avez dit vous-même, et je sens en moi la vérité de cette parole, que le cœur humain ne se suffisait pas à lui-même ; j’ai voulu appuyer mon cœur non sur la chair et le sang, mais sur vous qui êtes le Dieu trois fois saint ; je vous ai choisi pour mon partage et pour le repos de mon cœur, afin de vivre autant que je le pourrai dans la sainteté. Mon Sauveur et mon Dieu, répondez moi, mon amour pour vous a-t-il été pur et sans tache ? Mon amour pour vous, pour votre humanité qui se manifestait à moi n’a-t-il point été trop sensible et trop naturel ? Les témoignages que vous m’avez donnés de votre bonté et de votre affection pour moi ont-ils produit en moi un amour qui ne fût pas conforme à votre volonté ? Ô mon Sauveur, instruisez-moi, éclairez-moi. Que j’éloigne, que je repousse, que j’abhorre à jamais tout ce que vous voulez éloigner, repousser et abhorrer, afin que je puisse bénir votre nom dans tous les siècles des siècles. » Je m’arrêtai et mon ange répondit : Amen. Puis le Sauveur m’adressa ces paroles : « Ma fille, j’aime votre simplicité, votre candeur, votre innocence. Vous vous adressez à moi avec confiance, selon la recommandation que je vous en ai faite si souvent ; continuez à toujours agir ainsi, vous trouverez près de moi le calme et la paix, parce que je vous manifesterai la vérité.
« C’est une obligation de conscience, pour ceux qui vous dirigent, d’examiner et de considérer avec soin tout ce qui se fait en vous, afin qu’ils puissent vous prémunir contre les pièges du démon. C’est une obligation de conscience pour vous aussi de leur faire tout connaître, afin qu’ils puissent vous juger et vous mener dans la voie droite. Malgré votre bonne volonté, il est des choses pourtant qui demeureraient cachées en vous parce que vous ne penseriez nullement à les dévoiler : Alors pour ma gloire et pour votre bien, je porte les yeux de votre directeur là-dessus, afin qu’il vous interroge et que rien ne demeure inaperçu.
« Par conséquent, ma fille, quelles que soient les questions qui vous seront posées, demeurez toujours calme, conservez la paix en vous ; conservez-la surtout par rapport aux faveurs particulières que je vous ai accordées et aux témoignages d’affection que je vous ai donnés. Il n’est rien en cela que vous deviez éloigner, repousser ou abhorrer.
« Je suis votre père, votre époux, votre Dieu. J’ai droit à votre amour comme père, comme époux, comme Dieu ; j’ai droit à ce que vous me donniez des témoignages de cet amour ; j’ai droit à ce que vous attachiez votre cœur à mon cœur et à ce que vous ne l’en sépariez jamais. J’ai ce droit comme votre père ; le cœur d’un père et celui de son enfant ne doivent former qu’un cœur. J’ai ce droit comme votre époux ; le cœur d’un époux et celui de son épouse ne doivent former qu’un cœur. J’ai ce droit comme votre Dieu ; votre cœur doit m’être tellement uni qu’il ne vous appartienne plus et que vous l’abandonniez entièrement aux mouvements de ma grâce.
Or, ma fille, je vous rends ce témoignage, vous m’aimez comme votre père, comme votre époux, comme votre Dieu, et toujours votre amour a été conforme à ma volonté, c’est-à-dire qu’il a été un amour saint. Pourquoi craindriez-vous donc qu’il y eût eu quelque chose de trop humain et de trop naturel dans votre amour ? Serait-ce parce que vous avez senti la joie et la félicité surabonder dans votre cœur ? Mais c’est là précisément la récompense que je donne à tous ceux qui m’aiment. Serait-ce parce que vous sentez toujours croître votre amour pour moi et que vous craignez de ne jamais atteindre le haut degré auquel vous devez vous élever pour m’être agréable ? Mais, ma fille, l’entretien, la vie, l’accroissement, la perfection de l’amour, c’est d’aimer encore, d’aimer toujours et de ne jamais cesser d’aimer. Et ne mériteriez-vous pas mes reproches les plus amers, si vous ne sentiez pas votre cœur s’attacher à moi quand je vous fais entendre ma parole, quand je me manifeste à vous, quand je vous permets de vous prosterner à mes pieds, quand je vous laisse reposer sur mon cœur, quand je vous console dans votre affliction, qu and je vous comble de mes faveurs les plus signalées ?
« La crainte qui est dans votre âme, est une preuve bien convaincante de la pureté de votre amour ; elle est une preuve irréfragable que votre amour pour moi est tel qu’il doit être, pur et saint. Méprisez les artifices du démon qui ne cherchera qu’à vous troubler pour vous séparer de moi. Augmentez toujours votre amour pour moi, et il augmentera aussi en pureté et en sainteté. Pour cela reposez-vous, non dans vos sentiments affectueux pour moi, mais dans l’affection que j’ai pour vous ; reposez-vous, non dans votre amour pour moi, mais dans mon amour pour vous. Aimez-moi en oubliant votre amour pour ne vous rappeler que mon amour ; aimez-moi et déposez votre amour pour moi dans mon cœur, afin que je place dans votre cœur mon amour pour vous.
« Vous avez encore beaucoup à faire, ma fille, pour m’aimer comme je le désire ; craignez de me déplaire en ne suivant pas les mouvements que je donne à votre cœur. Soumettez néanmoins ces mouvements à votre directeur, je veux qu’il ratifie chacune de mes paroles par sa parole, afin que vous ayez le mérite d’une double obéissance. »
Pardonnez, Monsieur le Curé, ma simplicité. En vous rapportant cet entretien que j’ai eu avec le Sauveur Jésus, je vous dis les sentiments les plus intimes de mon cœur pour le divin Maître, alors qu’il se manifeste à moi. Je soumets cet entretien à vos lumières ; jugez-en pour la plus grande gloire de Dieu et le bien spirituel de mon âme.
Daignez recevoir, je vous prie, l’hommage de mon plus profond respect et de ma vive reconnaissance.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Curé,
Votre très humble servante,
Marie.
Mimbaste, 30 juin 184
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Lettre 43
La communion spirituelle
Monsieur le Curé,
C’est par soumission et par obéissance que je viens vous faire part d’une nouvelle faveur que Jésus veut m’accorder. Il veut se donner à moi plusieurs fois pendant la journée par la communion spirituelle.
Je lui ai parlé ainsi : « Seigneur, combien de fois désirez-vous que je vous reçoive en moi par la communion spirituelle ? » Le Seigneur m’a répondu : « Ma fille, vous communierez spirituellement le matin à votre lever, et puis après votre prière du matin, selon votre habitude ; vous communierez encore deux fois pendant la journée, et enfin après votre prière du soir. Je désire entrer en votre cœur cinq fois par jour par la communion spirituelle. »
J’ajoutai : « Seigneur, quelles sont les préparations nécessaires pour ces communions ? » – « Ma fille, la préparation pour la communion spirituelle n’est pas bien difficile ; il n’est pas nécessaire que vous fassiez tous les actes de la communion sacramentelle ; recueillez-vous un instant, présentez-vous en esprit devant mon tabernacle, et dites-moi : Seigneur Jésus, descendez dans mon cœur ! Cela suffit. Mais vous devez, dans chaque communion spirituelle, vous proposer un but, par exemple d’obtenir une grâce ou une vertu en particulier. Vous pouvez aussi communier spirituellement dans l’intention que je vous ai suggérée pour vos communions sacramentelles, qui est d’obtenir de Dieu, mon Père, par mes mérites et la communion que vous faites, les grâces nécessaires pour connaître et accomplir parfaitement sa sainte volonté. Quand vous n’auriez jamais que cette intention, elle me serait toujours agréable ! »
Quand le Sauveur m’eut ainsi parlé, il me vint la pensée de lui demander comment je devais me conduire pour les communions spirituelles, dans les jours où j’aurais le bonheur de communier sacramentellement. Le Sauveur Jésus me répondit : « Ma fille, vous me serez agréable de communier spirituellement, même en ces jours, de la manière que je vous ai indiquée. Vous ne sauriez jamais trop recevoir en vous la vertu et la grâce du sacrement de mon amour. »
Mon intention était de vous rapporter ceci de vive voix ; le Sauveur Jésus m’a dit de vous le donner par écrit.
Je vous le disais il y a peu de temps, je suis bien contente ; le bonheur que j’éprouve parfois ne saurait s’exprimer. Combien Dieu est un bon père ! Il a hâte d’adoucir et de dissiper même, par l’onction de sa grâce qui guérit, qui soutient et qui fortifie, les peines qui viendraient affliger mon cœur et troubler mon esprit.
Aimez-le, bénissez-le, remerciez-le pour moi, je vous prie ; demandez-lui qu’il me préserve de tout ce qui pourrait lui déplaire.
Daignez recevoir, Monsieur le Curé, les sentiments de reconnaissance, de soumission, de respect que je vous offre avec l’assurance de ma plus parfaite considération.
Votre très humble et très indigne servante,
Marie.
Mimbaste, 6 juillet 1843.