Dieu, la Sainte Trinité
36ème partie
Par Sœur Marie Lataste, mystique catholique
LIVRE 9
Les vertus morales
et les dons du Saint-Esprit
Chap. 3, La force
« La vertu de force pose dans l’âme la fermeté nécessaire pour soutenir ou repousser ce que la raison et la foi disent de repousser ou de soutenir.
« La force est une vertu qui repousse une crainte coupable qui empêcherait de faire le bien, et qui chasse au loin une témérité qui ferait entreprendre une œuvre contraire à la raison.
« La force est dans l’âme comme le tronc d’un arbre qui soutient l’arbre, les branches, les feuilles et les fruits, la force soutient toutes les autres vertus. Par conséquent, ma fille, si vous ne voulez point perdre les vertus que Dieu a mises dans votre âme, vous devez conserver et tâcher d’augmenter la vertu de force en vous. Par elle vous conserverez le bien qui est en vous, par elle vous perfectionnerez ce bien, vous y attirerez celui qui n’y est point encore.
« Car si vous avez la vertu de force, vous ne craindrez ni les périls, ni la mort ; vous ne craindrez ni les épreuves, ni les afflictions, ni les douleurs, ni les misères de la vie ; vous ne craindrez ni les attaques du démon, ni ses tentations ; vous ne craindrez ni les assauts du monde, ni ceux de vos passions.
« Vous combattrez noblement tous vos ennemis, ne cherchant pas votre gloire, mais celle de Dieu.
« Vous entreprendrez avec sécurité tout ce que Dieu vous inspirera sans craindre de vous tromper, sans craindre de ne pas atteindre votre fin.
« Vous ne regretterez rien de ce que vous pourrez donner à Dieu, ni jeunesse, ni fortune, ni tranquillité, ni bonheur ; vous lui donnerez tout et vous reposerez en lui, comme un enfant sur les genoux de sa mère.
« Vous serez patiente et soutiendrez sans faillir les épreuves de la vie, sans vous troubler intérieurement ni manifester extérieurement votre tristesse.
« Vous soutiendrez longtemps les peines de votre corps et de votre âme, les maladies de votre corps, les aridités et la sécheresse de votre âme. Vous soupirerez vers la patrie du ciel, il est vrai, mais vous attendrez patiemment l’heure de Dieu.
« Vous persévérerez dans le bien jusqu’au dernier instant de votre vie. Jusqu’à la mort, vous ferez le bien et éviterez le mal.
« Vous serez comme une colonne de fer assise sur un roc de l’océan. Vainement les flots et les vents se déchaînent contre elle, elle demeure inébranlable. Vous serez ainsi, ma fille, vous serez ferme comme la montagne de Sion. »
Chap. 4, La tempérance
« La tempérance est la quatrième des vertus morales. On peut considérer la tempérance d’une manière tout à fait générale : alors on entend par tempérance une règle quelconque dans les actions et l’usage de la vie. Je veux vous entretenir de la vertu de tempérance, c’est-à-dire de la règle qui dirige l’homme dans l’usage des choses qui le captivent le plus et peuvent le plus facilement le séparer du bien, savoir, les plaisirs de la nourriture et des sens.
« Les vertus morales sont celles qui dirigent le cœur de l’homme selon la raison des choses, pour l’éloigner du mal et lui faire pratiquer le bien dans l’usage des créatures.
« Or, parmi les choses qui se portent contre la raison et voudraient l’opprimer, il n’en est pas dont l’empire soit plus puissant que celui des plaisirs des sens, d’autant plus sentis qu’ils viennent d’un acte plus naturel ou plus en rapport avec la nature ; par conséquent, le plaisir sera plus grand dans les actes qui tendent à la conservation de la nature humaine. Ces actes peuvent être considérés par rapport à la conservation de l’individu, qui s’opère par le boire et le manger, ou par rapport à la conservation de l’espèce humaine, qui s’opère par la génération. Voilà les actes les plus naturels à l’homme, les actes où il éprouve le plus de plaisir, les actes, par conséquent, qui tendent le plus à l’éloigner de Dieu. C’est donc sur ces actes que la raison, qui a été donnée à l’homme pour lui servir de lumière et de guide, doit s’exercer d’une manière toute particulière. C’est l’exercice de cette raison et la règle par laquelle elle dirige ces actes qui est la vertu de tempérance.
« Par la vertu de tempérance que Dieu lui donne, l’homme exerce une domination ferme et juste sur les plaisirs qui sont dans le goût et le toucher, pour vivre d’une manière raisonnable et conformément aux desseins de Dieu sur lui.
« On distingue dans la vertu ce qui est nécessaire pour son existence, les objets sur lesquels elle se porte et les effets qu’elle produit.
« Or, deux choses sont essentielles à la vertu de tempérance, savoir ; la honte, ou ce sentiment qui éloigne de la turpitude de tout acte contraire à la tempérance, et l’honnêteté, ou ce sentiment qui fait aimer la beauté inhérente à la tempérance ; car, entre toutes les vertus, la tempérance réclame cet honneur qui ressort de la vertu, et l’intempérance, le déshonneur qui ressort du vice.
« La vertu de tempérance a pour objet principal le toucher, dont elle règle l’usage.
« C’est la tempérance qui règle la sensation de plaisir qu’on éprouve au toucher. C’est pourquoi toute vertu qui tend à refréner, à modérer ou à diriger une inclination quelconque vers le mal, est une partie de la vertu de tempérance. Or, les vertus produisent cet effet de trois manières : en agissant sur les mouvements intérieurs du cœur, sur les mouvements extérieurs et les actes du corps, ou bien en observant la valeur réelle des choses de la vie.
« Outre les sensations du toucher, la tempérance règle encore les mouvements de l’âme qui l’attirent vers quelque chose, attraction qui est le toucher intérieur de l’âme.
« Le premier mouvement est celui de la volonté, émue par l’impétuosité de la passion ; il est maîtrisé par la continence, qui fait que l’homme, éprouvant les assauts de la concupiscence, loin d’être battu par elle, lui résiste et lui commande en maître.
« Le second est celui que produit une espérance fausse et une audace criminelle ; il est réprimé par l’humilité, qui ne s’attend à rien, qui ne réclame rien et se croit incapable de tout par elle-même.
« Le troisième est celui de la colère, qui porte à la vengeance ; il est réprimé par la douceur et la clémence.
« La tempérance règle aussi les mouvements du corps en lui-même, par la modestie et les mouvements de la langue, par la réserve et le silence ; elle règle enfin les mouvements du corps vers les choses créées, par la discrétion, la pauvreté et l’économie.
« Ma fille, je vous ai déjà parlé de la pureté, de la chasteté, de la virginité et de la pauvreté. Je vous parlerai maintenant sur la honte, l’honnêteté, l’abstinence, la sobriété, la continence, l’humilité, la douceur, la clémence, la modestie, le silence, la discrétion et l’économie.
« Je vous ai dit, ma fille, que les sentiments de honte et d’honnêteté sont deux sentiments ou deux inclinations de l’âme nécessaires pour la vertu de tempérance.
« La honte est la crainte du déshonneur par l’accomplissement d’un acte mauvais. Il y a quatre espèces de honte : celle du mal qu’on a commis, celle du mal qu’on commet, celle qui fait éviter le mal et celle qui empêche de faire le bien.
« La honte qui empêche de faire le bien est coupable, mauvaise, c’est le respect humain ; ne craignez jamais de faire le bien, n’en rougissez jamais, ne craignez que le mal.
« La honte du mal qu’on commet est mauvaise, si elle ne produit rien que la fuite des regards d’autrui, si elle ne fait point éviter le péché.
« La honte du mal qu’on a commis est bonne, si elle porte à éviter le mal ; elle est sans effet véritable, si elle ne fait point éviter le péché.
« La honte qui empêche non seulement de commettre le péché, mais encore qui le fait fuir et donne de l’horreur pour lui, est bonne et appartient à la vertu de prudence.
« Cette honte ne mérite point le nom de vertu dans sa signification véritable, parce que le mot vertu implique en lui-même un certain degré de perfection. Or dans la honte, il n’y a que tendance à fuir le mal.
« Ainsi la honte ne se trouve ni dans ceux qui sont endurcis dans le vice, ni dans les parfaits. Les uns ne font que le bien, les autres, loin de craindre l’opération du mal, vivent continuellement dans le mal.
« Elle n’est point dans les enfants, parce qu’elle suppose un jugement, et qu’ils n’ont point l’usage de la raison et ne peuvent juger de rien.
« La honte se trouve dans les imparfaits qui tendent vers la perfection ; elle est d’autant plus forte, elle a d’autant plus d’empire sur les hommes, que le vice ou le péché est plus grand, qu’ils se trouvent en face de personnages probes et vertueux, ou de personnes qui les voient plus souvent et sont plus à même de s’apercevoir de leurs défauts.
« Pour que la honte ne soit pas nuisible et qu’elle soit avantageuse, il faut tantôt l’éviter et la mépriser, et tantôt la modérer ou l’exciter en soi.
« Il faut fuir et éviter la honte dans tout ce qui est bon. Si vous rougissez de moi, ma fille, pendant votre vie, je rougirai de vous à la fin des temps.
« Il faut mépriser la honte dans les conditions et les états où il n’y a aucun motif de rougir, ni crainte de déshonneur, comme la pauvreté et la misère.
« Il faut modérer la honte que l’on a des péchés dont on s’est rendu coupable, afin qu’elle n’empêche point d’en faire l’aveu au ministre chargé de les pardonner.
« Il faut exciter la honte en soi quand on est tenté violemment et qu’on court le risque de tomber dans le péché. C’est alors le moment de considérer la noirceur de l’offense envers Dieu et l’opprobre dont on se couvre par cette faute, parce que cette vue fait éviter le péché.
« La honte est essentielle à la vertu de tempérance ; le second sentiment nécessaire à cette vertu c’est l’honnêteté.
« L’honnêteté est le sentiment de l’âme qui fait aimer la beauté inhérente à la vertu ou à la tempérance. Elle consiste dans le jugement de l’excellence d’un acte que l’on accomplit, et comme tout acte bon est beau, et tout acte beau digne d’honneur, celui qui a l’honnêteté juge de la bonté et de la beauté de cet acte et de l’honneur qui lui revient.
« L’honnêteté est l’accomplissement d’un acte bon dicté par le jugement intime de l’âme. Ainsi elle a sa source, son principe dans l’intérieur, mais elle ressort extérieurement par l’accomplissement de l’acte, et c’est l’acte bon accompli qui fait juger de l’honnêteté de quelqu’un. Tant que l’acte n’est point accompli, on ne peut juger de l’honnêteté de celui qu’on examine, ni lui rendre l’honneur qu’il mérite.
« Or, comme la tempérance est précisément la vertu qui incline à faire le bien et à éviter le mal, vous comprenez, ma fille, que l’honnêteté doit nécessairement précéder la tempérance et être constamment avec elle.