ASDE N° 014 : Marie Lataste

Dieu, la Sainte Trinité

3ème partie

Par Sœur Marie Lataste, mystique catholique

 

Chap. 15, La gloire de Dieu ne dépend pas du salut de l’homme. « Dieu, dans ses jugements secrets et impénétrables, a voulu qu’une partie de l’humanité glorifiât sa miséricorde dans l’éternité, et l’autre, sa justice. »

« La gloire de Dieu ne dépend nullement du salut de l’homme. Il est à lui-même sa propre gloire. Il veut néanmoins que l’homme lui rende gloire, mais il lui laisse la liberté de la lui refuser. S’il rend gloire à Dieu, l’homme sera sauvé ; s’il la lui refuse, il sera réprouvé. Mais que l’homme soit sauvé ou damné, Dieu ne perdra rien de sa gloire ; les élus rendront gloire éternellement à sa miséricorde, et les réprouvés, à sa justice. C’est là, du reste, la destination de tous les hommes. Dieu, dans ses jugements secrets et impénétrables, a voulu qu’une partie de l’humanité glorifiât sa miséricorde dans l’éternité, et l’autre, sa justice. »

Chap. 16, « Dieu donne à tous les grâces nécessaires pour qu’ils opérent leur salut. »

Ces dernières paroles avaient fait une profonde impression sur mon esprit ; je ne les comprenais pas, je ne savais les expliquer. Aussi, quand on me demanda quelle signification j’avais voulu leur donner, je dus répondre seulement qu’elles s’étaient gravées dans mon esprit comme le Sauveur Jésus les avait prononcées. Mais un jour que j’avais le bonheur de le posséder en moi par la sainte communion, je me mis à genoux près de lui, comme un enfant près de sa mère, et, avec la simplicité d’un enfant, je le suppliai aussi de m’expliquer le sens de ces paroles, si telle était sa volonté. Alors, le Sauveur Jésus me dit :

 Ma chère fille, Dieu, dans ses jugements secrets et impénétra­bles, a destiné les uns pour glorifier sa miséricorde et les autres pour glorifier sa justice. Voici l’explication de ces paroles :

« Dieu, étant souverainement parfait, connaît tout ? »

Je répondis :

 Oui, Seigneur. 

 Le passé, le présent et l’avenir ne sont pour Dieu qu’une seule et même chose ; pour lui, l’avenir et le passé sont toujours présents ?

Je répondis :

 Oui, Seigneur. 

 Or, Dieu avait résolu de toute éternité de créer le monde et de créer l’homme. Il savait de toute éternité que l’homme pécherait ; il savait de toute éternité quels seraient les péchés des hommes. Aussi, quand il est dit dans les livres saints que Dieu se repentit d’avoir créé le monde à cause des péchés des hommes [1], vous ne devez point l’entendre en ce sens que Dieu, avant la création du monde, n’avait point prévu les péchés des hommes. Car s’il en eut été ainsi, Dieu ne serait pas parfait. Dieu, dans sa prescience, connaissant les iniquités de tous les hommes, savait donc le véritable nombre des élus et des réprouvés ; en sorte que pas un ne sera damné ou sauvé que Dieu ne l’ait prévu de toute éternité. Mais ne pensez pas pour cela que Dieu refuse aux réprouvés les grâces qui leur sont nécessaires pour se sauver. Dieu les leur accorde, mais ils n’y correspondent pas ; et c’est pour cela qu’ils sont réprouvés, et c’est pour cela aussi que Dieu a prévu leur réprobation. Or, cette prévision de Dieu n’influe en rien sur la réprobation des hommes, car elle n’a aucune action sur l’homme qui conserve toute sa liberté, et peut abuser ou non des grâces de Dieu. Si la prévision de Dieu influait sur la réprobation de quelqu’un, Dieu ne voudrait pas le salut de celui-là. Or, il est certain que Dieu veut le salut de tous, et qu’il donne à tous les grâces nécessaires pour qu’ils opèrent leur salut. C’est parce que l’homme se perd que Dieu le prévoit, et non parce Dieu le prévoit que l’homme se perd et se damne. Dieu donne des grâces, mais il laisse avec elles la liberté, et l’homme, en donnant ou refusant sa correspondance à ces grâces, se damne ou se sauve librement.

« Quand Dieu créa l’homme, il lui donna une âme douée de nobles qualités et capable de le connaître, de l’aimer et de le servir. Il lui donna la liberté de le servir ou de lui être infidèle, de lui obéir ou de se révolter contre lui ; car il veut une servitude libre et volontaire. Il fit l’homme roi de la nature et lui permit de manger du fruit de tous les arbres, excepté d’un seul, le menaçant de mort s’il en mangeait, mais ne lui enlevant pas pour cela la liberté d’en manger s’il le voulait.

« L’homme, usant de sa liberté, mangea du fruit défendu, et Dieu, qui est souverainement juste, dut le punir. Dès lors la justice de Dieu éclata sur l’homme tant spirituellement que temporellement. Cette offense de Dieu demandait séparation radicale et éternelle entre l’homme, péché, et son Créateur, sainteté par excellence ; ou bien il fallait à Dieu une réparation de l’offense de l’homme. L’homme ne pouvait donner cette réparation, il ne pouvait que demeurer victime de l’éternelle malédiction. La miséricorde de Dieu pourtant, touchée de compassion pour l’homme, qui était son ouvrage, ne put se résoudre à le détruire, à le perdre pour jamais. Elle me proposa de donner la satisfaction que l’homme ne pouvait donner. J’acceptai le rôle de réparateur, et, en donnant à Dieu réparation, j’obtins non seulement le pardon de l’offense de l’homme, mais encore les grâces qui lui étaient nécessaires pour opérer son salut. Car le péché du premier homme l’avait tellement dégradé et entraîné, lui et toute sa postérité, vers le mal que, de lui-même, il lui était impossible de résister au mal et d’opérer le bien. C’est moi qui, par ma mort, ai procuré à l’homme la résistance au mal et l’opération du bien. Ainsi, l’homme se sauve et obtient la grâce de Dieu par moi seul, depuis que je suis venu sur la terre, et, avant que je me fusse incarné, par la foi en ma réparation, en mes mérites de Rédempteur et de Sauveur, foi fondée sur la promesse que Dieu fit à Adam, immédiatement après sa faute, de lui donner un réparateur dont la mort effacerait le péché des hommes.

« La grâce, avant comme après ma naissance et ma mort, est offerte à l’homme à cause de mes mérites. Tous les hommes la reçoivent, et tous ont la liberté d’y correspondre ou d’y résister : ils obtiennent le salut par leur correspondance, et se perdent par leur résistance à cette même grâce. Ainsi, si l’homme se perd, ce n’est pas parce que Dieu ne lui a pas donné assez de grâces pour se sauver, ni parce que la grâce de ma rédemption n’a pas été suffisante ou ne s’est pas appliquée à tous ; non, la grâce donnée à chaque homme lui suffit pour opérer son salut, et la grâce de ma rédemption aurait seule pu sauver mille mondes. L’homme ne correspond pas à la grâce et se perd.

« Or, il est certain qu’il y a des hommes qui résistent et résisteront encore à la grâce, et qui par conséquent seront damnés. Il est certain que Dieu sait tout de toute éternité, et qu’il connaît par conséquent quels sont ceux qui seront rebelles. Il est certain que Dieu aurait pu sauver tous les hommes. Pourquoi donc, prévoyant quels sont ceux qui seraient damnés, les a-t-il créés ? Pourquoi, pouvant les sauver tous ne l’a-t-il point fait ? C’est là une chose que l’esprit de l’homme ne peut pénétrer et devant laquelle il doit abaisser et soumettre sa raison, pour adorer profondément les conseils et les jugements secrets de Dieu, qu’il n’est point permis à l’homme d’approfondir. Il doit suffire à l’homme de savoir qu’il peut et qu’il doit se sauver, qu’il a les grâces nécessaires pour cela, et que, s’il se perd ou se sauve, ce sera parce qu’il l’aura voulu, et non parce que Dieu, pour qui tout est présent de toute éternité, aura toujours prévu que l’homme serait sauvé ou damné. Il suffit à l’homme de savoir que Dieu aurait pu ne pas lui donner un Sauveur, et que, ne le lui donnant pas, il aurait été souverai­nement juste en punissant éternellement tous les hommes. Il suffit à l’homme de savoir que si Dieu a voulu lui donner un Sauveur, ce n’a été que pour lui permettre de glorifier éternellement sa miséricorde, s’il correspond à la grâce de son salut ; et pour l’obliger à glorifier sa justice si, après s’être révolté contre Dieu son Créateur, il se révolte aussi contre Dieu son Sauveur. »

Après ces paroles, que le Sauveur Jésus m’adressa à peu près ainsi, autant que je me le rappelle, il m’interrogea de la manière suivante :

 Ma fille, l’homme est-il libre de faire le bien ou le mal ? 

Je répondis :

 Oui, Seigneur.

 Peut-il faire le bien ?

 Oui, Seigneur, avec la grâce de Dieu.

 De qui attend-il la grâce ?

 De Dieu.

 L’homme peut-il, à cause de lui-même, attendre cette grâce de Dieu ?

 Non, Seigneur, c’est en votre considération, par vos mérites et par la miséricorde de Dieu qu’elle lui est donnée.

 Que faut-il pour être sauvé ou damné ?

 Correspondre à la grâce ou bien y résister.

 L’homme peut-il de lui-même correspondre à la grâce ?

 Non, Seigneur, il faut encore pour cela une grâce nouvelle, la grâce de la correspondance.

 Dieu est-il obligé de la donner ?

 Dieu n’est pas obligé de la donner, mais il s’est engagé à l’accor­der à tous ceux qui la lui demandent.

 Dieu la donne-t-il toujours à ceux qui la lui demandent ?

 Oui, Seigneur, à ceux qui la lui demandent comme il faut.

 Comment Dieu veut-il le salut de tous les hommes ?

 Il le veut d’une volonté conditionnelle, c’est-à-dire en ce sens que les hommes feront ce qu’il leur demande, et non d’une volonté absolue, parce qu’il veut laisser aux hommes la liberté de se sauver.

 Pourquoi Dieu veut-il que l’homme ait la liberté de se sauver ?

 Seigneur, parce qu’il le veut. Je ne puis en dire davantage.

 Très bien, ma fille. Ainsi rappelez-vous toujours ce que vous venez de me dire, que ce n’est point la grâce qui fait les saints, mais la correspondance à la grâce ; que cette correspondance est une grâce et pour ainsi dire la grâce des grâces ; que cette grâce n’est pas au pouvoir de l’homme, mais qu’elle vient de Dieu ; que Dieu ne la doit à personne, mais qu’il ne la refuse jamais quand on la lui demande.

« Dieu a-t-il besoin de l’homme ? »

 Non, Seigneur.

 Qu’a mérité l’homme par son péché ?

 La mort éternelle.

 Dieu est-il le maître de l’homme ?

 Oui, Seigneur.

 Qu’est-ce que l’homme ?

 Une créature raisonnable, dépendante de Dieu, son Créateur.

 Qu’a fait dès le commencement cette créature que vous dites dépendante de Dieu ?

 Elle s’est révoltée contre Dieu.

 Était-il juste que Dieu infligeât une punition à l’homme ?

 Oui, Seigneur.

 Pourrait-on trouver injuste que Dieu, après le péché de l’homme, n’eût voulu sauver qu’une partie des hommes ?

 Non, Seigneur, mais il a voulu les sauver tous, et il veut que tous soient sauvés.

 Comment se fait-il que Dieu, voulant le salut de tous les hommes, tous ne soient pas sauvés ?

 C’est que la volonté des hommes est opposée à celle de Dieu.

 La volonté de Dieu ne pourrait-elle donc pas triompher de la volonté des hommes ?

 Elle le pourrait, mais elle ne le veut pas, parce que Dieu a fait l’homme libre.

 Dieu abandonne-t-il les âmes, ou bien les âmes abandonnent-elles Dieu ?

 Ce sont les âmes, Seigneur, qui abandonnent Dieu ; elles ne correspondent plus à la grâce, perdent l’amitié de Dieu et tombent dans le péché.

 Est-ce volontairement que l’âme commet le péché et avec une entière liberté ?

 Oui, Seigneur ; sans cela, il n’y aurait point de péché.

 Serait-il impossible à Dieu de l’empêcher de pécher ?

 Non, Seigneur.

 Que fait donc Dieu en n’empêchant point une personne de l’offenser ?

 Il la laisse user de sa liberté.

 Et quand cette âme a parcouru le cours de son existence sur la terre, que fait Dieu ?

 Il fait ce qu’il doit faire ; il exerce sur elle un jugement de justice.

 Comment Dieu exerce-t-il sur cette âme un jugement de justice ?

 En lui rendant selon ses œuvres, c’est-à-dire en la punissant.

 Dieu a-t-il le droit de la punir ?

 Oui, Seigneur.

 Est-il injuste s’il le fait ?

 Non, Seigneur, parce qu’il ne lui donne que ce qu’elle a cherché, et la justice de Dieu apparaît dans la peine qu’il lui inflige.

 Pensez-vous que Dieu ne trouve jamais de correspondance à sa grâce ?

 Non, Seigneur ; je crois qu’il y a des âmes qui correspondent aux grâces de Dieu.

 Ces âmes correspondent-elles volontairement ?

 Oui, Seigneur.

 Que doit faire Dieu pour les âmes qui correspondent à sa grâce ?

 Les récompenser, et ne point rendre inutile la miséricorde que vous leur avez procurée par votre mort.

 Quel sera donc le jugement de Dieu sur ces âmes ?

 Un jugement de miséricorde.

 Et sur les âmes rebelles ?

 Seigneur, ce sera au contraire un jugement de justice.

 Que fera donc pendant l’éternité l’âme qui aura résisté à la grâce de Dieu ?

 Elle servira de témoin à la justice divine qui punit le mal et l’iniquité.

 Que pensez-vous de ce témoignage ?

 Seigneur, il me semble qu’il sera la manifestation de la justice de Dieu.

 Et la manifestation de la justice de Dieu, est-ce autre chose que la glorification de cette même justice ?

 Non, Seigneur ; car rendre témoignage à Dieu, c’est le glorifier.

 Que fera pendant l’éternité l’âme qui aura correspondu à la grâce de Dieu ?

 Elle servira de témoin à la miséricorde divine qui récompense le bien et la vertu.

 Que pensez-vous de ce témoignage ?

 Seigneur, il me semble qu’il sera la manifestation de la miséri­corde de Dieu.

 Et la manifestation de la miséricorde de Dieu, est-ce autre chose que la glorification de cette même miséricorde ?

 Non, Seigneur ; car rendre témoignage à Dieu, c’est le glorifier.

 Or, croyez-vous qu’il ait fallu que Dieu attendît l’existence des hommes pour savoir s’ils seraient fidèles ou infidèles à sa grâce ?

 Non, Seigneur.

 Pourquoi ?

 Parce que Dieu est éternel, que le passé n’existe pas pour lui, et qu’il voit en une seule vue le passé, le présent et l’avenir.

 Si la vue de Dieu est éternelle, sa connaissance de toutes choses n’est-elle pas éternelle aussi ?

 Oui Seigneur.

 Si Dieu voit et connaît de toute éternité, quel doit être le complé­ment de cette vue et de cette connaissance éternelle ?

 Seigneur, un jugement éternel.

 Quel sera ce jugement en faveur des âmes fidèles ?

 Un jugement de bonheur éternel.

 Et pour les âmes infidèles ?

 Un jugement de malheur éternel.

 Comment nommez-vous ce dernier jugement ?

 Celui de la justice de Dieu contre l’homme qui a repoussé sa miséricorde divine.

 Et le second ?

 Celui de la miséricorde en faveur de l’homme qui, par Jésus-Christ, a apaisé la justice divine.

 Pourquoi appelez-vous un de ces deux jugements, jugement de justice, et l’autre, jugement de miséricorde ?

 J’appelle le premier jugement de justice, parce que c’est la justice de Dieu qui seule m’apparaît dans ce jugement ; j’appelle le second jugement de miséricorde, parce que dans ce jugement, c’est surtout la miséricorde de Dieu qui apparaît.

 Dans ce second jugement n’y a-t-il que jugement de miséri­corde ?

 Seigneur, il y a en même temps aussi jugement de justice ; mais de justice miséricordieuse ou de justice étroitement unie à la miséri­corde dont les élus jouiront éternellement, tandis que les réprouvés n’auront jamais plus de miséricorde de la part de Dieu.

 Si Dieu voyait, connaissait, jugeait tout de toute éternité et avant l’existence de l’homme, qu’êtes-vous en droit de conclure des paroles que je vous avais adressées précédemment ; savoir : que Dieu, dans ses jugements secrets et impénétrables, a destiné les uns pour glorifier sa justice et les autres pour glorifier sa miséricorde ?

 Je conclus, Seigneur, que ces paroles, comme toutes celles qui sortent de votre bouche, sont pleines de vérité.

Après cela, je remerciai le Sauveur Jésus de m’avoir parlé avec tant de familiarité, et le priai de me bénir. Il leva sa main au-dessus de ma tête, me bénit et je goûtai dans mon âme une félicité inénarrable.


[1] Livre de la Genèse, chapitre 6, verset 6.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :