La fin surnaturelle de l’Eglise
(1ère partie)
De saint Josemaria Escriva
Extraits du livre
Aimer l’Eglise
Pour commencer, je veux vous rappeler ces mots de saint Cyprien : L’Église universelle se présente à nous comme un peuple qui tire son unité de l’unité du Père, du Fils et du Saint—Esprit (Saint Cyprien, De oratione dominica, 23 ; PL 4, 553). Ne vous étonnez donc pas si, en cette fête de la Très Sainte Trinité, l’homélie parle de l’Église ; c’est que l’Église prend racine dans le mystère fondamental de notre foi catholique : celui de Dieu un en essence et trine en personnes.
Les Pères de l’Église l’ont toujours vue ainsi : centrée sur la Trinité. Voyez la clarté avec laquelle s’exprime saint Augustin : Dieu habite donc dans son temple : non seulement le Saint-Esprit, mais aussi le Père et le Fils La sainte Église est par conséquent le temple de Dieu, c’est—à—dire de la Trinité tout entière (Saint Augustin, Enchiridion, 56, 15 ; PL 40, 259).
Quand nous nous réunirons de nouveau dimanche prochain, nous considérerons un autre aspect merveilleux de la sainte Église : ses caractères, que nous réciterons d’ici peu dans le Credo, après avoir chanté notre foi au Père, au Fils et au Saint—Esprit. Et in Spiritum Sanctum, disons—nous. Et ensuite : et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam (Credo de la Sainte Messe) ; nous affirmons qu’il n’y a qu’une seule Église, sainte, catholique et apostolique.
Tous ceux qui ont vraiment aimé l’Église ont su rapporter ces quatre notes au mystère le plus ineffable de notre sainte religion : celui de la Très Sainte Trinité. Nous croyons en l’Église de Dieu, une, sainte, catholique et apostolique, dans laquelle nous recevons la doctrine ; nous connaissons le Père, le Fils et le Saint-Esprit et nous sommes baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Saint Jean Damascène, Adversus Icon., 12 ; PG 96, 1358, D).
Nous devons méditer souvent, pour ne pas l’oublier, que l’Église représente un mystère grand et profond. Nous ne pourrons pas l’appréhender pleinement en cette vie. Si la raison essayait de l’expliquer à elle seule, elle ne verrait que la réunion de personnes qui accomplissent certains préceptes et qui pensent de façon semblable. Mais cela, ce ne serait pas la sainte Église.
Nous les catholiques, nous trouvons dans la sainte Église notre foi, nos règles de conduite, notre prière, le sens de la fraternité, la communion avec tous nos frères déjà disparus et qui se purifient dans le purgatoire — l’Église souffrante — ou avec ceux qui jouissent déjà de la vision béatifique — l’Église triomphante — et aiment éternellement le Dieu trois fois saint. C’est l’Église qui demeure ici et qui, en même temps, transcende l’histoire. L’Église qui est née sous la protection de sainte Marie et qui continue, sur la terre et au ciel, à la louer comme Mère.
Croyons donc fermement au caractère surnaturel de l’Église : proclamons-le, si besoin est, parce que nombreux sont ceux qui de nos jours — à l’intérieur même de l’Église et jusque dans ses hautes sphères — ont oublié ces vérités essentielles et prétendent donner une image de l’Église qui n’est pas sainte, qui n’est pas une, qui ne saurait être apostolique parce qu’elle ne s’appuie pas sur le roc de Pierre, qui n’est pas catholique parce qu’elle est sillonnée de particularismes illégitimes, de caprices humains.
Ce n’est pas nouveau. Depuis que Notre Seigneur Jésus-Christ a fondé la sainte Église, notre Mère a souffert une persécution constante. Peut-être qu’à d’autres époques les agressions étaient organisées au grand jour ; à présent, il s’agit bien souvent d’une persécution sournoise. Aujourd’hui comme hier, on continue de s’attaquer à l’Église.
Je vous répéterai une fois de plus que je ne suis pessimiste ni par tempérament ni par inclination. Comment être pessimiste quand Notre Seigneur nous a promis d’être avec nous jusqu’à la fin des siècles (Cf. Mt 28, 20) ? L’effusion de l’Esprit Saint a fait de la réunion des disciples au Cénacle la première manifestation publique de l’Église (Léon XIII, encyclique Divinum illud munus, ASS 29, p. 648 : Ecclesia, quæ jam concepta, ex latere ipso secundi Adami velut in cruce dormientis orta erat, sese in lucem hominum insigni modo primitus dedit die celeberrima Pentecostes. Ipsaque die beneficia sua Spiritus Sanctus in mystico Christi Corpore prodere coepit.).
Dieu Notre Père — ce Père aimant qui prend soin de nous comme de la prunelle de ses yeux (Dt 32, 10), ainsi que nous le rapporte l’Écriture avec une expression imagée pour nous le faire comprendre — ne cesse de sanctifier, par l’Esprit Saint, l’Église fondée par son Fils bien—aimé. Mais l’Église vit actuellement des jours difficiles : ce sont des années de grand désarroi pour les âmes. La clameur de la confusion s’élève de toutes parts et toutes les erreurs qui se sont produites au long des siècles réapparaissent bruyamment.
Foi. Nous avons besoin de foi. Si l’on regarde avec les yeux de la foi, l’on découvre que l’Église porte en elle et diffuse autour d’elle sa propre apologie. Celui qui la regarde, celui qui l’étudie avec l’amour de la vérité doit reconnaître que, indépendamment des hommes qui la composent et des modes pratiques sous lesquels elle se présente, elle porte en elle un message de lumière universelle et unique, libérateur et nécessaire, divin (Paul VI, allocution du 23.VI.1966).
Quand nous entendons la voix de l’hérésie — car il s’agit bien d’hérésie, je n’ai jamais aimé les euphémismes —, quand nous remarquons que l’on attaque impunément la sainteté du mariage et celle du sacerdoce ; la conception immaculée de notre Mère sainte Marie et sa virginité perpétuelle, ainsi que tous les autres privilèges et bienfaits dont Dieu l’a ornée ; le miracle continuel de la présence réelle de Jésus—Christ dans la Sainte Eucharistie, le primat de Pierre, et jusqu’à la résurrection de Notre Seigneur, comment notre âme tout entière ne se remplirait—elle pas de tristesse ? Mais ayez confiance : la sainte Église est incorruptible. L’Église vacillera si son fondement vacille, mais le Christ pourra—t—il vaciller ? Tant que le Christ ne vacille pas, l’Église ne faiblira jamais jusqu’à la fin des temps (Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, 103, 2, 5 ; PL 37, 1353).
De même qu’il y a deux natures dans le Christ, l’humaine et la divine, de même nous pouvons, par analogie, parler de l’existence d’un élément humain et d’un élément divin dans l’Église. L’aspect humain est évident pour tout le monde. Ici—bas l’Église est composée d’hommes ; elle est pour les hommes ; et qui dit homme dit liberté, possibilité de grandeur et de mesquinerie, d’héroïsme et de défaillance.
Si nous n’admettions que cet élément humain dans l’Église, nous ne la comprendrions jamais, parce que nous ne serions pas parvenus à la porte du mystère. La Sainte Écriture emploie beaucoup d’expressions, tirées de l’expérience humaine, pour parler du Royaume de Dieu et de sa présence parmi nous, dans l’Église. Elle la compare au bercail, au troupeau, à la maison, à la semence, à la vigne, au champ que Dieu a ensemencé ou au terrain sur lequel il a construit. Mais elle met l’accent sur une expression qui les résume toutes : l’Église est le Corps du Christ.
C’est encore le Christ qui a donné aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du corps du Christ (Ep 4, 11—12). Saint Paul écrit aussi que nous, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres (Rm 12, 5). Comme notre foi est lumineuse ! Nous sommes tous dans le Christ parce qu’il est la tête du corps de l’Église (Col 1, 18).
C’est la foi que les chrétiens ont toujours confessée. Écoutez avec moi ces paroles de saint Augustin : Et depuis lors le Christ entier est formé de la tête et du corps, vérité que vous connaissez, je n’en doute pas. La tête est notre Sauveur lui—même, qui a souffert sous Ponce Pilate et, après être ressuscité d’entre les morts, est maintenant assis à la droite du Père. Et l’Église est son corps. Non pas cette église—ci ou celle—là, mais celle qui s’est répandue à travers le monde entier. Ce n’est pas non plus seulement celle qui existe parmi les hommes d’aujourd’hui, car ceux qui ont vécu avant nous et ceux qui doivent exister après nous jusqu’à la fin du monde en font également partie. Toute l’Église formée par la réunion des fidèles, parce que tous les fidèles sont membres du Christ, a donc pour tête le Christ qui, du ciel, gouverne son corps. Et bien que cette Tête soit hors de vue du corps, elle lui est néanmoins unie par l’amour (Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, 56, 1 ; PL 36, 662).
Vous comprendrez maintenant pourquoi l’on ne peut pas séparer l’Église visible de l’Église invisible. L’Église est à la fois corps mystique et corps juridique. Parce que l’Église est un corps, elle est visible aux yeux (Léon XIII, encyclique Satis cognitum, ASS 28, p. 710), enseigne Léon XIII. Des misères, des hésitations, des trahisons apparaissent dans le corps visible de l’Église, dans le comportement des hommes qui la composent ici, sur la terre. Mais l’Église ne se termine pas là ; elle ne se confond pas non plus avec ces conduites erronées : en revanche, il ne manque pas, ici et de nos jours, de preuves de générosité, d’affirmations héroïques, de vies saintes qui ne font pas de bruit, qui se consument avec joie au service de leurs frères dans la foi et de toutes les âmes.
Pensez en outre que si les défaillances dépassaient en nombre les attitudes courageuses, il resterait encore la réalité mystique — claire, indéniable, bien que nous ne la percevions pas avec les sens — du Corps du Christ Notre Seigneur en personne, l’action du Saint—Esprit, la tendre présence du Père.
Par conséquent, l’Église est inséparablement humaine et divine. Par son origine, l’Église est donc une société divine : par sa fin, et par les moyens immédiats qui y conduisent, elle est surnaturelle ; par les membres dont elle se compose et qui sont des hommes, elle est une société humaine (Ibid., p. 724). Elle vit et agit dans le monde. Toutefois sa fin et sa force ne se trouvent pas sur la terre, mais au Ciel.
Ce serait une grave erreur que d’essayer de séparer une Église charismatique — qui serait celle véritablement fondée par le Christ — d’une autre Église juridique ou institutionnelle, qui serait l’oeuvre des hommes et le simple produit de contingences historiques. Il n’y a qu’une Église. Le Christ n’a fondé qu’une Église : visible et invisible, avec un corps hiérarchique et organisé, avec une structure fondamentale de droit divin et une profonde vie surnaturelle qui l’anime, la soutient et la vivifie.
Et l’on ne peut manquer de se rappeler que le Seigneur, quand il a institué son Église, ne l’a pas conçue, ni instituée, formée de plusieurs communautés qui se ressembleraient par certains traits généraux, mais seraient distinctes les unes des autres, et non rattachées entre elles par ces liens, qui peuvent rendre indivisible et unique l’Église Aussi bien, quand Jésus—Christ parle de cet édifice mystique, il ne mentionne qu’une seule Église, qu’il appelle sienne : « Je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18). Toute autre qu’on voudrait imaginer en dehors de celle—là, n’étant point fondée par Jésus—Christ, ne peut être la véritable Église de Jésus—Christ (Ibid., pp. 712 et 713).
Ayons la foi, je le répète ; augmentons notre foi ; demandons—la à la Très Sainte Trinité, dont nous célébrons la fête aujourd’hui. Il peut se passer toute sorte de choses, sauf que le Dieu trois fois saint abandonne son Épouse.
Dans le premier chapitre de son épître aux Éphésiens, saint Paul affirme que le mystère de Dieu, annoncé par le Christ, se réalise dans l’Église. Dieu le Père lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps ; et l’Église est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble de sa plénitude (Ep 1, 22-23). Le mystère de Dieu consiste, quand les temps seront accomplis, à ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres (Ep 1, 10).
Mystère insondable, pure gratuité d’amour, parce qu’il nous a élus en lui dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour (Ep 1, 4). L’Amour de Dieu n’a pas de bornes : saint Paul lui—même annonce que Notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1 Tm 2, 4).
C’est en cela, et en cela seulement, que consiste la fin de l’Église : le salut des âmes, une par une. C’est pour cela que le Père a envoyé son Fils, et que moi aussi je vous envoie (Jn 20, 21). D’où le commandement de faire connaître la doctrine et de baptiser, pour que la Très Sainte Trinité habite dans l’âme par la grâce : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint—Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 18—20).
Ce sont les paroles simples et sublimes de la fin de l’Évangile de saint Matthieu : elles marquent l’obligation de prêcher les vérités de foi, l’urgence de la vie sacramentelle, la promesse de l’assistance continuelle du Christ à son Église. L’on n’est pas fidèle au Seigneur si l’on délaisse les réalités surnaturelles que sont l’instruction dans la foi et la morale chrétiennes, la pratique des sacrements. C’est avec ce commandement que le Christ fonde son Église. Tout le reste est secondaire.