Dieu, la Sainte Trinité
38ème partie
Par Sœur Marie Lataste, mystique catholique
LIVRE 9
Les vertus morales
et les dons du Saint-Esprit
Chap. 4, La tempérance (suite)
La continence
« La continence, ma fille, est une vertu qui donne la force de résister à toute passion.
« On peut entendre la continence de trois manières. La continence, dans un sens large et général, est la répression des entraînements mauvais provenant du toucher et de tous les autres sens. La continence s’entend encore de la chasteté dans l’état de mariage. Enfin, la continence est la répression actuelle des mouvements déréglés de la concupiscence qu’on éprouve dans son âme.
« De quelque manière que vous l’entendiez, la continence est la fermeté de la raison et du devoir contre les passions pour qu’elles n’entraînent point au mal.
« Cela doit vous faire comprendre les immenses avantages de la continence pendant votre vie, qui est si courte et qui n’est pour vous qu’un temps d’épreuve. Que de maux, que de peines, que de regrets, que de malheurs dont préserve la continence ! La continence, en effet, prolonge les jours de la vie du temps et assure la possession de l’éternité. La continence conserve le souvenir des fins dernières et fait prendre les moyens pour arriver à la félicité suprême. C’est là l’heureux résultat de la continence ; elle donne une vie tranquille et pacifique, elle donne une vie estimable et estimée des hommes, des anges et de Dieu ; elle assure la vie heureuse du ciel.
L’humilité
« L’humilité est encore une vertu qui appartient à la vertu de tempérance, car elle porte l’homme à ne point s’élever au-dessus de ce qu’il est.
« C’est une vertu par laquelle l’homme, d’après la connaissance intime de la majesté de Dieu et de son propre néant, se méprise lui-même et aime à se voir méprisé par autrui. L’humilité ne consiste pas seulement dans la connaissance de Dieu, ni de soi-même, mais dans la répression du mouvement qui porte l’homme à s’élever au-dessus de lui-même. La connaissance de Dieu et de soi produit cette répression qui constitue l’humilité.
« Or, celui qui réprime ce mouvement désordonné de lui-même est véritablement humble, parce qu’il se connaît lui-même, et que s’il trouve en soi quelque chose de bien, il reconnaît ne l’avoir pas de lui-même, mais par le don de la miséricorde de Dieu.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se méprise lui-même, et qu’il sait bien qu’il est indigne des biens que Dieu lui a accordés et de ceux qu’il veut lui accorder encore.
« Il est véritablement humble, parce que bien loin de désirer l’estime, l’honneur ou les louanges d’autrui, il ne cherche que le mépris et rapporte à Dieu toutes les faveurs qui lui viennent des hommes afin qu’elles retournent à Celui qui seul les a véritablement méritées.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se croit la plus vile des créatures, à la vue de ce que Dieu a fait pour lui et du peu de reconnaissance qu’il lui en a rendu, et qu’il ne considère en autrui que le bien qu’il possède.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se fait volontiers le serviteur de tous, qu’il cherche partout la dernière place et les emplois les plus vils.
« Il est véritablement humble, parce qu’il se tient vis-à-vis de Dieu comme un esclave soumis en toutes choses à la volonté de son maître, et comme un pauvre pécheur indigne de paraître devant lui et d’être souffert en sa présence.
« Or, rien n’est supérieur à la vertu d’humilité ; l’humilité, en effet, est la première des vertus. Elle est avant la foi, l’espérance et la charité. Elle est leur fondement. Cela vous étonne, ma fille ?
— Oui, Seigneur.
— Pourquoi cela ?
— Parce que je me souviens que vous m’avez dit en me parlant de la foi, qu’elle est le fondement de toutes les vertus. Comment donc les vertus peuvent-elles avoir deux fondements ?
— Ma fille, me répondit le Seigneur Jésus, si votre humilité avait été plus grande, vous n’auriez éprouvé aucun étonnement de mes paroles. Vous auriez pensé que je suis la vérité et que par conséquent mes paroles sont des paroles de vérité.
Je demandai pardon au Sauveur Jésus de ma manière d’agir, je le conjurai de continuer à m’instruire et je l’écoutai avec docilité.
— L’humilité, me dit-il, est le fondement des vertus, mais d’une manière différente ou sous un autre aspect que la foi. Vous allez le comprendre aisément. La connaissance d’une chose précède le désir qu’on a de cette chose, et le désir précède les moyens pour acquérir sa possession. Les vertus théologales précèdent donc les vertus morales, parce qu’elles sont la connaissance, le désir et l’amour de Dieu, tandis que les vertus morales ne sont que les moyens pour atteindre Dieu. Or, la foi est une vertu théologale, et la première des vertus théologales dans l’ordre de l’existence ; donc elle est avant l’humilité, qui est une vertu morale, puisqu’elle se rattache à la tempérance, et, sous ce rapport, la foi est le fondement de toutes les vertus, même de l’humilité.
« Sous un autre rapport, au contraire, l’humilité est le fondement de toutes les vertus, même de la vertu de foi.
« Personne, en effet, n’aura la foi s’il ne commence par chasser l’orgueil de son âme et s’il n’y place l’humilité qui le soumet à la parole et à la révélation de Dieu. L’humilité est donc le fondement de la foi.
« L’humilité est le fondement de l’espérance. C’est l’humilité qui dit : “Je ne suis que faiblesse, je ne suis qu’impuissance, mais je puis tout dans Celui qui me fortifie.” Car celui qui est humble se connaît lui-même, et sachant qu’il ne peut rien par lui-même, il met tout son espoir en Dieu, et, dans son espérance, il s’écrie : “Je puis tout dans Celui qui me fortifie.” Ainsi, l’humilité ne repousse pas, ne refuse pas les grandes entreprises quand Dieu les demande et les attend ; elle ne refuse rien, mais elle met tout son espoir en Dieu.
« L’humilité est le fondement de la charité. C’est l’estime de soi qui éloigne de Dieu, c’est le mépris de soi qui rapproche de lui. Celui qui s’estime ne pense qu’à soi, voilà pourquoi il oublie Dieu. Celui qui se méprise ne pense qu’à Dieu, et cette pensée n’est point vaine, car elle produit l’amour, et plus cette pensée est ferme, plus elle est constante et plus l’amour pour Dieu devient intense.
« L’humilité est donc le fondement des vertus théologales. Voyez plutôt, ma fille, sans elle, la foi chancelle ; sans l’humilité, l’espérance diminue ; sans l’humilité, la charité est détruite. Ce que je dis des vertus théologales, je le dis aussi des vertus morales. Sans l’humilité, la prudence est aveugle, la justice trompeuse, la force impuissante et la tempérance immodérée.
« L’humilité, ma fille, est encore la grande voix de l’âme qui va de la terre au ciel et qui pénètre jusqu’au trône de Dieu. C’est la voix la plus agréable qui résonne aux oreilles de Dieu ; c’est la prière la plus puissante qui monte jusqu’à lui, et voilà pourquoi elle obtient à l’âme les faveurs de Dieu les plus signalées. Marie fut la plus humble des créatures et elle est devenue ma mère. Est-il faveur comparable à cette faveur ?
« L’humilité préserve du péché, maintient et fortifie dans le bien, elle enseigne la véritable sagesse, et donne enfin le bonheur véritable par la participation à la vue de Dieu.
« Ma fille, aimez donc l’humilité, cherchez l’oubli et le mépris. Marchez, sur mon exemple, dans la voie des humiliations ; ne cherchez point à vous produire, effacez-vous en tout, n’élevez jamais ni votre tête, ni votre voix, ni votre cœur ; votre tête pour dominer quelqu’un, votre voix pour vous imposer à qui que ce soit, votre cœur pour vous estimer vous-même. Comprenez que tout ce que vous avez, vous l’avez reçu de Dieu, par conséquent ne vous en glorifiez point. Si je vous comble de mes faveurs les plus signalées, méritez-les encore plus par votre humilité, et en reconnaissant qu’il n’y a rien en vous qui vous rende digne de si grands témoignages de mon amitié pour vous. Recevez sans vous plaindre, sans murmurer, tous les mépris dont vous serez l’objet ; estimez-vous heureuse d’être ainsi méprisée, honnie ou mal vue, et dans ces sentiments de l’humilité la plus profonde, tenez-vous toujours comme une servante devant Dieu.
« Si vous avez ces sentiments, ma fille, vous serez toujours calme. Qu’est-ce donc qui pourrait vous troubler, si vous croyez être un rien, un néant ? Qu’est-ce qui pourrait vous affliger, si vous croyez mériter tous les mépris ? L’humilité, c’est le calme, la tranquillité, la joie sur la terre, c’est le mérite du bonheur dans l’éternité.