ASDE 002 – Amis de Dieu 1b

Grandeur de la vie ordinaire

Partie 1b

De saint Josemaria Escriva

Extraits du 1er livre posthume

Amis de Dieu

 

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En pensant à ceux d’entre vous qui, au fil des années, se plaisent encore à rêver, en des rêves vains et puérils, comme ceux de Tartarin de Tarascon, à la chasse aux lions dans les couloirs de leur maison, où il n’y a tout au plus que des rats et pas grand-chose d’autre ; en pensant à ceux-là, dis-je, j’ai envie de rappeler la grandeur divine de l’accomplissement fidèle des obligations habituelles de chaque jour, faite des luttes qui remplissent le Seigneur de joie et qu’il est seul à connaître avec chacun de nous.

 

Soyez-en convaincus, vous n’aurez habituellement pas à réaliser de prouesses éblouissantes, notamment parce que d’ordinaire l’occasion ne s’en présente pas, En revanche, les occasions ne vous manqueront pas de prouver votre amour de Jésus-Christ dans les petites choses, dans ce qui est normal. La grandeur d’âme se révèle aussi dans ce qui est tout petit, commente saint Jérôme. Nous n’admirons pas le Créateur seulement dans le ciel et dans la terre, dans le soleil et dans l’océan, dans les éléphants, les chameaux, les bœufs, les chevaux, les léopards, les ours et les lions ; nous L’admirons aussi dans les animaux minuscules tels la fourmi, les moustiques, les mouches, les petits vers et les autres bêtes de cet acabit, que nous distinguons mieux par leur corps que par leur nom. Nous admirons la même maîtrise aussi bien dans les grandes bêtes que dans les petites. De même l’âme qui se donne à Dieu met la même ferveur dans les petites choses que dans les grandes.

 

Lorsque nous méditons les paroles de Notre Seigneur : et pour eux, Je me consacre Moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité. Nous percevons avec clarté notre unique but, la sanctification, autrement dit le devoir que nous avons d’être saints pour sanctifier. Peut-être qu’en même temps la tentation subtile nous assaille de penser que bien peu d’entre nous se sont décidés à répondre à cette invitation divine, et que d’autre part nous nous considérons comme des instruments de très faible valeur. Nous sommes peu nombreux, il est vrai, au regard du reste de l’humanité, et nous ne valons rien par nous-mêmes, Mais l’affirmation du Maître a l’accent de l’autorité : le chrétien est lumière, sel, levain du monde, et un peu de levain fait fermenter toute la pâte. C’est précisément pour cela que j’ai toujours prêché que toutes les âmes nous intéressent, cent âmes sur cent, sans discrimination d’aucune sorte, convaincu que Jésus-Christ nous a tous rachetés, et qu’Il veut se servir d’un petit nombre, malgré leur nullité personnelle, pour faire connaître ce salut.

 

Jamais un disciple du Christ ne maltraitera quelqu’un. Il qualifie l’erreur d’erreur ; mais il doit corriger avec affection celui qui est dans l’erreur ; sinon, il ne pourra pas l’aider, il ne pourra pas le sanctifier. Il faut vivre avec les autres, il faut comprendre, il faut savoir excuser, il faut être fraternels ; et, comme le conseillait saint Jean de la Croix, il faut à tout moment mettre de l’amour là où il n’y a pas d’amour, pour en tirer de l’amour, même dans ces circonstances, apparemment peu importantes, que nous fournissent notre travail professionnel et nos relations familiales et sociales. Toi et moi nous profiterons ainsi des occasions qui se présenteront, y compris des plus banales, pour les sanctifier, nous sanctifier et sanctifier ceux qui partagent avec nous les mêmes efforts quotidiens, en ressentant dans notre vie le poids doux et attirant de la co-rédemption.

 

Je vais poursuivre ce moment de conversation devant le Seigneur en me servant d’une fiche que j’utilisais il y a quelques années et qui conserve pour moi toute son actualité. J’avais repris à l’époque quelques considérations de sainte Thérèse d’Avila : tout ce qui passe et ne tourne pas à la gloire de Dieu est néant, et au-dessous même du néant. Comprenez-vous pourquoi une âme cesse de savourer la paix et la sérénité quand elle s’écarte de sa fin, quand elle oublie que Dieu l’a créée pour la sainteté ? Efforcez-vous de ne jamais perdre ce point de vue surnaturel, pas même aux heures de loisir ou de repos, aussi nécessaires dans la vie de chacun que le travail.

 

Vous pouvez bien parvenir au sommet de votre activité professionnelle ; vous pouvez obtenir les succès les plus retentissants grâce à votre libre initiative dans vos activités temporelles ; mais si vous abandonnez ce sens surnaturel qui doit présider à toutes vos activités humaines, vous ferez lamentablement fausse route.

 

Permettez-moi une courte digression, qui vient tout à fait à propos. Je n’ai jamais demandé leurs opinions politiques à ceux qui m’ont approché : cela ne m’intéresse pas ! Par cette règle de conduite, je vous montre une réalité qui fait partie de l’esprit de l’Opus Dei, auquel, avec la grâce et la miséricorde de Dieu, je me suis voué complètement pour servir la Sainte Eglise. Ce sujet ne m’intéresse pas parce que vous, les chrétiens, vous jouissez de la plus entière liberté, avec la responsabilité personnelle qui en découle, d’intervenir comme bon vous semble dans les questions d’ordre politique, social, culturel, etc… sans autres limites que celles que le magistère de l’Eglise a fixées. La seule chose qui me préoccuperait, pour le bien de votre âme, ce serait que vous franchissiez ces limites, parce que vous auriez alors crée une nette opposition entre la foi que vous prétendez professer et vos œuvres, et alors je vous le ferais remarquer clairement. Ce respect sacro-saint que j’ai pour vos opinions, dans la mesure où elles ne vous encartent pas de la loi de Dieu, n’est pas compris par ceux qui ignorent le vrai concept de la liberté que le Christ nous a gagnée sur la Croix, qua libertate Christus nos liberavit, par les sectaires de tous bords. Par ceux qui prétendent imposer comme dogmes leurs opinions temporelles, Ou par ceux qui dégradent l’homme en niant la valeur de la foi, qu’ils abandonnent à la merci des erreurs les plus brutales.

 

Mais revenons à notre sujet. Je vous disais tout à l’heure que, quand bien même vous obtiendriez les succès les plus spectaculaires dans le domaine social, dans votre activité publique, dans votre travail professionnel, si vous vous laissiez aller intérieurement et si vous vous écartiez du Seigneur, vous auriez en fin de compte carrément échoué. Devant Dieu, et c’est en définitive ce qui compte, c’est celui qui lutte pour se conduire en chrétien authentique qui emporte la victoire ; il n’existe pas de solution intermédiaire. C’est pourquoi vous connaissez tant de personnes qui devraient se sentir très heureuses, si l’on juge leur situation d’un point de vue humain, et qui cependant traînent une existence inquiète, aigrie ; ils semblent avoir de la joie à revendre mais dès qu’on gratte un tout petit peu leur âme, l’on découvre un goût âpre, plus amer que le fiel. Cela n’arrivera à aucun de nous si nous essayons vraiment d’accomplir toujours la volonté de Dieu, de Lui rendre gloire, de Le louer et d’étendre son royaume à toutes les créatures.

 

J’ai beaucoup de peine quand je me rends compte qu’un catholique, un enfant de Dieu qui, par le baptême, est appelé à être un autre Christ, rassure sa conscience avec une piété simplement formelle, avec une religiosité qui le conduit à prier de temps à autre, uniquement s’il pense que cela lui est utile!, à assister à la Sainte Messe les jours d’obligation, et même pas tous, tandis qu’il prend bien soin de satisfaire son estomac en mangeant à heures fixes; à céder dans sa foi, disposé à l’échanger contre un plat de lentilles, pourvu qu’il ne perde pas sa situation… Et ensuite à utiliser, avec sans-gêne ou avec scandale, l’étiquette de chrétien pour s’élever. Non ! Ne nous contentons pas des étiquettes. Je veux que vous soyez chrétiens de la tête aux pieds, d’un seul bloc ; et pour y parvenir vous devrez chercher, sans compromis, la nourriture spirituelle adéquate.

 

Vous savez par expérience personnelle, et vous m’avez entendu le répéter fréquemment, pour vous prémunir contre le découragement, que la vie chrétienne consiste à commencer et recommencer chaque jour ; et vous constatez dans votre cœur, comme moi dans le mien, que nous avons besoin de lutter avec constance. Lorsque vous vous examinez, vous avez dû observer (cela m’arrive aussi à moi ; pardonnez-moi de faire ces références à ma personne, mais tout en vous parlant je pense avec le Seigneur aux besoins de mon âme) que vous subissez de petits échecs répétés ; et vous avez parfois l’impression qu’ils sont gigantesques, parce qu’ils révèlent un manque évident d’amour, de don de soi, d’esprit de sacrifice, de délicatesse. Entretenez en vous des désirs de réparation, et ceci avec une contrition sincère, mais ne perdez surtout pas la paix.

 

Au début des années quarante, j’allais souvent dans la région de Valence. Je n’avais alors aucuns moyens humains et je priais avec ceux qui, comme vous maintenant, se réunissaient avec le pauvre prêtre que je suis, tout bonnement o nous pouvions, certains soirs sur une plage solitaire. Comme les premiers amis du Maître, tu t’en souviens ? Saint Luc écrit qu’en sortant de Tyr avec Paul, en direction de Jérusalem, nous marchions escortés de tous, y compris femmes et enfants. Hors de la ville, nous nous mîmes à genoux sur la grève pour prier.

 

Eh bien, un soir, en fin de journée, sous un merveilleux coucher de soleil, nous avons vu une barque s’approcher du rivage. Quelques hommes sautèrent à terre, tannes, solides comme des rocs, mouilles, le torse nu, tellement brûlés par la brise marine qu’ils semblaient en bronze. Ils se mirent à tirer de l’eau le filet rempli de poissons, brillants comme de l’argent, que leur barque traînait derrière elle. Ils allaient avec beaucoup d’entrain, les pieds enfoncés dans le sable, avec une énergie prodigieuse. Soudain un petit garçon arrive, très bronze lui aussi ; il s’approcha de la corde, la saisit de ses petites mains et se mit à tirer avec une maladresse évidente. Ces rudes pêcheurs, nullement raffinés, durent sentir leur cœur s’émouvoir et ils laissèrent le petit collaborer ; ils ne l’écartèrent pas, bien qu’il les gênât plutôt.

J’ai pensé à vous et à moi ; à vous que je ne connaissais pas encore, et à moi ; à nous qui tirons la corde chaque jour, dans tant de domaines. Si nous nous présentons à Dieu Notre Seigneur comme ce petit, convaincus de notre faiblesse, mais disposés à seconder ses desseins, nous atteindrons plus facilement notre but : nous traînerons jusqu’au rivage le filet débordant de fruits abondants, car le pouvoir de Dieu réussit là où nos forces échouent.

 

(A suivre …)

 

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