Entretien
« Le langage premier du Seigneur, c’est le silence »
Cardinal Sarah
Partie 2
Etes-vous resté le même, depuis le petit garçon de Konakri jusqu’à maintenant ?
J’ai vieilli. On évolue. Je pense que je reste fidèle parce que Dieu a été fidèle avec moi. Il m’a choisi tout petit, il m’a choisi d’un milieu très simple, très modeste, et il m’a accompagné toute ma vie. Jamais je n’aurais imaginé que je serais à Rome comme un des collaborateurs du Saint-Père. C’est une grâce, c’est un don magnifique, extraordinaire que Dieu m’a fait. Il m’a porté jusqu’à diriger un dicastère important, et je dois le remercier. Et la meilleure façon de le remercier c’est de rester constant dans mon oui à Dieu, constant dans ma foi, constant dans mes convictions, constant dans mon témoignage, sans peur, mais en respectant chacun selon ce qu’il est. Mais le respect des autres ne veut pas dire que je dois compromettre ma foi, que je dois réduire ma foi pour plaire aux autres.
Ce n’est pas un dicastère facile celui de la liturgie, Éminence !
Oui, c’est un dicastère délicat, très difficile. La liturgie doit nous unir, car ce qui se tient devant Dieu doit être un. Malheureusement, la liturgie nous a beaucoup divisés, nous a opposés. Et, jusqu’à aujourd’hui, chacun pense que c’est sa manière de voir la liturgie qui est juste. Et malheureusement cette attitude nous oppose les uns aux autres ; certains, croyant avoir une autorité, humilient les autres publiquement. Je cherche ce que le pape Benoît XVI a toujours cherché : la réconciliation liturgique, retrouver cette unité, cette sacralité, cette beauté de la liturgie. Le Beau doit nous réunir, le Sacré doit nous réunir, la grandeur de Dieu doit nous réunir. La grandeur de Dieu met l’homme à genoux, met l’homme humblement à genoux devant Dieu pour l’adorer. La liturgie ce n’est pas une haute célébration, la liturgie c’est vraiment l’attitude de l’homme qui honore, qui loue Dieu, qui adore Dieu pour les biens reçus de Lui. Il nous a tout donné dans la mort de son fils Jésus-Christ. Si nous célébrions l’Eucharistie en croyant que nous commémorons la mort de Jésus-Christ pour notre salut, je suis certain que nous cesserions de nous battre au niveau de la liturgie !
Nous croyons que c’est nous qui célébrons, nous avons cessé de comprendre ce qu’est vraiment l’Eucharistie, c’est-à-dire la mort de Jésus pour notre salut, pour nous libérer de nos péchés. Si nous ne sommes pas conscients que nous avons besoin d’être libérés d’un mal, que nous sommes incapables seuls de nous libérer, et bien nous croyons que c’est un repas. La messe est vraiment le sacrifice qui nous libère, qui nous sauve.
Vous n’êtes pas un homme qui doute ?
Moi je ne doute pas que le Christ continue à nous sauver, en mourant toujours, à chacune de nos eucharisties. Lorsque le prêtre dit « Voici l’agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde », je crois qu’aujourd’hui encore Jésus est présent pour enlever le péché. Mais il faut que nous soyons conscients que nous sommes pécheurs. C’est un des grands dangers : aujourd’hui, il n’y a plus de pécheurs, on n’est plus conscient qu’on est pécheur, on est des gens faibles, des gens blessés… Mais être blessé ce n’est pas un péché. Etre blessé, c’est un accident qui m’arrive. Mais le péché, c’est une responsabilité que j’assume : je décide de faire une chose qui est mal en soi. Nous ne sommes pas seulement des blessés, nous sommes de pécheurs. Et si nous ne sommes pas conscients que nous sommes pécheurs, la messe peut paraître simplement une célébration, en toute convivialité, on fait « communauté » ensemble… Ce n’est pas ça l’Eglise !
Le drame du siècle, le relativisme ?
Lorsque vous lisez l’évangile, je ne sais pas si une seule fois vous rencontrerez cette parole pour désigner le péché ‘on est des blessés’. Non ! La blessure, ce n’est pas le péché. Nous sommes des personnes qui volontairement pouvons nous opposer à Dieu, car le péché c’est l’opposition à Dieu. Je peux décider de faire le contraire de ce que Dieu nous demande. C’est ça le péché ! Je peux décider de faire du mal à mon prochain. C’est ça le péché ! Je vais lui nuire d’une manière grave. C’est ça le péché ! Et bien souvent, nous ne voulons pas accepter cette capacité de nous opposer à Dieu volontairement, et nous accusons notre faiblesse, nos blessures. C’est vrai que la blessure est une chose réelle mais le fait d’employer des termes où nous sommes pratiquement innocentés ‘nous sommes blessés, nous sommes faibles’ nous retire la conscience du péché.
Le plus grave aujourd’hui, c’est qu’on n’a plus le sens du péché. Il n’y a plus de pécheurs, il n’y a que des gens qui subissent : ils subissent la société, ils subissent les circonstances, …. C’est peut-être vrai, mais il y a aussi des responsabilités !
Un message pour l’Avent, pour Noël, que souhaitez-vous à nos auditeurs ?
Le Seigneur vient. Pourquoi vient-il ? Il vient pour nous sauver, pour nous libérer du péché. Il vient pour que nous puissions retrouver le chemin qui nous liera davantage à Dieu parce qu’Il nous a créés à son image et à sa ressemblance. Il voudrait que nous retrouvions cette image et cette ressemblance. Il va le faire à travers Son fils, qui est l’homme parfait, l’image de Dieu, la présence visible de Dieu, la présence incarnée de Dieu. Et nous, si nous imitons le Christ, nous retrouverons notre véritable identité puisque nous sommes faits pour être Dieu. St Irénée a dit « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ».
L’Avent, c’est cette capacité de nous ouvrir au Christ qui vient, qui vient nous libérer du péché pour retrouver notre image divine. Et le cœur du message de Noël, c’est la libération : « Il vous est né un Sauveur ». Si nous devons être sauvés, c’est que nous sommes dans un grand malheur. Le grand malheur, c’est le péché. Si le Christ n’est pas le grand sauveur, alors la fête de Noël n’est rien du tout.
Source : http://www.infocatho.fr/entretien-le-langage-premier-du-seigneur-cest-le-silence-cardinal-sarah/
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