Je suis le Chemin, la Vérité
et la Vie
Partie 3
Je suis la Vie
Ici encore nous n’aurons jamais fini d’approfondir la richesse de cette affirmation. Non seulement aujourd’hui Jésus vient me donner la vie – pour qu’ils aient la vie et la vie en abondance (Jn 10, 10) – mais Il est la vie. Il est ma vie. Il est comme dit Elisabeth, la « vie de notre vie, l’âme de notre âme ».
C’est le cœur du message d’Elisabeth. Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20). De même que je vis par mon Père, celui qui me mange vivra par moi (Jn 6, 57) ; Elisabeth dira dans sa prière : « Je vous demande […] de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu’un rayonnement de votre Vie. »
Tout le chapitre XI (p1 193 s) présentera cette mystérieuse réalité : nous sommes appelés à être transformés en Jésus-Christ. Jean de la Croix a décrit ce travail de transformation dans Le cantique spirituel et dans La Vive Flamme d’amour. Il le résume de façon poétique :
O nuit qui m’a conduite !
[…]
O nuit qui a si étroitement uni
Le Bien-Aimé avec sa bien-aimée
Qui a livré à son amant l’amante transformée en lui.
Si étonnant que cette transformation nous paraisse, nous sommes tous appelés progressivement à vivre cela, chacun selon notre capacité. Il faut toujours revenir à cette prière du Christ à son Père, la veille de sa mort (Jn 17, 23) : Que tous soient un comme nous sommes un : moi en eux, toi en moi. Qu’ils soient consommés dans l’unité. Notre vie chrétienne est une progressive transformation par ressemblance d’amour avec le Christ Jésus, l’homme Dieu, « Celui qui se fait homme pour que nous devenions Dieu », comme le dit saint Irénée.
Jésus, pour Elisabeth, pour Jean de la Croix, pour chacun de nous, c’est le Chemin, c’est la Vérité, c’est la Vie : notre chemin, notre vérité, notre vie. « Il est mon infini, en Lui j’aime, je suis aimée et j’ai tout », écrit Elisabeth. Ce n’est qu’un faible écho à la célèbre et si belle prière de Jean de la Croix. Prière de l’âme embrasée d’amour : « Vous ne m’ôterez pas, ô Seigneur mon Dieu, ce que vous m’avez déjà donné une fois, en la personne de Jésus, votre Fils unique, en qui vous m’avez donné tout ce que je veux. Je me réjouirai donc dans la pensée que vous ne tarderez point, si je vous attends. Et que tardes-tu toi-même, ô mon âme, puisque dès à présent tu peux aimer Dieu en ton cœur ! Les cieux sont à moi ; la terre est à moi ; les nations, à moi ; les justes, à moi ; les pécheurs, à moi ! les Anges sont à moi ; et la Mère de Dieu, et toutes les choses créées ! Mon Dieu lui-même est à moi, puisque Jésus-Christ tout entier est à moi et pour moi. Que demandes-tu donc et qui cherches-tu encore, ô mon âme ? Tout est à moi, tout est pour toi. »
Le Christ est tout entier à moi et pour moi ! Il me donne sa vie, la vie même de Dieu ; la vie qui est en Dieu, la vie qui est Dieu ; la vie du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Je vis, je peux vivre, de vie-là, de vie trinitaire, emporté par le mouvement par lequel le Père se donne au Fils qui se donne au Père dans l’Esprit. Voilà ce qu’Elisabeth souhaite : « [Que la Sainte Trinité vous] introduise dans la profondeur du Mystère, et que ces Trois que nous aimons tant […] soient vraiment le Centre où s’écoule notre vie. » Elle dit également : « Voilà comment j’entends être ‘de la maison de Dieu’ : c’est en vivant au sein de la tranquille Trinité, en mon abîme intérieur, en cette ‘forteresse inexpugnable du saint recueillement’ dont parle saint Jean de la Croix. »
Ce dernier nous emmène encore plus loin ; il nous explique : « L’Esprit-Saint l’élève à une hauteur admirable ; il la remplit de lui-même, il la rend capable de produire en Dieu la même aspiration d’amour que le Père produit avec le Fils, et le Fils avec le Père, et qui n’est autre que l’Esprit-Saint. Par cette transformation, ce divin Esprit aspire l’âme dans le Père et dans le Fils, afin de se l’unir par la plus étroite union. […] C’est pour nous faire parvenir jusqu’à l’abîme de gloire que le Père nous a créés à son image et à sa ressemblance. Mais comprendre ou exprimer comment s’accomplit ce prodige de grâce, c’est chose absolument impossible. On peut dire seulement que c’est le Fils de Dieu qui nous a obtenu l’incomparable honneur d’être en réalité les enfants de Dieu. »
Tous depuis notre baptême, nous vivons cette filiation en germe, souvent sans le savoir, et surtout sans l’expérimenter. Plus exactement, nous commençons à vivre cette relation à Dieu et nous croyons qu’un jour nous la vivrions totalement dans l’au-delà. Il faut oser ‘croire’, en être sûr, en vivre parce que Dieu veut, dans son amour, nous associer à sa vie, à sa joie, à son Etre. « Tout cela, maman chérie, ce n’est pas du sentiment ou de l’imagination, c’est de la foi pure », redit Elisabeth.
Le Sauveur du monde
Car il a plu en Dieu de faire habiter en Lui toute la plénitude et de tout réconcilier par Lui et pour Lui, sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix, dit Saint Paul (Col 1, 19-20). Jésus est le sauveur du monde.
Elisabeth le sait bien. Elle veut sauver le monde avec Jésus : « Je m’offre à toi comme victime […] pour toi, avec toi », écrit-elle. Et « L’âme qui veut servir Dieu nuit et jour en son temple, […] cette âme doit être résolue de communier effectivement à la passion de son Maître. C’est une rachetée qui doit racheter d’autres âmes à son tour […].
Elle [l’âme] marche sur la route du Calvaire à la droite de son Roi crucifié, anéanti, humilié, et pourtant toujours si fort, si calme, si plein de majesté, allant à sa passion pour ‘faire éclater la gloire de sa grâce’. […] Il veut associer son épouse à son œuvre de rédemption, et cette voie douloureuse où elle marche lui apparaît comme la route de la Béatitude : non seulement parce qu’elle y conduit, mais encore parce que le Maître saint lui fait comprendre qu’elle doit dépasser ce qu’il y a d’amer dans la souffrance pour y trouver comme Lui son repos. »
Saint Jean de la Croix l’affirme : « Il est bien évident […] que la compassion pour le prochain croît dans une âme à proportion de l’union qu’elle contracte avec Dieu pour Dieu par l’amour. Plus aime, plus elle désire que son Dieu soit aimé et honoré de tous les hommes ; et plus ce désir est ardent, plus elle travaille dans ce sens, tant par la prière que par les œuvres en son pouvoir. »