ASDE 06 : Liber Quaestionum de sainte Brigitte de Suède (4 et fin)

LIBER QUOESTIONUM

de Sainte Brigitte

Partie 4

XV. Cependant le moine continuait de parler : Pourquoi avez-vous créé les choses inutiles ? Pourquoi ne voit-on pas les âmes ? Pourquoi n’exaucez-vous pas les prières de vos amis ? Pourquoi n’a-t-on pas la liberté de faire tout le mal qu’on veut ? Pourquoi les maux immérités ? Pourquoi ceux qu’anime l’Esprit-Saint conservent-ils la puissance de pécher ? Pourquoi le démon tente-t-il toujours les uns et jamais les autres ?

 

– Je n’ai rien créé d’inutile, déclara le Juge, mais par le péché originel l’homme s’est privé de voir les choses dans leur vérité. De même qu’un enfant élevé dans un cachot ne comprendrait pas la lumière du jour, il ne comprend plus les clartés célestes. L’âme est trop supérieure au corps pour être aperçue par des yeux corporels. Dieu n’exauce pas toujours les prières de ses amis, parce qu’il voit mieux le bien réel. La justice divine soustrait, pour un temps, les impies au démon et s’efforce de les détourner du mal ; elle leur offre l’exemple des justes que l’épreuve excite à de grandes entreprises. En passant par la tentation, les fidèles comprennent l’efficacité de la grâce qui, sans un effort personnel, ne pourrait cependant pas les sauver. L’âme qu’inspire l’Esprit-Saint garde, avec le libre arbitre, la faculté de pécher. Si elle s’éloigne de Dieu, Dieu s’éloigne d’elle. Le démon est le bourreau des justes, dont il augmente la gloire éternelle. Il est aussi le bourreau des méchants, qu’il châtie parfois dès cette vie. Son action est dans les secrets de la Providence.

 

 

 

XVI. Pour la dernière fois le moine prit la parole : Comment aurez-vous les brebis à votre droite et les bons à votre gauche ? Pourquoi, si vous êtes égal à Dieu, est-il écrit que ni vous ni les anges ne savaient l’heure du jugement ? Pourquoi y a-t-il désaccord dans les récits des évangélistes tous quatre inspirés de l’Esprit-Saint ? Pourquoi avez-vous si longtemps différé votre incarnation ? Pourquoi, après avoir déclaré qu’une seule âme vaut plus que le monde, n’envoyez-vous pas partout vos prédicateurs ?

 

– La droite et la gauche de Dieu, répartit le Juge, ne peuvent s’entendre qu’au sens spirituel de lumières et de ténèbres, de gloire sublime et de privation de tout bien. Les brebis et les boucs ne sont que les symboles de l’innocence et du péché. J’ignorais l’heure du jugement, cachée à toutes les créatures, en tant qu’homme et non en tant que Dieu. L’Esprit-Saint diffère en ses œuvres et en ses inspirations. La vérité complète est dans la réunion de tous les Évangiles ; certains d’entre eux entendent la lettre, d’autres l’esprit de mes leçons. Mon incarnation arriva en son temps, après que la loi naturelle eut témoigné du penchant de l’humanité au bien, et que la loi écrite eut montré à l’homme la misère humaine. Fait à l’image de ma divinité, l’homme est sur terre ce qu’il y a de plus noble. Mais s’il abuse de sa raison et de mes dons, le temps de ma justice remplace celui de ma miséricorde ; il n’est plus digne d’écouter les messagers de salut, et je ne charge point mes serviteurs de travaux inutiles.

 

A son tour le Juge interrogea celui qui, détestant la vérité, parlait en pharisien, non pour s’éclairer mais pour exercer sa malice :

 

Tu as l’intelligence du bien et du mal, lui dit le Rédempteur; pourquoi donc préfères-tu les richesses périssables aux biens éternels ?

 

Parce que, répliqua le moine, l’entraînement de mes sens l’emporte sur la voix de ma raison.

Plein de miséricorde, le Christ se tourna vers l’âme en péril. A la fin de ta vie, déclara le Sauveur au pécheur, tu verras ce que valent ta vaine éloquence et la faveur du siècle. Que tu serais heureux si tu étais fidèle aux devoirs de ta profession.

 

Le Juge et le religieux disparurent. Ces paroles furent les dernières que Brigitte entendit. Durant sa vision, l’Eternel, le Verbe, la Vierge Marie, s’étaient plusieurs fois adressés à elle afin de l’éclairer sur ce qu’elle écoutait. Le Christ lui faisait remarquer qu’il répondait en paraboles aux questions insolubles pour l’homme avant sa mort. Cependant il engageait sa servante à songer au monde incompréhensible, afin de le désirer.

 

Ton cœur, disait-il, était jadis comme un acier froid, dont sortait parfois quelque étincelle d’amour. La douleur de perdre ton mari, que tu aimais plus que tout sur terre, y alluma le feu de ma charité. Remettant ta volonté entre mes mains, tu n’as plus désiré que moi. Tu m’as cherché dans la pénitence et la conversation de mes docteurs, guidée par ton maître (1) dont la science humble et sûre offre un contraste absolu avec la vaine curiosité du moine que tu viens d’entendre. Maintenant je me révèle à toi ; je te désaltérerai, je te réchaufferai, je te guérirai et je t’enseignerai à instruire les hommes.

 

Les discours que l’extatique entendait à la fois, ainsi qu’on voit un tableau, traitaient sans ordre et sans méthode, avec certaines redites, les questions qui agitent la pensée, troublent la raison et torturent le cœur de l’homme. Ils se gravèrent au plus intime de la mémoire de Brigitte. De retour au monastère d’Alvastra. La sainte les écrivit dans sa langue aux nuances non moins variées que les teintes changeantes du ciel sous lequel on la parle (2). Dom Pierre traduisit le manuscrit (3), l’intitula Liber quoestionum (4) et l’envoya aux évêques du royaume, appelés à reconnaître que la fondatrice de l’ordre national dissertait en théologie comme peu de docteurs.

 

1. Matthias.

2. Les fragments des Œuvres de Brigitte écrits de sa main et publiés par M. KLEMMING (Uppenb. IV, 177-186), prouvent la supériorité littéraire du texte sur la traduction.

3. Le prieur d’Alvastra (Proc. Can. Dep. sup. 30, art. f. 228 v.) dit avoir écrit cette révélation sous la dictée de Brigitte. Peut-être fut-il aidé dans sa version par maitre Pierre de Skeninge.

4. Quintus liber Revelationum, 362, 409. Les notes de l’évêque Gonsalve Durant prouvent l’accord de la sainte avec les Pères, les docteurs et les théologiens . Signaler sur presque tous les points les doctrines thomistes de Brigitte serait une étude intéressante.

 

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