Considérations sur
les révélations privées
Voici quelques considérations complémentaires sur les révélations privées. Celles-ci émanent d’un ingénieur à la retraite, Jean-François Lavère, qui a entrepris un travail de longue haleine, étalé sur une dizaine d’années, pour traiter du cas de Maria Valtorta et des écrits qu’elle a laissés. Il prouve par les faits que l’érudition de cette mystique est assez stupéfiante et même méconnue tant sur les lieux, historicité des personnages, archéologie, arts et techniques, us et coutume, faune et flore, et bien sûr la cohérence des évènements. Il montre dans son ouvrage que Maria Valtorta donne souvent des précisions connues seulement de quelques spécialistes, voire même dans certains cas totalement inconnues au moment de leur rédaction et confirmées depuis. Tout ceci, au départ d’éléments concrets, pour que chacun se forge une opinion la plus éclairée possible sur l’authenticité des visions de celle-ci.
Comme le propos n’est pas ici d’aborder ni la vie ni l’œuvre de la mystique italienne, laissons à ce polytechnicien français le soin de nous éclairer sur la manière d’aborder en général tout ce qui touche aux révélations privées. (CD)
S’il est un domaine où l’Eglise catholique est prudente, c’est bien celui des révélations privées. Mais cette circonspection ne signifie pas que toutes les révélations soient indignes de foi. Si l’on s’en tient simplement aux révélations privées de saints ou bienheureux tels que Marie d’Agreda, Jean Bosco, Anne-Marie Taigi, sainte Mathilde, sainte Gertrude … pour n’en citer que quelque uns, l’Eglise n’a émis à l’égard de leurs écrits qu’une « approbation négative » en déclarant « ne rien trouver de contraire à la Foi ou à la Morale dans leurs écrits ».
Pour les écrits de Brigitte de Suède, Jean-Paul II rappela dans le Motu Proprio du 01/10/1999 : « Toutefois, il n’est pas douteux qu’en reconnaissant la sainteté de sainte Brigitte, l’Eglise, sans se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l’authenticité globale de son expérience intérieure ».
Et lors de la béatification d’Anne Catherine Emmerich le 4 octobre 2004 par le pape Jean-Paul II, le cardinal José Saraiva Martins, préfet de la Congrégation pour les causes des saints précisa dans L’Osservatore Romano du 7 octobre 2004 : « Les œuvres en discussion ne peuvent donc pas être considérées comme des œuvres écrites ou dictées par Anne-Catherine Emmerich ni comme des transcriptions fidèles de ses déclarations et de ses récits, mais comme une œuvre littéraire de Brentano qui a procédé à de telles amplifications et manipulations qu’il est impossible d’établir quel est le véritable noyau attribuable à la bienheureuse ».
L’approbation que donne le Magistère ne prétend pas nous dire autre chose, sinon qu’elles sont « probables et pieusement croyables et qu’on peut les lire sans danger, et même avec édification ».
En effet, l’Eglise n’affirme que très rarement le caractère « surnaturel » d’une révélation privée ou d’une apparition. C’est là une attitude constante, visant notamment à rappeler que « la Révélation est close » depuis le mort du dernier apôtre, et que rien ne peut être ajouté à « ce dépôt scellé » (NDLR : ce que rappelait d’ailleurs le chanoine Mondet). Quand par exemple, l’Eglise prononce une définition dogmatique, elle ne proclame aucune révélation nouvelle, mais ne fait qu’expliciter ce qui était déjà contenu dans le dépôt de la foi.
Les révélations privées doivent toujours être replacées dans le cadre de la Révélation proprement dite, qui nous est donnée en Jésus-Christ et par son Esprit vivant dans l’Eglise. Ces révélations, celles par exemple de saints mystiques telles qu’une sainte Catherine de Sienne ou une sainte Thérèse d’Avila, ne modifient pas la doctrine chrétienne, mais « ne font que l’éclaire davantage ».
Le catéchisme de l’Eglise catholique (§67) le rappelle en ces termes : « Au fil des siècles il y a eu des révélations dites ‘privées’, dont certaines ont été reconnues par l’autorité de l’Eglise. Elles n’appartiennent cependant pas au dépôt de la foi. Leur rôle n’est pas d’améliorer ou de compléter la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire. Guidé par le Magistère de l’Eglise, le sens des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ses révélations constitue un appel authentique du Christ ou de ses saints à l’Eglise ».
C’est ainsi par exemple qu’Urbain VIII pu approuver les écrits de Marie d’Agreda (*), mais se refusa d’en confirmer « l’origine céleste ». De même Léon XIII déclara, le 11/12/1878, au sujet des apparitions de la Salette et de Lourdes : « Il est seulement permis de les croire d’une foi purement humaine.
D’ailleurs, comme l’a rappelé en son temps Benoît XIV :
« Il faut savoir que l’approbation donnée par l’Eglise à une révélation privée n’est pas autre chose que la permission accordée, après un examen attentif, de faire connaître cette révélation pour l’instruction et le bien des fidèles.
A de telles révélations, même approuvées par l’Eglise, on ne doit pas et on ne peut accorder un assentiment de foi ; il faut seulement, selon les lois de la prudence, leur donner l’assentiment de la croyance humaine, pour autant que de telles révélations soient probables et croyables pour la piété. (…)
En conséquence, on ne peut accorder son assentiment à de telles révélations et s’en détourner, pourvu qu’on le fasse avec la modestie convenable, pour de bonnes raisons et sans intention de mépris. »
Les révélations privées constituent donc un domaine de liberté, dès lors qu’elles sont exemptes d’erreurs doctrinales.
C’est certainement dans le même esprit que la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi recommanda d’indiquer dans les futures éditions de l’œuvre de Maria Valtorta : « Les visions et les données rapportées dans les volumes (de Maria Valtorta) ne peuvent être reconnues d’origine surnaturelle, mais peuvent être considérées comme des formes littéraires utilisées par l’auteur pour raconter à sa manière de Jésus ».
Cette attitude, dictée par la Prudence, ne devrait donc pas surprendre les catholiques suffisamment formés.
Au début des années 70, l’Eglise constata qu’en raison « des instruments de connaissance actuels, des apports de la science et de l’exigence d’une critique rigoureuse » il devenait « plus difficile, sinon impossible de parvenir avec autant de rapidité qu’autrefois aux jugements qui concluaient jadis les enquêtes en la matière ». De nouvelles formes de discernement des révélations furent alors définies par la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et approuvées par le pape Paul VI, le 24 février 1978 :
Afin que l’autorité ecclésiastique soit en mesure d’acquérir davantage de certitudes sur telle ou telle apparition ou révélation, elle procédera de la façon suivante :
a) En premier lieu, juger du fait selon les critères positifs et négatifs…
b) Ensuite, si cet examen s’est révélé favorable, permettre certaines manifestations publiques de culte et de dévotion, tout en poursuivant sur les faits une investigation d’une extrême prudence (ce qui équivaut à la formule : « pour l’instant rien ne s’y oppose »).
c) Enfin, un certain temps s’étant écoulé et à la lumière de l’expérience (à partir de l’étude particulière des fruits spirituels engendrés par la nouvelle dévotion), porter un jugement sur l’authenticité du caractère surnaturel, si le cas le requiert.
Dans le cas de Maria Valtorta, cette mise au point devrait contribuer à lever les scrupules de certains catholiques qui par obéissance et humilité, ou souvent abusés à leur insu par les affirmations souvent péremptoires de censeurs mal informés, ont pu se détourner d’une œuvre que d’autres considèrent déjà comme un « trésor inestimable de la littérature universelle ».
Souhaitons aussi que les censeurs méditent et mettent en œuvre l’exhortation que leur a adressée Mgr R. Danylak : « Je recommande vivement que tous les critiques se procurent et étudient ‘L’Evangile tel qu’il m’a été révélé’, qu’ils le lisent dans son intégralité et sans communiquer sur des impressions superficielles ou des répétitions d’autres critiques. Ils y trouveront, j’en suis sûr, la paix et la joie, la connaissance plus profonde et plus intime de Notre Divin Sauveur et de Sa Sainte Mère, que moi-même et un nombre incalculable d’autres lecteurs dans le monde, y avons trouvé ».
(*) : Marie d’Agreda acheva une première rédaction de « La Cité mystique de Dieu » en 1637, mais la brûla par obéissance envers les conseils de son confesseur. Ses supérieurs lui ordonnèrent ensuite d’en reprendre l’écriture. Elle termina cette réécriture en 1660, et mourut 5 ans plus tard. Son œuvre fit l’objet de débats très vifs, au point qu’Innocent XI crut bon, le 4 août 1681, d’en interdire temporairement la lecture en le mettant pendant 3 mois à l’Index. Pendant 14 ans le tribunal de l’Inquisition la contesta, la Sorbonne condamna plusieurs extraits de « La cité mystique de Dieu » en 1696, mais l’ordre de Saint François en fit une péremptoire réfutation en 1699. Puis en 1704 le pape Clément XI défendit formellement qu’elle fût insérée dans les catalogues de l’Index, ce qui fut pourtant fait en 1710. Enfin le 14 mars 1729, Benoît XIII affirma de toute son autorité que les livres de « La Cité mystique de Dieu » pouvaient être retenus et lus, soit 92 ans après la 1ère déclaration, et 69 ans après leur édition.