Le message étonnant de Jean de la Croix – partie 2

Le message étonnant

de Jean de la Croix

(Partie 2)

 

Par Lui, avec Lui et en Lui

 

Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit … (Jn 12, 24). Nous voulons bien le croire, mais il n’en reste pas moins vrai que cette mort à soi-même, cet effort de détachement de toutes choses « en esprit » et cette purification que Dieu opère Lui-même dans les souffrances de la « nuit obscure », tout cela nous fait forcément peur, et c’est normal, tant qu’on a pas compris expérimentalement que nous ne sommes pas seuls dans cette aventure spirituelle, mais que Jésus est mystérieusement avec nous. Rien ne peut se faire sans Lui. Il est l’origine, l’acteur et le terme de notre sainteté ; ou, si vous préférez, pour reprendre les expressions de saint Jean de la Croix, « Dieu [nous] a donné [Jésus] pour frère, pour compagnon, pour maître, pour héritage et récompense ».

 

La spiritualité de Jean de la Croix est fondamentalement christocentrique. Pour lui, tout commence par le Christ, tout se poursuit avec le Christ, tout s’achève dans le Christ.

 

Voyons d’abord quel commentaire Jean de la Croix fait de l’affirmation de saint Jean : Je vous donne l’exemple pour que vous fassiez comme j’ai fait (Jn 13, 15) :

 

Ayez un désir habituel d’imiter le Christ en toutes choses, en conformant votre vie à la sienne, qu’il faut étudier afin de la reproduire et de se comporter en tout comme il se comporterait lui-même […] pour y parvenir, toutes les fois qu’une satisfaction s’offre aux sens et qu’il n’y va pas de la gloire et de l’honneur de Dieu, y renoncer et s’en priver pour l’amour de Jésus-Christ, qui n’eut et ne voulut avoir en cette vie d’autre satisfaction que celle de faire la volonté de son Père, qu’il appelait sa nourriture et son aliment.

 

 

Plus loin, Jean de la Croix répète ce précepte, en utilisant une comparaison amusante :

 

« Je voudrais donc bien faire comprendre aux personnes spirituelles que ce chemin vers Dieu [… consiste …] en une seule chose, qui est de savoir se renoncer véritablement pour l’intérieur et pour l’extérieur, en se livrant à la souffrance pour le Christ et en se rendant en tout point conforme à lui. Si l’on s’y exerce, tout le reste suit. Si au contraire cet exercice fait défaut, […] tout ce que l’on fait par ailleurs équivaut à faire effort pour escalader un arbre par l’extrémité des branches ! »

 

Jésus est notre modèle. Il est notre lumière, saint Jean de la Croix le rappelle :

 

« En nous donnant son Fils, qui est sa parole unique et éternelle, il nous a tout expliqué, et il n’y a plus besoin de parler. »

 

« Sachons donc prendre toujours pour guide la doctrine du Sauveur, de son Eglise et de ses prêtres, seuls ses enseignements sont dignes de foi ; en eux nous trouverons le remède à nos ignorances et à nos faiblesses spirituelles […]. En dehors de la voie tracée par le Christ, Dieu et homme, toutes les autres voies sont mensongères et ne mènent à rien. »

 

 

Pour Jean de la Croix, toute vie spirituelle, toute la sainteté consiste à imiter Jésus dans la totalité de sa vie et donc aussi de son agonie, sa déréliction et sa mort. Il faut courageusement suivre le Christ « appuyé sur la croix comme un bâton de voyage », mais faut surtout savoir que sans Lui nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5) et que Dieu réalise en nous notre vie spirituelle et notre sainteté. Elle est son œuvre, nous avons seulement – et ce n’est pas rien – à y consentir. Il s’agit donc de se laisser faire par Lui. C’est désormais Dieu « qui opère lui-même » dans notre vie, c’est Lui qui est « le maître et le guide de cet « aveugle » que nous sommes ». « il est l’architecte surnaturel », qui bâtit « dans chaque âme l’édifice surnaturel selon son bon plaisir ». Il s’agit pour nous de « recevoir ce qui [nous] est donné [par Dieu] », et surtout « de ne point agir par [nous-]mêmes » pour laisser Dieu nous guider. Toutes ces citations de Jean de la Croix sont magnifiquement illustrées par cette comparaison :

 

« Il y a des âmes qui, au lieu de se livrer à Dieu et de seconder son opération, l’entravent sans cesse par leur action indiscrète ou par leur résistance. Elles ressemblent aux petits enfants qui, s’obstinant à marcher eux-mêmes, trépignent et pleurent lorsque leur mère veut les porter entre ses bras ; d’où il résulte qu’ils ne peuvent marcher et s’ils marchent, ils ne font jamais que des pas d’enfants. »

 

Mais ce n’est pas tout, si Jésus, Fils du Père dans l’Esprit, est l’acteur avec nous de notre vie spirituelle, Il en est aussi le terme. « [Saint] Paul vivait toujours, mais il ne vivait pas de sa propre vie, il était transformé en Jésus-Christ », dit Saint Jean de la Croix. Cette mystérieuse transformation en Jésus-Christ est le but de toute notre vie terrestre, ce sera la réalité de notre vie éternelle. C’est le mariage spirituel.

 

Cette transformation a commencé le jour de notre baptême. C’est la grande affaire de notre vie. Jean de la Croix nous prend là où nous sommes. Il nous montre les étapes de la montée vers le but à atteindre :

 

« Avant d’y parvenir [au mariage spirituel], elle [l’âme] commence par s’adonner aux exercices pénibles de la mortification, et à la méditation des choses spirituelles. […] Après cela, l’âme est entrée dans la vie contemplative, où elle a passé par les différentes voies et par les cruelles angoisses de l’amour […]. L’âme s’avance alors dans la voie unitive, où elle jouit d’une longue série de communications très sublimes et reçoit, en qualité de fiancée, des dons précieux et de magnifiques joyaux. Puis elle continue à se perfectionner et à marcher à grands pas dans la voie de l’amour. »

 

Mais n’oublions pas ce qu’il affirme :

 

« Il faut donc savoir avant tout que si l’âme cherche son Bien-Aimé, lui-même la cherche avec infiniment plus d’ardeur encore […]. C’est Dieu […] qui, dans cette grande affaire, est le principal agent ; c’est lui qui dont lui servir de guide et la conduire comme par la main, jusqu’à un but qu’elle ne saurait atteindre par elle-même. »

Dans l’Esprit-Saint

 

Jean de la Croix nous parle de l’Esprit-Saint :

 

L’Esprit-Saint l’élève [l’âme] à une hauteur admirable. Il la remplit de Lui-même, il la rend capable de produire en Dieu la même aspiration d’amour que le Père produit avec le Fils, et le Fils avec le Père, et qui n’est autre que l’Esprit-Saint. Par cette transformation, le divin Esprit aspire l’âme dans le Père et dans le Fils, afin de se l’unir par la plus étroite union. […] Le Seigneur […] produit lui-même toutes ces merveilles dans l’âme par communion et participation. N’est-ce pas là être transformée en chacune des trois adorables Personnes [de la Sainte Trinité …] et devenir semblable à Dieu ? C’est pour nous faire parvenir à cet abîme de gloire que Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance. Mais comprendre ou exprimer comment s’accomplit ce prodige de grâce, c’est chose absolument impossible. On peut dire seulement que c’est le Fils de Dieu qui nous a ainsi obtenu l’incomparable honneur d’être en réalité les enfants de Dieu.

 

 

Pour l’Eglise et le salut du monde

 

On se méprendrait totalement sur la doctrine de saint Jean de la Croix si l’on ne voyait en elle que la description de l’itinéraire individuel de l’âme préoccupée seulement de sa sainteté personnelle. Toute âme qui s’élève, élève le monde : Jean de la Croix en est persuadé et sa vie apostolique le prouve. Comme tous les saints du Carmel, il se veut fils de l’Eglise, participant à son progrès, voulant, avec elle et par elle, sauver le monde :

 

« L’âme semble alors oisive, cependant le plus petit acte de pur amour a plus de prix aux yeux de Dieu, il est plus profitable à l’Eglise […] que toutes les autres œuvres réunies. »

 

C’est parce que Jean de la Croix est possédé par l’Amour qu’il a eu une telle efficacité apostolique. Le quatrième centenaire de sa mort, célébrée dans le monde entier, en est un excellent exemple. « Les vrais mystiques, dit Henri Bergson, s’ouvrent simplement au flot qui les envahit. Sûrs d’eux-mêmes parce qu’ils sentent en eux quelque chose de meilleur qu’eux, ils veulent grands hommes d’action à la surprise de ceux pour qui le mysticisme n’est que vision, transport, extase… Le besoin de répandre autour d’eux ce qu’ils ont reçu, ils le ressentent comme un élan d’amour. » Relisez la vie de Jean de la Croix, vous verrez combien il illustre cette affirmation de ce grand philosophe.

 

 

Extraits de Regards d’Amour de Jean Rémy

 

 

 

Laisser un commentaire

%d