Fécondité des œuvres par la vie intérieure – 2

Fécondité des œuvres

par la vie intérieure

Deuxième extrait de « L’âme de tout apostolat »

de Dom Chautard

 

a)  La Vie intérieure attire les bénédictions de Dieu

 

« Je rassasierai de graisse l’âme des prêtres et mon peuple se rassasiera de mes biens » (Jr. 31, 14)

 

Remarquons l’enchaînement des deux parties de ce texte : Dieu ne dit pas « Je donnerai à mes prêtres plus de zèle, plus de talent » mais « J’enivrerai leur âme ». Qu’est-ce à dire sinon « Je les comblerai de mon esprit, je leur communiquerai des grâces de choix, et ainsi mon peuple recevra la plénitude de mes biens. »

Dieu aurait pu distribuer sa grâce selon son bon plaisir, sans tenir compte ni de la piété du ministre ni des dispositions des fidèles. Il en agit ainsi au baptême des enfants. Mais selon la loi ordinaire de sa Providence, ces deux éléments deviennent la mesure des dons célestes.

 

« Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn, 15, 5)

 

Tel est le principe. Au calvaire le sang rédempteur a coulé. Comment Dieu va-t-il assurer sa première fécondité ? Par un miracle de diffusion de vie intérieure. Rien de plus borné que l’idéal et le zèle des apôtres avant la Pentecôte. L’Esprit-Saint les transforme en hommes intérieurs et aussitôt leur prédication opère des merveilles. Dieu ne renouvellera plus ordinairement le prodige du Cénacle. Il laissera désormais les grâces de sanctification aux prises avec la libre et laborieuse correspondance de sa créature. Mais en faisant de la Pentecôte la date officielle de la naissance de l’Eglise, ne donne-t-il pas assez à entendre que ses ministres doivent préluder à leurs œuvres de co-rédempteur par la sanctification personnelle ?

 

Aussi bien tous les vrais ouvriers apostoliques attendent bien plus de leurs sacrifices et de leurs prières que de la mise en œuvre de leur activité. Le Père Lacordaire restait longtemps en oraison avant de gravir les degrés de la chaire, et rentré dans sa cellule, se faisait flageller. Le Père Monsambré, avant de prendre la parole à Notre-Dame, récitait son rosaire en entier, à genoux. « Je prends ma dernière infusion », répondait-il plaisamment à un ami qui l’interrogeait sur cet exercice. Ces deux religieux vivaient l’un et l’autre de ce principe énoncé par saint Bonaventure : Les secrets d’un apostolat fécond se puisent bien plus au pied du crucifix que dans le déploiement de brillantes qualités. « Ces trois choses demeurent, la parole, l’exemple et la prière, mais la plus grande des trois, c’est la prière. », s’écrie saint Bernard. Parole très forte, qui n’est que le commentaire de la résolution prise par les apôtres de délaisser certaines œuvres, afin de pouvoir s’appliquer d’abord à la prière. Oraison, et seulement ensuite le ministère de la parole. « Quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole » (Act, 6, 4).

 

Avons-nous assez remarqué, à ce sujet, l’importance primordiale que le Sauveur donne à cet esprit de prière ? Jetant un regard sur le monde et les siècles futurs et voyant la multitude des âmes appelées à bénéficier de l’Evangile, il s’écrie attristé : « La moisson est abondante, et rares les ouvriers » (Mt, 9, 37).

 

Que va-t-il proposer comme moyen le plus rapide de répandre sa doctrine ? Demandera-t-il à ses disciples de fréquenter les écoles d’Athènes ou d’aller étudier près des Césars de Rome comment se conquièrent, et s’administrent les empires ?… Hommes de zèle, écoutez le Maître. C’est un programme, un principe lumineux qu’il a nous révélé : « Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » (Mt, 9, 38). Savantes organisations, ressources à se procurer, temples à édifier, écoles à bâtir : de tout cela nulle mention. Prier d’abord. La prière, l’esprit d’oraison, le Maître ne cesse de rappeler cette vérité fondamentale. Le reste, tout le reste en découle.

 

Prier d’abord ! Si le timide murmure de la supplication d’une âme sainte est plus capable de susciter des légions d’apôtres que la voix éloquente d’un recruteur de vocations moins rempli de l’esprit de Dieu, que conclure ? Sinon que l’esprit de prière, qui dans le vrai apôtre va de pair avec le zèle, sera la principale raison de la fécondité de son labeur.

 

Prier d’abord ! Priez donc d’abord ; après seulement Notre-Seigneur ajoute : « Allez donc, enseignez … prêchez » (Mt, 10, 7). Sans doute, Dieu utilisera cet autre moyen, mais les bénédictions qui donnent la fécondité au ministère sont réservées à la prière de l’homme d’oraison. Prière assez puissante pour faire sortir du sein de Dieu les effluves brûlants d’une action irrésistible sur les âmes.

 

La grande voix de Pie X met ainsi en relief la thèse de notre modeste ouvrage :

 

« Pour restaurer toutes choses dans le Christ par l’apostolat des œuvres, il faut la grâce divine, et l’apôtre ne la reçoit que s’il est uni au Christ. C’est seulement lorsque nous aurons formé Jésus-Christ en nous que nous pourrons facilement le rendre aux familles et aux sociétés. Tous ceux qui participent à l’apostolat doivent donc avoir une piété véritable. »

Encyclique de S.S. Pie X aux évêques d’Italie, 11 juin 1905.

 

Et ce que nous disions de la prière s’applique à l’autre élément de vie intérieure, la souffrance, c’est-à-dire tout ce qui vient heurter la nature, soit au dehors, soit au-dedans.

 

On souffre comme un païen, un damné, ou un saint. Pour souffrir vraiment avec le Christ, il faut tendre à souffrir en saint. La souffrance sert alors à notre profit personnel et à l’application du mystère de la Passion sur les âmes ; « Ce qui manque aux souffrances du Christ dans ma propre chair, je l’achève pour son corps qui est l’Eglise » (Cl, 1, 24) – « Les souffrances du Christ étaient complètes, mais dans le chef seulement : il manque encore les souffrances du Christ dans ses membres mystiques » dit saint Augustin. Maintenant, c’est à son corps mystique de souffrir. Chaque prêtre peut dire : Ce corps, c’est moi, je suis un membre du Christ, et ce qui manque aux souffrances du Christ, il me faut le compléter pour son corps qui est l’Eglise.

 

La souffrance, dit le Père Faber, est le plus grand des sacrements. Ce profond théologien en montre la nécessité et en déduit les gloires. Tous les arguments du célèbre oratorien peuvent s’appliquer à la fécondité des œuvres par l’union des sacrifices de l’ouvrier évangélique au Sacrifice du Golgotha, et ainsi par leur participation à l’efficacité infinie du Sang divin.

 

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