Méditation du « PATER »
de Charles de Foucauld
Quand un texte est assez long, je le répartis sur deux ou plusieurs pages, et tant que possible à la suite l’un de l’autre, chaque jour. Pour cette méditation du « Notre Père », j’ai préféré le garder tout d’un bloc pour qu’il garde toute sa force unitaire. Pour ceux qui n’ont pas le temps ou la patience d’approfondir le tout en une seule fois, qu’ils prennent chaque partie une par une et qu’ils méditent chaque strophe à leur rythme. Ceci reste possible aussi pour chacun(e) d’entre nous. Bonne méditation de ce beau texte sous l’inspiration du bienheureux Charles de Foucauld et de l’Esprit-Saint.
« Notre Père »
Mon Dieu, que Vous êtes bon, Vous qui nous permettez de Vous appeler « Notre Père » ! Qui suis-je, pour que mon Créateur, mon Roi, mon Maître souverain me permette de l’appeler « Mon Père » ? Et non seulement me le permette, mais me l’ordonne ? Mon Dieu, que Vous êtes bon ! Combien je dois me souvenir, tous les moments de ma vie, de cet ordre si doux ! Quelle reconnaissance, quelle joie, quel amour, mais surtout quelle confiance, il doit m’inspirer. Puisque Vous êtes mon Père, mon Dieu, combien je dois toujours espérer en Vous ! Mais aussi puisque Vous êtes si bon pour moi, combien je dois être bon pour les autres ! Puisque vous voulez être mon Père et celui de tous les hommes, combien je dois avoir pour tout homme quel qu’il soit, quelque mauvais qu’il soit, les sentiments d’un tendre frère !
Donc confusion, reconnaissance, confiance, et espérance inaltérable, amour filial envers Dieu et fraternel envers les hommes.
Notre Père, notre Père, apprenez-moi à avoir ce nom sans cesse sur les lèvres avec Jésus, en Lui et par Lui, puisque pouvoir le dire est mon plus grand bonheur…
Notre Père, notre Père, puissé-je vivre et mourir en disant : Notre Père ; et par ma reconnaissance, mon amour, mon obéissance, être vraiment votre fils fidèle, un fils qui plaise à Votre Cœur. Amen.
« Notre Père qui êtes aux cieux. »
Pourquoi choisissez-Vous cette qualification, plutôt que toute autre, plutôt que Père juste, Père saint ? … C’est sans doute, mon Dieu, pour élever mon âme, dès le commencement de la prière, bien au-dessus de cette pauvre terre, et la placer, dès le début, où elle doit toujours être dans cette vie et dans l’autre, au ciel de sa Patrie… C’est aussi pour nous placer dès les premiers mots de nos prières, dans l’espérance et dans la paix : Notre Père est dans les Cieux. Comment avec la confiance, n’aurions-nous pas espérance et douce paix ? …
C’est aussi pour nous mettre, dès le début, dans la joie, en pensant que Notre Père, notre Dieu, notre Bien-Aimé, Celui que nous aimons de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toutes nos forces, jouit pour l’éternité d’un bonheur infini.
« Que votre nom soit sanctifié. »
Que demandons-nous par ces mots, mon Seigneur ? Nous demandons tout ce qui est l’objet de nos désirs, tout ce qui est le but, la fin de notre vie, mon Seigneur Jésus ! Nous demandons la manifestation de la gloire de Dieu et le salut des hommes, par leurs pensées, par leurs paroles et leurs actions. Et ceci c’est à la fois la manifestation de Votre gloire et leur perfection.
C’est donc le but, à la fois unique et double, de toutes nos prières et de toute notre vie que contiennent ces mots : « Que votre nom soit sanctifié ». Avec quel amour, avec quelle chaleur, nous devons soupirer vers Vous, mon Dieu, pour que cette prière soit exaucée !
Combien de fois elle s’est échappée des lèvres de Notre Seigneur, Lui qui n’est venu sur la terre que pour travailler à son accomplissement… Combien de fois Il a demandé à Dieu ce qu’Il nous a dit de Lui demander par ces mots ! Cette prière faisait le fond de ses demandes, comme ce désir était le plus ardent de son Cœur, comme leur accomplissement était la fin de tout le travail de sa vie.
Que cette prière soit aussi le fond de nos prières, de nos oraisons, de nos désirs, que non seulement en récitant le « Pater » nous demandions à Dieu sa gloire et le salut des hommes, mais que la plupart de nos prières n’aient d’autre objet, à l’imitation de Notre Seigneur, et que toutes nos pensées, nos paroles et nos actions n’aient d’autre but, comme les siennes.
Prions sans cesse pour cela, vivons uniquement pour cela, comme notre divin Modèle… Que nos soupirs, nos paroles, nos actes tendent tous à ce que le nom de Dieu soit glorifié, et pour cela à ce que les hommes se sanctifient, comme les soupirs, les paroles et les actes du Sauveur tendirent tous à cette fin. Cela n’empêche pas que nous fassions des prières et des actes pour que des objets particuliers concourant au but général, comme Notre Seigneur prie pour ses apôtres en particulier et instruit, guérit tel ou tel individu… Nos actes à nous, si petits, n’auront presque toujours d’influence apparente que sur les individus, mais offrons-les à Dieu, appliquons-les pour le bien général, et dans nos prières, qui touchent et atteignent l’infini, donnons toujours la plus grande part à la demande générale de la manifestation de la gloire de Dieu et du salut des âmes imitant en cela Notre Seigneur Jésus-Christ.
« Que votre règne arrive. »
Par cette demande, je demande exactement la même chose que la précédente : la manifestation de la gloire de Dieu et le salut des hommes… Qu’est-ce, en effet, que l’arrivée du Règne de Dieu, sinon que tous les hommes le regardent comme le seul Maître auquel ils ont à cœur d’obéir, comme leur roi tout-puissant et bien-aimé, s’empressent de toutes leurs forces à servir de leur mieux ce roi béni, emploient tout leur cœur, tout leur esprit, toute leur force, toute leur âme à accomplir le plus parfaitement ses moindres désirs ? … Et qu’est-ce que ce zèle incomparable de tous les hommes à servir leur roi céleste de tout leur cœur, sinon la manifestation de la gloire de Dieu et le salut des hommes ?
Combien nous devons prier, soupirer, diriger toutes nos actions dans ce but, que Notre Seigneur nous apprend à placer non seulement comme premier mais comme deuxième objet de nos prières !… Combien cette demande doit faire le fond de nos oraisons, de nos pensées, de nos désirs, puisque Notre Seigneur nous l’inculque tellement, et puisque nous savons qu’elle a fait le fond de ses prières et de ses entretiens avec son Père, pendant sa vie.
« Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
Cette demande est exactement la même que les deux précédentes : elle demande les deux mêmes choses, la gloire de Dieu et la sanctification des hommes… Qu’est-ce en effet que demander que les hommes fassent la volonté de Dieu, sinon demander qu’ils soient saints ? … et la sainteté des hommes, c’est en cela même que consiste la manifestation de la gloire de Dieu sur la terre…
Dans la prière que Notre Seigneur m’enseigne, Il veut donc qu’avant toute autre demande, je prie son Père, par trois fois, pour la manifestation de sa gloire sur la terre et la sanctification des hommes. Cela montre combien il avait ces deux objets à cœur, combien ils ont fait le fond de ses soupirs, de ces prières, comme d’ailleurs ils ont été la fin de sa vie ici-bas… Cela me montre aussi combien tout ce qui est propre à glorifier Dieu et à faire du bien aux âmes réjouit le cœur de Notre Seigneur puisque c’est conforme à ses plus ardents désirs et à l’œuvre de toute sa vie.
Cela montre combien toute offense contre Dieu et tout ce qui retarde la sanctification d’une âme est douloureux à son Cœur, puisque c’est en opposition directe avec ce qu’il désire le plus ardemment, avec ce qu’il demandait tous les jours à son Père, avec larmes et soupirs, et ce pourquoi il a donné tout son sang. Nous voyons par-là combien ceux qui, comme la bénie sainte Thérèse, éprouvent un serrement de cœur, une souffrance extrême à la vue, au récit du moindre péché commis par qui que ce soit, ont l’esprit de Notre Seigneur, qui, lui-même, éprouverait exactement la même peine, en pareil cas, puisqu’il désirait si ardemment, qu’Il aimait et choisissait si vivement la gloire, la louange, l’honneur de son Père et la sanctification des hommes.
Nous voyons aussi combien peu ont l’esprit de Notre Seigneur, ceux qui peuvent voir commettre des péchés, en entendre raconter sans douleur.
Tant que l’on éprouve pas cette vive douleur de toute offense contre Dieu, qu’éprouvait sainte Thérèse et bien plus encore Notre Seigneur, on n’a pas un vrai amour de la manifestation de la gloire de Dieu, on est loin d’avoir l’esprit de Jésus. Nous devons donc avoir une joie et un désir extrêmes de toute bonne action, un zèle extrême pour faire produire le bien et une douleur, une crainte extrêmes de tout ce qui offense Dieu et un zèle extrême pour lui éviter les moindres offenses (c’est dans cet esprit que Notre Seigneur chassait les vendeurs du Temple ; que saint Jean Chrysostome veut que les fidèles reprennent et même frappent les passants, les inconnus qu’ils entendent blasphémer).
« Donnez-nous aujourd’hui notre pain substanciel. »
Que demandons-nous par-là, ô mon Dieu ? Nous demandons pour aujourd’hui et en même temps pour la vie présente, qui ne dure qu’un jour, la pain qui est au-dessus de toute autre substance, c’est-à-dire le pain surnaturel, le seul qui nous soit nécessaire, le seul dont nous ayons absolument besoin pour atteindre notre fin : ce seul pain nécessaire, c’est la grâce…
Toutefois il est un autre pain surnaturel, qui, sans être absolument indispensable comme la grâce, est indispensable pour beaucoup et est le bien des biens, cet autre pain, dont le seul nom de pain nous donne la pensée, et qui est un bien si doux, un bien suprême, c’est la Très Sainte Eucharistie. Mais par-dessus tout, il faut remarquer qu’en demandant ce double pain de la grâce et de l’Eucharistie, je ne le demande pas pour moi seul, mais pour nous, c’est-à-dire pour tous les hommes… Je ne fais aucune demande pour moi seul, tout ce que je demande dans le Pater, je le demande ou pour Dieu ou pour les hommes.
M’oublier, ne penser qu’à moi et au prochain, à moi seulement en vue de Dieu et dans la même mesure qu’aux autres, comme il convient à celui qui aime par-dessus tout et le prochain comme soi-même, voilà ce que le Seigneur me fait pratiquer à chaque demande du Pater, ne pas prier pour soi seul, mais avoir bien soin de demander, pour tous les hommes, pour nous tous, enfants de Notre Seigneur, aimés de Lui, pour nous tous qu’Il a rachetés de son Sang.
« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons. »
Après avoir prié Dieu pour ce qui fait la fin de la vie de Notre Seigneur et de la nôtre, après Lui avoir demandé ce qui est le plus nécessaire pour atteindre cette fin, et le Lui avoir demandé pour tous les hommes, après avoir poussé vers Lui un soupir de désir en Lui demandant l’Eucharistie, qui est Lui-même, nous nous souvenons, après être montés si haut, de ce que nous sommes, de la misère infinie de notre âme qui a de telles aspirations, de tels désirs, de tels besoins, une telle fin… Et à cette vue nous disons : ayez pitié de nous, car nous sommes pécheurs…
Nous demandons pardon à Dieu de toute notre âme pour nous et pour tous ceux qui ont offensé Dieu. Nous voyons combien nos péchés sont horribles, combien ils sont en horreur à Dieu, combien ils l’outragent, l’insultent, combien Notre Seigneur a souffert en son Cœur, de chacune de ces offenses faites à son Père. Quelles souffrances Il a voulu subir pour les expier ! Quel prix elles Lui ont coûté ! Et alors, entrant dans les sentiments de Notre Seigneur, nous demandons pardon à Dieu avec humilité et repentir. La douleur de L’avoir offensé en nous-mêmes, la douleur de Le voir offensé par tant d’autres, s’exhale de nos cœurs par ce cri : Pardonnez-nous nos offenses. Et, en même temps, comme nous sentons qu’on ne peut sérieusement demander pardon à un autre, si soi-même on ne pardonne pas, nous voyons clairement que toutes les injures qu’on pourrait nous faire ne sont rien à côté de celles que nous avons faites à Dieu, nous protestons que nous pardonnons, que nous regardons comme rien le mal qu’on a pu nous faire, que nous n’avons pas un regard pour lui, que nous l’avons oublié… et nous supplions Dieu de nous pardonner, Lui aussi, nos offenses énormes envers Lui. Le pardon comme la grâce on le demande, non pour soi seul, mais pour tous les hommes.
« Ne nous laisser pas succomber à la tentation. »
Mon Seigneur, expliquez-moi ce que vous voulez que je demande par-là, et pourquoi Vous voulez plutôt ceci qu’autre chose. Cette demande, c’est un cri, le cri de toute heure, de toute minute, le cri : Au secours ! Il faut qu’il ait sa place dans le Pater parce qu’étant la demande obligée de tous les moments de la vie, il doit se trouver dans toute prière… Je suis tellement entouré d’ennemis que non seulement je ne puis atteindre ma fin sans appeler au secours à toute heure, mais que je ne puis pas dire, même une courte prière, sans crier au secours.
Notre Seigneur me fait faire cette demande dans le Pater parce qu’elle m’est nécessaire à tout heure, qu’elle doit se trouver à l’état de cri de l’âme cent fois dans toute prière et pour m’apprendre à pousser sans cesse vers Lui, à tout heure, ce cri de « Au Secours ».
« Délivrez-nous du mal. »
Délivrez-nous du péché, le seul mal véritable, le seul qui vous offense, votre mal. Délivrez du péché tous les hommes : de cette manière ils seront saints et leur sainteté vous glorifiera ; votre gloire sera manifestée et leur salut sera assuré, ce qui est la seule chose que nous voulons. Délivrez-nous donc du mal, du péché, mon Dieu, afin que vous soyez glorifié, afin que les hommes soient sauvés.
Cette demande renferme, comme les trois premières, tout ce que nous avons à demander, tout ce qui constitue notre fin, celle de l’Eglise, celle de la vie de Notre Seigneur ici-bas, mais elle renferme tout cela d’une manière indirecte et en faisant un retour sur nous-mêmes, en demandant une des choses nécessaires pour accomplir notre fin, tandis que les trois premières phrases demandent directement notre fin dernière, la gloire de Dieu.
Rome, 23 janvier 1897