L’humilité, partie 1 (ASDE 11)

  

L’Humilité

De saint Josemaria Escriva

Extraits du 1er livre posthume

Amis de Dieu (suite)

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Nous allons considérer pendant quelques instants les textes de la Messe de ce mardi de la Passion, afin de savoir discerner la bonne divinisation de la mauvaise divinisation. Nous allons parler d’humilité, car c’est la vertu qui nous aide à connaître à la fois notre misère et notre grandeur.

 

Notre misère n’est que trop évidente. Je ne parle pas des limitations naturelles : tant de grandes aspirations auxquelles rêvent les hommes et que pourtant ils ne réaliseront jamais, ne serait-ce que par manque de temps. Je pense à ce que nous faisons de mal, aux chutes, aux erreurs que nous pourrions éviter et que nous n’évitons pas. Nous faisons continuellement l’expérience de notre manque d’efficacité personnelle. Mais il semble parfois que tout cela vienne ensemble, et se montre avec davantage de force, afin que nous nous rendions compte du peu de chose que nous sommes. Que faire ?

 

Expecta Dominum, aie confiance dans le Seigneur; vis d’espérance, nous suggère l’Eglise, avec amour et foi. Viriliter agite, comportez-vous avec virilité. Qu’importe que nous soyons des créatures d’argile, si nous avons mis notre espérance en Dieu ? Et s’il arrive que l’âme subisse une chute, un recul — bien qu’il ne soit pas nécessaire que cela se produise —, on lui administre le remède, comme l’on agit normalement dans la vie courante pour la santé du corps; et l’on recommence de nouveau !

 

N’avez-vous pas remarqué, lorsqu’une famille conserve un objet décoratif de valeur et fragile — une potiche par exemple —, comme elle en prend soin pour qu’il ne se brise pas ? Jusqu’au jour où l’enfant, en jouant, le fait tomber par terre, et où ce souvenir précieux se rompt en plusieurs morceaux. Grande est la peine, mais on le répare aussitôt; on le recompose, on le recolle avec soin et, une fois restauré, il est en fin de compte aussi beau qu’avant.

Mais quand l’objet est en faïence, ou simplement en terre cuite, il suffit d’habitude de quelques agrafes, de fils de fer ou d’autre métal qui maintiennent ensemble les morceaux. Et le vase ainsi réparé y gagne un charme original.

 

Transposons cela à la vie intérieure. En présence de nos misères et de nos péchés, en présence de nos erreurs — bien que, par grâce divine, elles soient de peu d’importance —, ayons recours à la prière et disons à notre Père : Seigneur, sur ma pauvreté, sur ma fragilité, sur mon argile de vase cassé, Seigneur, mets des agrafes et, fort de ma douleur et avec ton pardon, je serai plus solide et plus beau qu’avant ! Une prière consolante, que nous devrons répéter quand notre pauvre argile se brisera en morceaux.

 

Ne soyons pas surpris si nous sommes fragiles, ne nous étonnons pas de constater que notre conduite s’est ébranlée pour moins que rien; ayez confiance dans le Seigneur, toujours prêt à secourir: Yahvé est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? De personne : en parlant de cette façon à notre Père du Ciel, nous montrons que nous n’avons peur de rien ni de personne.

 

Si nous nous reportons à la Sainte Ecriture, nous verrons que l’humilité est une condition indispensable pour nous disposer à écouter Dieu. Chez les humbles se trouve la sagesse enseigne le livre des Proverbes. L’humilité, c’est nous regarder tels que nous sommes, sans rien nous cacher, avec vérité. Et, comprenant que nous ne valons presque rien, nous nous ouvrons à la grandeur de Dieu : c’est là notre grandeur.

 

Comme elle l’avait bien compris Notre Dame, la Sainte Mère de Jésus, la créature la plus éminente de toutes celles qui ont existé et qui existeront sur la terre ! Marie glorifie le pouvoir du Seigneur, qui a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles. Et elle chante cette providence divine qui s’est accomplie une fois de plus, en elle : parce qu’Il a jeté les yeux sur son humble servante. Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

Marie se trouve transformée en sainteté, dans son coeur très pur, en présence de l’humilité de Dieu : L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’enfant sera saint et sera appelé Fils de Dieu. L’humilité de la Vierge est la conséquence de cet abîme insondable de la grâce, qui se produit avec l’Incarnation de la Seconde Personne de la Très Sainte Trinité dans les entrailles de sa Mère toujours Immaculée.

 

Lorsque saint Paul évoque ce mystère, il éclate également en une hymne joyeuse que nous pouvons aujourd’hui savourer à loisir : ayez entre vous les mêmes sentiments que le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui L’égalait à Dieu par essence. Mais Il s’anéantit Lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, Il s’humilia glus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix !

Jésus-Christ Notre Seigneur nous propose fréquemment dans sa prédication l’exemple de l’humilité : mettez-vous à mon école, car Je suis doux et humble de cœur. Afin que toi et moi nous apprenions qu’il n’y a pas d’autre chemin, que c’est seulement quand nous connaîtrons vraiment notre néant que nous attirerons à nous la grâce divine. Pour nous, Jésus est venu souffrir de la faim et mourir, Il est venu ressentir la soif et donner à boire, Il est venu se revêtir de notre mortalité et revêtir l’immortalité, Il est venu pauvre pour faire des riches.

 

 

Dieu résiste aux orgueilleux, mais c’est aux humbles qu’Il donne sa grâce, nous enseigne l’Apôtre saint Pierre. A toute époque, en toute situation humaine, il n’existe qu’un seul chemin pour vivre une vie divine, celui de l’humilité. Serait-ce que le Seigneur prend plaisir à notre humiliation ? Non. Que pourrait gagner à notre humiliation Celui qui a créé toutes choses, qui maintient et gouverne tout ce qui existe ? Dieu désire seulement notre humilité, que nous nous vidions de nous-mêmes, pour pouvoir nous remplir; Il veut que nous ne Lui opposions pas d’obstacle, afin que — pour parler de façon humaine — sa grâce trouve davantage de place en notre pauvre coeur. Parce que le Dieu qui nous incite à être humbles est Celui qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, avec cette force qu’Il a de pouvoir même se soumettre tout l’Univers. Notre Seigneur nous fait siens, nous divinise d’une bonne divinisation.

 

Et qu’est-ce qui empêche cette humilité, cette bonne divinisation ? L’orgueil. Voilà le péché capital qui conduit à la mauvaise divinisation. L’orgueil nous pousse à suivre, peut-être sur des points très insignifiants, ce qu’insinua Satan à nos premiers parents : vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal. On lit également dans l’Ecriture que le principe de l’orgueil, c’est d’abandonner le Seigneur. Parce que ce vice, une fois enraciné, influe sur toute l’existence de l’homme, jusqu’à se transformer en ce que saint Jean appelle la superbia vitae, l’orgueil de la vie.

 

Orgueil ? De quoi ? L’Ecriture Sainte a des accents à la fois tragiques et comiques pour stigmatiser l’orgueil : de quoi t’enorgueillis-tu, poussière et cendre ? Pendant ta vie déjà, tu vomis tes entrailles. Une maladie légère : le médecin sourit. L’homme qui est aujourd’hui roi, demain sera mort.

 

Quand l’orgueil s’empare d’une âme, il ne faut pas s’étonner si tous les vices arrivent à sa suite comme à la queue leu leu : l’avarice, les intempérances, l’envie, l’injustice. L’orgueilleux essaye en vain de ravir son trône à Dieu, — Lui qui est miséricordieux envers toutes les créatures — pour s’y installer, et il se comporte de façon cruelle.

Nous devons demander au Seigneur de ne pas nous laisser succomber à cette tentation. L’orgueil est le pire des péchés et le plus ridicule. S’il parvient à nous tourmenter avec ses hallucinations multiples, nous nous protégeons alors par des faux-semblants, nous nous remplissons de vide, nous plastronnons comme la grenouille de la fable qui, présomptueuse, se gonflait le jabot jusqu’à en éclater. L’orgueil est désagréable, même du point de vue humain : celui qui se considère supérieur à tout et à tous, se contemple continuellement lui-même et méprise les autres, qui lui répondent en se moquant de sa vaine fatuité.

 

Quand nous entendons parler d’orgueil, nous imaginons peut-être une attitude despotique, asservissante : de grands bruits de voix qui acclament le triomphateur qui passe, tel un empereur romain, sous de hauts arcs, faisant mine de baisser la tête de crainte que son front glorieux ne heurte le marbre blanc

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Soyons réalistes : cet orgueil-là est le fruit d’une imagination débridée. Les formes contre lesquelles nous avons à lutter sont plus subtiles, mais plus fréquentes : c’est l’orgueil de préférer ses mérites personnels à ceux du prochain; c’est la vanité dans les conversations, dans les pensées et dans les gestes ; c’est une susceptibilité presque maladive, qui se sent atteinte par des mots et des actions qui n’impliquent en aucune façon une offense.

Tout cela peut bien être — est, en réalité — une tentation courante. L’homme se prend lui-même pour le soleil et le centre de tous ceux qui l’environnent. Tout doit tourner autour de lui. Et il n’est pas rare que, dans son désir maladif, il ait même recours à la simulation de la douleur, de la tristesse et de la maladie pour que les autres aient soin de lui et le cajolent.

 

C’est l’imagination qui fabrique la plupart des conflits qui se présentent dans la vie intérieure de beaucoup de gens : ils ont dit, ils vont penser, ils font attention à moi… Et cette pauvre âme souffre à cause de sa triste fatuité, de soupçons non fondés. Dans cette aventure malheureuse son amertume est continuelle et volontiers contagieuse : parce qu’elle ne sait pas être humble, parce qu’elle n’a pas appris à s’oublier elle-même pour se donner généreusement au service d’autrui par amour de Dieu.

 

Ayons de nouveau recours à l’Evangile. Regardons-nous dans notre modèle, en Jésus-Christ.

 

Jacques et Jean, par l’intermédiaire de leur mère, ont demandé au Christ de les placer à sa gauche et à sa droite. Les autres disciples sont indignés contre eux. Et que répond Notre Seigneur ? : celui qui voudra devenir grand parmi vous se fera votre serviteur et celui qui voudra être le premier parmi vous se fera l’esclave de tous. Aussi bien, le Fils de l’Homme lui-même n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude.

 

Une autre fois, sur le chemin de Capharnaüm, Jésus allait peut-être devant eux, comme en d’autres étapes. Une fois à la maison Il leur demanda :De quoi discutiez-vous en chemin ? “ Eux se taisaient car ils avaient discuté en chemin — une fois de plus — de qui était le plus grand. Alors, s’étant assis, Il appela les Douze et leur dit :Si quelqu’un veut être le premier, il se fera le dernier de tous et le serviteur de tous. Puis, prenant un petit enfant, Il le plaça au milieu d’eux et, l’ayant embrassé, Il leur dit : “ Quiconque accueille un de ces petits enfant : en mon Nom, c’est Moi qu’il accueille ; et quiconque m’accueille, ce n’est pas Moi qu’il accueille mais Celui qui m’a envoyé. “

 

 

 

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