6ème partie
Par Sœur Marie Lataste, mystique catholique
LIVRE 2
Le Verbe de Dieu fait homme
Chap. 14, Le sacrement de l’amour du Seigneur
(Partie 3)
Amabilité de Jésus dans l’eucharistie
Le lendemain, j’eus le bonheur de retourner près du Sauveur Jésus. Il me parla ainsi :
— Ma fille, qui vous attire près de l’autel ?
— Seigneur, lui répondis-je, c’est votre présence dans votre sacrement.
— Qu’éprouvez-vous quand vous venez dans mon temple ?
— J’éprouve, Seigneur, la douceur de votre miséricorde et l’amabilité de votre vertu sur moi.
— Vous trouvez donc un attrait dans mon tabernacle ?
— Oui, Seigneur, un attrait irrésistible ; je suis comme le cerf altéré qui soupire après une source d’eau vive, et je la trouve en vous. Je suis comme une pauvre enfant délaissée qui a besoin d’épancher son cœur dans celui d’une mère, et je l’épanche en vous. Je suis comme un exilé qui attend sur le chemin la rencontre d’un ami qui lui parle de sa patrie, et je vous trouve ici chaque jour pour me parler du ciel. Vous êtes tout pour moi, mon Dieu, et je comprends bien la vérité des paroles de votre Prophète, qui s’écriait :
Mon Dieu, que vos tabernacles sont pleins d’amabilité : un seul jour passé près de vous vaut mieux que mille passés sous les tentes des pécheurs.[1]
— Qu’est-ce qui vous attire le plus vers moi ?
— C’est votre cœur tout brûlant d’amour et la douceur de vos paroles.
— Êtes-vous toujours heureuse et contente près de moi ?
— Oui, Seigneur, quand je ne pense qu’à vous.
— Comment cela ?
— Seigneur, parce que je sais que vous m’aimez et que je veux vous aimer de plus en plus.
— Seriez-vous donc mécontente et malheureuse de quelque autre manière ?
— Oui, Seigneur, quand je pense aux pécheurs, aux injures que vous recevez, à la peine qui vous afflige ; alors, mon Dieu, je ne suis plus heureuse, je souffre plus que la mort, je voudrais mourir pour ces pécheurs et ces ingrats pour que vous ne fussiez point offensé ni affligé, et, ne le pouvant, je gémis en silence et je souffre dans mon cœur.
— Ma fille, ces sentiments vous honorent ; vous comprenez bien, je le vois, le prix de ma présence dans le sacrement de l’autel ; vous savez y trouver et y goûter aussi toute la douceur et l’amabilité d’un Dieu fait homme et victime eucharistique pour le salut et la consolation des hommes. Ah ! vous avez raison de vous attrister à la vue des outrages que je reçois, à la vue de l’ingratitude et de l’indifférence des pécheurs, à la vue surtout des nombreux sacrilèges qui se commettent chaque jour. Vous vous attristeriez bien plus encore si vous compreniez la grandeur et la réalité des offenses que je reçois ; mais vous ne pouvez le comprendre, votre intelligence est trop bornée pour cela et même votre amour encore trop faible.
Ah ! du moins, pénétrez chaque jour de plus en plus dans mon cœur : étudiez-en chaque jour de plus en plus tous les secrets et toutes les amabilités ; il vous plaira toujours davantage, et vous éviterez ce qui pourrait me déplaire ou me mécontenter en vous. Vous me dédommagerez ainsi, ma chère fille, de l’indifférence de tant d’autres par l’ardeur de votre amour. Ma fille, ma bien-aimée, l’épouse de mon cœur, l’objet de mes complaisances, pourquoi suis-je si bon à votre égard, pourquoi m’est-il agréable de vous donner de si hauts témoignages de mon amour ? Laissez-moi vous le dire : c’est pour que vous ne me refusiez rien, pour que vous soyez aussi toute à moi, pour que vous deveniez une image fidèle de votre Sauveur, pour que vous soyez humble comme moi, soumise et obéissante comme moi, sainte comme moi, en un mot, pour que vous m’aimiez comme je vous aime. »
Jésus dans l’eucharistie, délaissé par les hommes et entouré par les anges du ciel
Un jour, après la sainte communion, j’aperçus le Sauveur Jésus dans mon cœur comme je l’avais aperçu déjà plusieurs fois sur l’autel, assis sur un trône d’or. Je le regardai longtemps, je l’adorai au-dedans de moi-même et lui renouvelai l’offrande de tout ce que j’avais. Je me croyais toute renfermée dans mon cœur, à genoux auprès de Jésus.
Bientôt je me sentis portée à sortir de mon cœur pour suivre un attrait auquel je ne pus résister et qui m’appelait à l’autel. Je vis aussitôt avec les yeux de l’esprit deux anges avec de grandes ailes se placer chacun d’un côté de l’autel. De l’une de leurs ailes, ils couvrirent le dessus du tabernacle ; ils étendirent l’autre sur le devant et le voilèrent en entier. Les plumes de leurs ailes semblaient des lames d’or transparentes et brillaient à mes yeux comme des rayons du soleil. Je vis deux autres anges semblables à de petits enfants ; ils ne reposaient nulle part ; leurs ailes les soutenaient au-devant du tabernacle. Ils étaient tournés du côté du peuple, les mains jointes sur la poitrine, les yeux fermés, et criaient avec vigueur :
« Voici le Seigneur, adorez-le ! Adorez-le ! »
Deux autres descendirent du ciel, semblables aux premiers. Ils tenaient un encensoir à la main. Ils encensaient sans relâche l’autel et faisaient des inclinations profondes pour témoigner de leur respect et de leur soumission pour le Dieu de l’eucharistie. Un septième, enfin, se plaça devant l’autel. Il était grand comme les deux premiers et portait aussi de grandes ailes. Son air et son regard étaient sévères, ses bras nus, et sa robe ne descendait que jusqu’aux genoux. Il éleva sa voix vers le peuple et dit avec force :
« C’est ici qu’habite Celui que les anges adorent avec un grand respect, avec crainte et tremblement, saisis d’une légitime frayeur en sa présence. Ô hommes ! si vous connaissiez aussi bien que nous la grandeur de la majesté suprême, vous l’adoreriez avec crainte et tremblement et avec le plus grand respect. Que faites-vous pourtant ? Ne venez-vous pas l’insulter en face par votre immodestie et vos irrévérences ? Quelle différence entre les hommes et les anges ! Je ne veux point vous parler par vanité ni ostentation, mais pour la gloire de Dieu, Créateur des hommes et des anges.
« Les anges sortirent des mains du Créateur dans un état de grâce et de sainteté. Ces intelligences célestes étaient les esprits sans corps, destinés à adorer continuellement la majesté divine, à être aussi les exécuteurs de ses volontés. Il y eut une épreuve pour tous les anges. Ceux qui furent fidèles conservèrent la destination que Dieu leur avait faite, et ils trouvèrent là leur bonheur ; à jamais reconnaissants envers leur Créateur et leur récompense, ils l’adorent sans cesse dans le recueillement et le silence, et accomplissent partout sa volonté. Ceux qui furent infidèles furent pour toujours séparés de Dieu, et l’enfer s’ouvrit pour les engloutir.
« Dieu a aussi créé l’homme juste et saint. L’homme se révolta contre Dieu. Qu’a fait alors Dieu pour l’homme ? L’a-t-il condamné pour l’éternité ? Non, Dieu a eu pitié de l’homme ; il s’est fait homme lui-même ; il est mort pour le racheter. Ce n’est point assez, il a voulu continuer son incarnation, sa rédemption et sa vie pour l’homme dans l’eucharistie. A cette vue, tous les hommes, pénétrés de reconnaissance et d’amour, n’accourront-ils donc pas vers ce Dieu incarné, vers ce Dieu Sauveur, vers ce Dieu hostie et victime, vers ce Dieu sacrement de vie et d’amour ? Tous les hommes ne viendront-ils point recevoir les grâces que ce Dieu du tabernacle veut verser sur eux ? Ne viendront-ils point le recevoir en nourriture, se désaltérer dans son sang comme dans une source mystérieuse qu’il fait couler jusqu’à la fin des siècles ? »
« Ô hommes ! Vous venez pour l’insulter, pour l’outrager ; ou bien vous laissez votre Dieu solitaire et dans l’oubli. Vous devriez être pénétrés de crainte et de frayeur en approchant de lui, parce que vous êtes créatures et qu’il est Créateur, parce qu’il est Dieu et que vous êtes néant et péché, et vous le bravez, téméraires et insensés ! Ah ! Malheur à qui méprise le Dieu de l’eucharistie ! Malheur à qui profane le corps et le sang du Dieu de l’eucharistie ! Malheur à ces sacrilèges qui veulent toujours vivre dans la révolte ! Ils refusent à Dieu leur devoir et leur amour ; Dieu ne leur refusera point ses condamnations et ses vengeances. »
Quand cet ange eut fini de parler, un des deux qui couvraient de leurs ailes le dessus et le devant du tabernacle, vint prendre sa place. Sa figure était pleine de bonté et de douceur. Il prit la parole et s’exprima ainsi :
« Enfants de Dieu, Celui qui vous a délivrés et sauvés habite parmi vous, et il fait ses délices d’être avec vous ! Bien que l’ange que vous avez entendu vous ait dit que vous deviez être près de lui dans la crainte et le tremblement, que cela ne vous empêche pas de venir à lui avec confiance et surtout avec amour. Ah ! si vous connaissiez la grandeur de sa miséricorde et la douceur de sa présence, vous viendriez plus souvent à lui. Oui, venez à lui, joignant en même temps la crainte et l’amour, unissant la confiance à la frayeur, et ce mélange admirable fera que vos sentiments lui seront précieux et qu’il vous bénira avec effusion. »
« Si vous ne pouvez avoir en vous des sentiments d’aucune sorte, quand vous le recevez ou que vous vous approchez de lui, ne vous en alarmez pas. Vous n’êtes point maîtres de vos sentiments ; si vous n’avez point de sentiments en vous, il n’en exige pas ; ce qu’il demande, c’est que vous vous offriez tels que vous êtes, avec ce qui est à vous et en vous, et que vous le lui offriez avec joie et bonheur. Ainsi vous lui offrirez tout ce que vous pouvez lui offrir, et le lui offrant vous n’offriez encore que ce qu’il a mis en vous. Je vous le répète, venez souvent, venez tous les jours à votre Dieu, ayez confiance en lui, aimez-le, et il vous verra d’un œil favorable, il vous témoignera combien il vous aime, lui aussi, et combien il estime tout ce que vous faites pour lui. »
Cet ange, après avoir ainsi parlé, se prosterna entre les deux anges qui tenaient chacun un encensoir à la main. Il prit sur l’autel une navette d’or pleine d’encens odoriférant, dont il versa la moitié dans l’encensoir de l’ange qui était à sa droite et l’autre moitié dans celui de l’ange qui était à sa gauche, et la fumée s’éleva jusqu’à la voûte, remplit tout le sanctuaire, et je ne vis plus rien.
[1] Psaume 84, verset 11.