Fécondité des œuvres
par la vie intérieure
Extrait de « L’âme de tout apostolat »
de Don Chautard
2ème partie
c) La Vie intérieure produit dans l’apôtre le rayonnement surnaturel. Combien ce rayonnement est efficace. (suite)
PAR LA VIE INTERIEURE L’APÔTRE RAYONNE DE BONTE
Un zèle qui n’est pas charitable, dirait saint François de Sales, vient d’une charité qui n’est pas véritable. En savourant, par l’oraison, la suavité de Celui que l’Eglise appelle « Océan de Bonté », une âme arrive à se transformer. Fût-elle naturellement portée à l’égoïsme et à la dureté, tous ces défauts disparaîtront peu à peu. En se nourrissant de Celui en qui apparût ma bénignité de Dieu sur le monde « Dieu notre Sauveur a fait apparaître sa bénignité et son amour » (Ti, 3, 4), de Celui qui est l’image, l’expression adéquate de la Bonté divine : « Car elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l’activité de Dieu, une image de sa bonté » (Sg, 7, 26), l’apôtre participe à la bienfaisance de Dieu et éprouve le besoin d’être comme « diffusé ».
Plus un cœur est uni à Jésus-Christ, plus il participe à la qualité de maîtresse du Cœur Divin et Humain du Rédempteur, à sa Bonté. Indulgence, bienveillance, compassion, tout est décuplé en lui, et sa générosité et son dévouement iront jusqu’à l’immolation joyeuse et magnanime.
Transfiguré par l’amour divin, l’apôtre s’attirera sans efforts la sympathie des âmes : « Il a plu à cause de sa foi et de sa mansuétude » (Ec, 45, 29). Ses paroles et ses actes seront empreints de bonté, d’une bonté désintéressée, sans ressemblance avec celle qu’inspire le désir de la popularité ou l’égoïsme subtil.
« Dieu a voulu, écrivait Lacordaire, qu’aucun bien ne se fit qu’en l’aimant, et que l’insensibilité fût à jamais incapable, soit de lui donner la lumière, soit de lui inspirer la vertu. » Et de fait, à la force qui veut s’imposer, on met sa gloire à résister, à la science qui prétend toujours vaincre, on se fait un point d’honneur d’opposer des objections ; mais parce qu’on n’éprouve aucune humiliation à être désarmé par la bonté, facilement on cède au charme de ses procédés.
La Petite Sœur des Pauvres, la petite Sœur de l’Assomption, la Fille de la Charité, pourraient citer une foule de conversions opérées sans discussion par la seule vertu d’une bonté infatigable et souvent héroïque.
Dieu est là s’écrie l’impie ou le pécheur devant ces dévouements. Je le vois, tel qu’il se définit : le « bon Dieu ». Et faut-il qu’il soit bon, pour que le commerce avec Lui rende un être si délicat capable d’anéantir son amour-propre et de faire taire ses plus légitimes répugnances !
Ces anges terrestres réalisent cette définition du PF Faber :
« La bonté, c’est le débordement de soi-même dans les autres. Etre bon, c’est mettre les autres à la place de soi. La bonté a converti plus de pécheurs que le zèle, l’éloquence ou l’instruction, et ces trois choses n’ont jamais converti personne sans que la bonté y ait été pour quelque chose. En un mot, la bonté nous rend comme des dieux les uns pour les autres. C’est la manifestation de ce sentiment dans les hommes apostoliques qui attire les pécheurs vers eux et qui les conduit ainsi à leur conversion. »
Et il ajoute : « Partout la bonté se montre le meilleur pionnier du Précieux Sang… » Sans doute les terreurs du Seigneur sont fréquemment le principe de cette sagesse que l’on nomme conversion ; mais il faut effrayer les hommes avec bonté, car autrement la crainte ne fera que des infidèles… Ayant le cœur d’une mère dit saint Vincent Ferrier. Que vous deviez encourager ou épouvanter, montrez à tous les entrailles d’une tendre charité, et que le pécheur sente qu’elle inspire votre langage. Si vous voulez être utile aux âmes, commencez par recourir à Dieu de tout votre cœur pour qu’Il répande en vous cette charité en laquelle est l’abrégé de toutes les vertus, afin que, par elle, vous atteigniez efficacement le but que vous vous proposez.
Il y a toute la distance de l’humain au divin entre la bonté naturelle, simple fruit du tempérament, et la bonté surnaturelle d’une âme apôtre. La première pourra faire naître le respect, même la sympathie pour l’ouvrier évangélique et parfois faire dévier vers la créature une affection qui ne devait aller qu’à Dieu. Jamais elle n’arrivera à déterminer les âmes à faire, et vraiment en vue de Dieu, le sacrifice nécessaire pour revenir à leur Créateur. Seule la bonté qui découle de l’intimité avec Jésus peut réaliser cet effet.
L’ardent amour pour Jésus et la vraie direction pour les âmes donne à l’apôtre toutes les audaces compatibles avec le tact et la prudence. D’un laïc éminent nous tenons directement ce récit. S’entretenant avec Pie X, il avait au cours de la conversation décoché quelques paroles mordantes, à l’adresse d’un ennemi de l’Eglise.
« Mon Fils, lui dit le pape, je n’approuve pas votre langage. En punition, écoutez cette histoire. Un prêtre que j’ai beaucoup connu arrivait dans sa première paroisse. Il crut de son devoir de visiter chaque famille. Juifs, protestants, francs-maçons même ne furent pas exclus, et il annonça en chaire que chaque année il renouvellerait sa visite. Grand émoi chez ses confrères qui se plaignent à l’évêque. Celui-ci mande aussitôt l’accusé et lui adresse une semonce. Monseigneur, lui répond modestement le curé, Jésus, dans l’Evangile, ordonne au pasteur d’amener au bercail toutes ses brebis. Comment y réussir sans aller à leur recherche ? D’ailleurs je ne transige jamais sur les principes et me borne à témoigner mon intérêt et ma charité à toutes les âmes, même égarées, que Dieu m’a confiées. J’ai annoncé ces visites en chaire, si votre désir formel est que je m’en abstienne, daignez me donner cette défense par écrit, afin que l’on sache que je ne fais qu’obéir à vos ordres. Ebranlé par la justesse de ce langage l’évêque n’insista pas. L’avenir, du reste, donna raison à ce prêtre qui eut la joie de convertir quelques-uns de ces égarés et força tous les autres à un grand respect pour notre sainte Religion. L’humble curé est devenu par la volonté de Dieu, le pape qui vous donne, mon Fils, cette leçon de charité. Soyez donc inébranlable sur les principes, mais que votre charité s’étende à tous les hommes, fussent-ils les pires ennemis de l’Eglise. »