Viens, Enfant-Jésus : très belle histoire d’une fillette de 10 ans, persécutée par son institutrice, qui appelle l’enfant Jésus à se manifester

Quand le Christ se manifeste

Un ouvrage de Jean-Marie Mathiot

 

Viens, Enfant-Jésus !

(en Hongrie, en 1950 )

 

 

On est en plein régime communiste athée, de l’autre côté du rideau de fer. Cela s’est passé en Hongrie dans une petite bourgade de quelque 1500 âmes. L’institutrice de l’école communale était une athée militante. Tout son enseignement semblait axé sur ce postulat majeur que Dieu n’existe pas. Toute occasion lui était bonne pour dénigrer, ridiculiser, conspuer la religion. Son programme scolaire était simple, former des petits sans-Dieu. Le curé du village raconte :

Intimidés, les enfants n’osaient se défendre. Et pourtant, leurs familles étaient croyantes et profondément attachées à la foi et aux pratiques religieuses. Curé de la paroisse, je réunissais mon petit monde à l’église pour des leçons de catéchisme.

 

Dans l’ensemble, les petits ne se laissaient guère impressionner par les balivernes que leur débitait à jet continu Mademoiselle Gertrude, l’institutrice. Je faisais de mon mieux pour les équiper, en les habituant à fréquenter les sacrements. Chose curieuse : Mademoiselle Gertrude semblait douée d’un flair mystérieux pour dépister les enfants qui avaient communié : elle s’acharnait littéralement à les rudoyer, c’étaient ses bêtes noires. Il se peut évidemment qu’elle ait été avertie par quelque mouchard, mais là encore entrait en jeu le facteur temps. Grâce aux nouveaux règlements sur le jeûne eucharistique, les enfants pouvaient prendre quelque chose de chaud avant d’aller à l’église qui était sur le chemin de l’école. Certaines communiaient, d’autres pas. Or, Mademoiselle Gertrude les discernait tout de suite, du premier coup d’œil, et dès la première leçon. Bien malin qui aurait réussi à les lui signaler dans un aussi bref intervalle de temps ! Pour notre part, jamais nous n’avons admis cette hypothèse. La paroisse était unie, les enfants faisaient bloc.

 

Dans la quatrième classe A, il y avait une petite fille de 10 ans nommée Angèle. Très intelligente, très douée, elle était toujours la première. Ses compagnes ne la jalousaient pas, car elle avait un cœur d’or et s’ingéniait à leur rendre service à la moindre occasion.

 

Un beau jour, elle vint me demander la permission de la communion quotidienne. « Sais-tu à quoi tu t’exposes ? » lui demandai-je. Elle rit comme une gamine prête à jouer un tour. « Monsieur le curé, ‘elle’ aura du mal à me prendre en faute, je vous l’assure ! Je travaillerai encore mieux… Ne me la refusez pas. Les jours où je communie, je me sens plus forte. Je dois donner un bon exemple. Pour le faire, il me faut beaucoup de force ! »

 

Je dis oui, mais non point sans inquiétude.

 

A partir de ce moment, la quatrième A devint un petit enfer. Angèle avait beau savoir à merveille toutes ses leçons, l’institutrice la prit en grippe et l’accablait de brimades. L’enfant tenait bon, mais pâlissait à vue d’œil. « Voyons Angèle, n’est-ce pas trop dur ? » – « Oh, non, Monsieur le curé, Jésus a souffert bien plus encore lorsqu’on crachait sur lui. Cela ne m’est pas encore arrivé à moi. » Devant cette clairvoyance, je demeurais émerveillé. Ce n’est pas Angèle qui venait se plaindre des mauvais traitements qu’on lui infligeait. Ce sont ses compagnes de classe qui, en pleurant, me racontaient chaque jour les attaques de Mademoiselle Gertrude. Ne pouvant pas s’en prendre aux leçons, elle s’ingéniait à démolir la foi de l’enfant.

 

Les parties étaient bien inégales et l’épreuve cruelle. Aux arguments massifs de Mademoiselle Gertrude qui, oubliant le programme scolaire, déployait devant la classe tout l’arsenal des sans-Dieu, Angèle ne trouvait point de réponse. Elle restait là, debout, muette, tête basse, étouffant des sanglots. Sa foi demeurait inébranlable, mais comment la défendre ?

 

A partir de novembre, les leçons de quatrième A se transformèrent en de véritables duels entre l’institutrice et cette enfant de dix ans. Apparemment, la première triomphait et avait toujours le dernier mot. Pourquoi, alors, tant de féroce insistance ? Le silence d’Angèle semblait la mettre hors de ses gonds. Que pouvais-je faire, sinon envenimer la situation. Grâce à Dieu, Angèle tenait bon. Il ne restait qu’à prier, à prier de toutes nos forces.

L’affaire s’ébruita à travers la bourgade et dans les environs. Cependant, personne ne me blâma d’avoir permis à Angèle de communier tous les jours. Ce n’était un secret pour personne qu’en cette frêle petite fille, l’institutrice visait un bien commun, le trésor de la foi. Même les parents d’Angèle l’encourageaient. Du jour au lendemain, elle devint la vedette de la région. Tout le monde admirait son cran. Elle seule ne s’en doutait pas, humiliée par son incapacité de se défendre et de trouver des arguments pour justifier sa foi.

 

Peu de jours avant Noël, le 17 décembre exactement, Mademoiselle Gertrude inventa un jeu cruel qui devait, à son sens, porter un coup de grâce aux suspicions ancestrales qui infestaient l’école. La scène mérite d’être rapportée dans toute son ampleur.

 

Naturellement, Angèle est mise sur la sellette. D’une voix douce, l’institutrice l’interroge :

 

          Voyons mon enfant, lorsque tes parents t’appellent, que fais-tu ?

          Je viens, répond l’enfant d’une petite voix timide.

          Parfaitement ! Tu les entends appeler et tu viens aussitôt, comme une petite fille bien sage. Et que se passe-t-il lorsque tes parents appellent le ramoneur ?

          Il vient dit Angèle

 

Son pauvre petit cœur bat fort, elle devine un piège, mais ne le perçoit pas.

 

En attendant, Mademoiselle Gertrude poursuit son interrogatoire (‘’ses yeux brillaient comme ceux d’un chat qui s’amuse avec une souris, me dirent plus tard un des petits témoins. Elle avait l’air méchant, méchant !’’)

 

          Très bien mon enfant ! Le ramoneur vient parce qu’il existe.

 

Après un instant de silence,

          Tu viens, parce que tu existes. Mais supposons que tes parents appellent ta grand-mère qui est morte. Viendra-t-elle ?

          Non, je ne le crois pas !

          Bravo ! Et s’ils appellent Barbe-Bleue ? Ou le chaperon rouge ? Ou Peau d’âne. Tu aimes bien les contes ? Voyons, que se passera-t-il ?

          Personne ne viendra, car ce sont des contes.

 

Angèle lève son regard limpide et le baisse aussitôt. ‘’Ses yeux me faisaient mal’’, me dira-t-elle ingénument. Le dialogue continue

 

          Parfait, parfait, triomphe l’institutrice, on dirait qu’aujourd’hui ton intelligence se délie. Vous voyez donc, mes enfants, que les vivants, ceux qui existent, répondent à l’appel. Par contre, ceux qui ne répondent pas, ne vivent pas ou ont cessé d’exister. C’est clair, n’est-ce pas ?

          Oui, répond la classe en chœur.

          Nous ferons toute de suite une petite expérience

 

Puis se tournant vers Angèle :

          Sors, mon enfant.

 

La fillette hésite, puis quitte le banc. La porte se referme lourdement sur sa chétive silhouette.

          Et maintenant, mes enfants, appelez-la !

          Angèle, Angèle ! crient à tue-tête trente petits gosiers.

 

On finit par croire que ce n’est qu’un jeu.

 

Angèle rentre, de plus en plus interdite. L’institutrice gradue et savoure ses effets.

 

          Nous sommes donc bien d’accord ? dit-elle. Lorsque vous appelez quelqu’un qui existe, il vient. Lorsque vous appelez quelqu’un qui n’existe pas, il ne vient pas et ne peut venir. Angèle est en chair et en os, elle vit, elle entend, lorsque vous l’appelez, elle vient. Supposons maintenant que vous appeliez l’Enfant-Jésus. Y en a-t-il encore parmi vous qui croient encore à l’Enfant-Jésus ?

 

Un instant de silence. Puis quelques voix timides répondent :

 

          Oui, oui…

          Et toi, mon enfant, crois-tu encore que l’Enfant-Jésus entend lorsque tu l’appelles ?

 

Angèle se sent brusquement soulagée. Voici donc le piège, dont elle n’arrivait pas à saisir ni le sens ni les dimensions. Elle répond avec une soudaine ferveur :

 

          Oui, je crois qu’il m’entend !

          Très bien ! Nous en ferons l’expérience. Vous avez vu tout à l’heure Angèle qui rentrait, lorsque vous l’avez appelée ? Si l’enfant Jésus existe, il entendra votre appel. Criez donc tous ensemble, bien fort : ‘’Viens, Enfant-Jésus ! ’’ un, deux, trois, tous ensemble.

 

Les fillettes baissent la tête. Dans le silence, lourd d’angoisse, éclate un rire sardonique :

 

          Voilà où je voulais vous en faire venir ! Voilà ma preuve ! Vous n’osez pas l’appeler, car vous savez bien qu’il ne viendra pas, votre Enfant-Jésus ! Et s’il ne vous entend pas, c’est qu’il n’existe pas plus que Peau-d’Ane ou Barbe-Bleue, c’est qu’il n’est qu’un mythe… Une histoire pour bonnes femmes ronronnant au coin du feu, que personne ne prend au sérieux, parce que ce n’est pas vrai !

 

Interdites, les petites filles continuent à se taire. L’argument grossier et massif les touche en plein cœur.

 

Il ne faut rien connaître à la psychologie enfantine pour ne pas jauger à leur juste valeur les arguties se réclamant d’une expérience concrète ! L’une ou l’autre – elles me l’ont avoué plus tard – commençaient à douter.

 

Eh, oui, s’il existe, pourquoi ne le voit-on pas ?

 

Angèle demeurait debout, pâle comme une morte. « J’avais peur qu’elle ne tombe », m’a dit une de ses compagnes. L’institutrice savourait visiblement le désarroi des enfants. Elle triomphait enfin.

 

Tout d’un coup, il se produisit un incident absolument imprévu. D’un bond, Angèle s’élança au milieu de la classe. Les yeux pleins d’éclairs, elle s’écria : « Eh bien, nous l’appellerons. Vous m’entendez ? Toutes ensemble : Viens, Enfant-Jésus ! »

 

En un clin d’œil, toutes les petites filles furent debout. Les mains jointes, le regard ardent, le cœur gonflé d’un immense espoir, elles s’écrièrent : « Viens, Enfant-Jésus ! »

 

L’institutrice ne s’y attendait pas. Instinctivement, elle recula, les yeux fixés sur Angèle. Un instant de silence lourd comme une agonie, puis, de nouveau, cette petite voix de cristal : « Encore ! »

 

Ce fut un cri à renverser les murs, m’a dit une des fillettes. Peur, impatience, doute momentanément jugulé, mais tout prêt à renaître, sens de solidarité brusquement en éveil sous l’impulsion de l’une d’elles, qui se révélait chef, tout y était, sauf l’attente d’un « miracle ». Je criais, mais je ne m’attendais à rien d’extraordinaire, m’avoua Gisèle.

 

C’est alors que cela éclata. Permettez-moi de passer la parole aux enfants que j’interrogeais une à une. Leurs expressions maladroites me semblent plus justes que nos interprétations d’adultes. Certaines phrases se sont gravées dans ma mémoire, d’une façon indélébile. Que voulez-vous ! Le pauvre aumônier que j’étais alors avait, lui aussi, besoin d’un signe, on est si souvent à bout de forces là-bas.

 

Elles ne regardaient pas la porte, elles regardaient le mur en face et sur fond de blanc, la figure d’Angèle. C’est la porte, cependant, qui s’ouvrit sans bruit. Elles s’en aperçurent, car « toute la lumière du jour s’enfuit soudain vers la porte. Cette lumière grandissait, grandissait, puis devint un globe de feu ». Alors, « elles eurent peur », mais cela dura si peu « qu’elles n’eurent même pas le temps de crier ». Le globe s’entrouvrit et, dans ce globe, parut un enfant « ravissant comme jamais encore elles n’en avaient vu ».

 

Cet enfant leur souriait sans proférer une parole. Sa présence « était d’une immense douceur ». Elles n’avaient plus peur, « il n’y avait que de la joie ». Cela dura … un instant ? Un quart d’heure ? Une heure ? Sur ce point, curieusement, les témoignages différaient. Le fait est que l’évènement ne déborda pas la durée de la leçon. L’enfant « était vêtu de blanc et ressemblait à un petit soleil ». C’est lui qui « produisait de la lumière ». L’éclat du jour « semblait noir à côté ». Certaines fillettes en étaient éblouies et en avaient « mal aux yeux », d’autres contemplaient le petit enfant sans peine. Il ne dit rien, il ne faisait que sourire, puis il disparut dans le globe de lumière qui « se fondit » peu à peu. La porte se referma doucement, « toute seule ». Ravies, le cœur « inondé de joie », les fillettes ne pouvaient proférer un mot.

 

Soudain, un cri strident déchira ce silence. Hagarde, « les yeux sortant des orbites », l’institutrice hurlait : « Il est venu ! Il est venu !… » Puis « elle s’enfuit » en claquant la porte.

 

Angèle « semblait sortir d’un rêve ». Elle dit simplement : « Vous voyez ? Il existe. Et maintenant, disons merci. »

 

Sagement, toutes s’agenouillèrent en dirent un ‘Pater’, un ‘Ave’ et un ‘Gloria’. Puis, elles quittèrent la classe, car on venait de sonner et c’était l’heure de la récréation.

 

L’affaire s’ébruita, naturellement. Les parents vinrent me voir, j’interrogeai les fillettes une à une. Eh bien, je peux déclarer sous la foi du serment que, dans leurs récits, je n’ai pu surprendre la moindre contradiction. Ce qui m’a frappé surtout, c’est que, après coup, l’évènement ne leur paraissait nullement extraordinaire. « Puisqu’on était en panne, m’a dit une fillette, il fallait bien que l’Enfant-Jésus vienne nous dépanner. »

 

Et l’institutrice, demandai-je ?

 

C’est vrai, je vous dois l’épilogue. Mademoiselle Gertrude a dû être mise dans un asile. Le corps enseignant étouffa l’affaire. Il paraît qu’elle ne cessait de hurler : « Il est venu ! Il est venu ! » Vous comprenez que, dans ces conditions, on ne pouvait la garder. J’ai essayé d’aller la voir : en vain. Refus catégorique du laissez-passer pour les prêtres dans cet établissement pour aliénés. Notez que les « cas » d’obsession religieuse y fourmillent. Les profanateurs de nos églises, par exemple, finissent presque tous fous. N’empêche : tous les jours, à la messe, je prie pour Mademoiselle Gertrude.

Et Angèle ? Elle a fini ses classes et aide sa maman. Car j’oubliais de vous dire qu’elle est l’aînée d’une famille nombreuse. Je crois qu’elle couve une vocation mais, naturellement, depuis mon départ précipité, je l’ai perdue de vue. »

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