Fécondité des œuvres
par la vie intérieure
Extrait de « L’âme de tout apostolat » de Don Chautard
3ème partie
Il rayonne de Fermeté et de Douceur.
– Les Saints ont été souvent très véhéments contre l’erreur, la contagion et l’hypocrisie. Saint Bernard, l’oracle de son siècle, peut être cité, semble-t-il, comme l’un des saints dont le zèle a rayonné le plus de fermeté. Mais en lisant attentivement sa vie, le lecteur saura distinguer à quel point la vie intérieure avait rendu impersonnel cet homme de Dieu. Il ne recourt à la fermeté qu’après avoir constaté avec évidence l’inefficacité des autres moyens. Souvent aussi il alterne et, dans son grand amour pour les âmes, après avoir, pour venger les principes, manifesté une sainte indignation et demandé des remèdes, des réparations, des gages, des promesses, on le voit se livrer aussitôt avec une douceur maternelle à la conversion de ceux que sa conscience l’avait forcé à combattre. Sans pitié pour les erreurs d’Abailard, il sait se faire un ami de celui qu’il a victorieusement réduit au silence.
S’agit-il de l’emploi des moyens, s’il voit que la cause des principes n’est pas en jeu, il s’érige en champion pour empêcher que des hommes d’Eglise ne recourent à des procédés violents. Il apprend qu’on veut ruiner et massacrer les Juifs d’Allemagne. Sans hésiter il quitte son cloître pour courir à leur défense et prêcher une croisade de paix. Aussi, dans un document mémorable que le P. Ratisbonne rappelle dans sa Vie de Saint Bernard, le grand rabbin du pays manifeste son admiration pour le moine de Clairvaux « sans lequel, dit-il, aucun de nous ne serait resté vivant en Allemagne. » Et il conjure les générations futures des Israélites de ne jamais oublier la dette de gratitude qu’ils doivent au saint Abbé. « Nous sommes, disait saint Bernard à cette occasion, les soldats de la paix, nous sommes l’armée des Pacifiques. ‘Deo et paci militantibus. La persuasion, l’exemple, le dévouement sont les seules armes dignes des fils de l’Evangile. »
Rien ne remplacera la vie intérieure pour obtenir cet esprit impersonnel qui caractérise le zèle de tous les Saints.
Au Chablais tous les efforts échouent avant l’arrivée de saint François de Sales. Les chefs du protestantisme se préparent à une lutte acharnée. La secte ne veut rien moins que tuer l’évêque de Genève. Celui-ci se présente rayonnant de douceur et d’humilité. On voit en lui un homme radieux dans lequel l’effacement du Moi fait resplendir l’amour de Dieu et du prochain. L’histoire nous apprend les résultats rapides à peine vraisemblables produits par cet apostolat.
Mais lui aussi, le doux saint François de Sales, sut quand il le fallait montrer une fermeté inexorable. Il n’hésite pas à invoquer la force des lois humaines pour continuer les résultats obtenus par la suavité de sa parole et l’exemple de ses vertus. C’est ainsi que le saint évêque conseille au duc de Savoie de sévères mesures contre la perfidie des hérétiques.
Les Saints ne faisaient que copier le Maître. Dans l’Evangile, le Sauveur nous apparaît accueillant les pécheurs avec miséricorde, ami de Zachée et des publicains, plein de bonté pour les malades, les affligés et les petits. Et cependant, Lui, la Douceur et la Mansuétude incarnée, n’hésite pas prendre le fouet pour chasser les vendeurs du temple. Et quelle sévérité, quelle force dans ses expressions quand il parle d’Hérode ou stigmatise les vices des scribes et des pharisiens hypocrites.
Ce n’est que dans certains cas très rares, après avoir employé en vain tous autres moyens ou lorsqu’il est de toute évidence qu’ils seraient inutiles, qu’à contrecœur, pour empêcher la contagion, donc par charité, on peut recourir à des procédés qui paraissent violents.
A part ces exceptions dans la conduite de l’ouvrier évangélique. On prend plus de mouches, dit saint François de Sales, avec un peu de miel qu’avec un tonneau de vinaigre.
Nous nous rappelons le blâme infligé par le Seigneur à ses apôtres lorsque, froissés et humiliés dans leur dignité humaine et non conduits pas un zèle pur et désintéressé, ils veulent recourir à la violence et demandent que le feu du ciel descende sur la bourgade de Samarie qui a refusé de les recevoir. Vous ne savez pas, leur dit-il, de quel signe vous êtes.
Un de nos évêques, dont la fermeté sur les principes, est citée comme exemple, visitait récemment dans sa ville épiscopale les familles en deuil où la guerre qui sévit en ce moment avait fait quelques victimes. Se faisant tout à tous, il alla porter ses consolations à un calviniste qui pleurait son fils tombé au champ d’honneur et lui adressa quelques paroles cordiales et émues. Touché de cet acte d’humble charité, ce protestant s’écriait ensuite : « Est-il possible qu’un évêque si noble par sa naissance et si distingué par son instruction, ait daigné malgré notre différence de religion, franchir le seuil de ma modeste demeure. Sa démarche et ses paroles me sont allées au cœur. » L’industriel qui occupe cet employé ajoutait en nous racontant le fait : « Pour moi, ce protestant est à moitié converti, et en tout cas, l’évêque par sa douceur, a bien plus avancé sa conversion que par d’interminables et vives discussions. » Ce pasteur d’âmes a manifesté la mansuétude de Notre-Seigneur. Le protestant a pour ainsi dire vu devant lui le Sauveur et forcément il s’est dit : Une Eglise qui a des Pontifes qui reflètent si exceptionnellement Celui que j’admire dans l’Evangile doit être la véritable Eglise.
La vie intérieure maintient à la fois l’esprit et la volonté au service de l’Evangile. Ni l’indolence, ni la violence injustifiée ne font dévier la direction de l’âme qui voit et agit selon le cœur de Jésus. Elle n’a pas de prudence et d’ardeur que poussée par ce Cœur adorable. Là est le secret de ses succès.
Par contre, défaut de vie intérieure et, par suite, manifestation des passions humaines donnent la raison de tant de défaites.