Sur les pas du Seigneur (1ère partie)
De saint Josemaria Escriva
Extraits du 1er livre posthume
Amis de Dieu
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Ego sum via, veritas et vita, Je suis le chemin, la vérité et la vie. Par ces mots sans équivoque, le Seigneur nous a montré le vrai sentier qui mène au bonheur éternel. Ego sum via : Il est l’unique chemin qui relie le Ciel à la terre. Il le déclare à tous les hommes. Mais Il le rappelle spécialement à ceux qui, comme toi et moi, Lui ont dit qu’ils sont décidés à prendre au sérieux leur vocation de chrétiens, afin que Dieu soit toujours présent dans leurs pensées, sur leurs lèvres et dans toutes leurs actions, même les plus ordinaires et les plus courantes.
Jésus est le chemin. Il a laissé sur cette terre les traces nettes de ses pas, signes indélébiles que ni l’usure des ans ni la perfidie de l’ennemi n’ont réussi à effacer. Iesus Christus heri et hodie; ipse et in saecula. Comme j’aime à le rappeler, Jésus-Christ, tel qu’Il fut hier pour les Apôtres et ceux qui Le cherchaient, vit aujourd’hui pour nous, et vivra dans les siècles des siècles. C’est nous les hommes qui, parfois, ne parvenons pas à découvrir son visage, perpétuellement actuel, parce que nous regardons avec des yeux fatigués ou troubles. En commençant ce moment de prière auprès du tabernacle demande-Lui, comme l’aveugle de l’Evangile : Domine, ut videam ! Seigneur, fais que je voie ! Que mon intelligence s’inonde de lumière et que la parole du Christ pénètre dans mon esprit ; que sa Vie s’enracine dans mon âme afin de me transformer en vue de la gloire éternelle.
Comme l’enseignement du Christ est transparent ! Ouvrons comme d’habitude le Nouveau Testament ; cette fois-ci au chapitre XI de saint Matthieu : apprenez de moi car je suis doux et humble de cœur. T’en rends-tu compte ? Nous devons apprendre de Lui, de Jésus, notre unique modèle. Si tu veux progresser en évitant les faux pas et les égarements, tu n’as qu’à marcher là où Il a marché, poser la plante de tes pieds sur l’empreinte de ses pas, pénétrer dans son Cœur humble et patient, boire à la source de ses commandements et de ses actes d’amour. En un mot, tu dois t’identifier à Jésus-Christ, tu dois t’efforcer de te convertir pour de bon en un autre Christ parmi tes frères les hommes.
Afin que personne ne s’y méprenne, nous allons lire une autre citation de saint Matthieu. Au chapitre XVI, le Seigneur précise encore davantage sa doctrine : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Le chemin de Dieu est fait de renoncement, de mortification, de don de soi, non de tristesse ou de découragement.
Examine à nouveau l’exemple du Christ, depuis le berceau de Bethléem jusqu’au trône du Calvaire. Considère son abnégation, ses privations : la faim, la soif, la fatigue, la chaleur, le sommeil, les mauvais traitements, les incompréhensions, les larmes…. Et sa joie de sauver l’humanité tout entière. J’aimerais que tu graves à présent au plus profond de ton esprit et de ton cœur — afin de le méditer souvent et de le traduire en résultats pratiques — ce résumé de saint Paul quand il invitait les Ephésiens à suivre sans hésiter les pas du Seigneur : Cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur.
Jésus s’est livré Lui-même, s’offrant en holocauste par amour. Et toi, disciple du Christ ; toi, fils préféré de Dieu ; toi, qui as été acheté au prix de la Croix ; toi aussi tu dois être prêt à te nier toi-même. C’est pourquoi, quelles que soient les circonstances concrètes que nous traversons, ni toi ni moi nous ne pouvons nous comporter de façon égoïste, embourgeoisée, confortable, dissipée… et, pardonne ma sincérité, imbécile ! Si tu recherches l’estime des hommes, si tu désires être bien considéré ou apprécié, et si tu ne cherches qu’à mener une vie confortable, tu t’es égaré sur ta route… Dans la cité des saints, seuls peuvent entrer, se reposer et régner avec le Roi pour l’éternité ceux qui ont parcouru la voie dure, resserrée et étroite des tribulations.
Il faut que tu te décides volontairement à porter la Croix. Sinon tu diras en paroles que tu imites le Christ, mais tes actions le démentiront ; et tu ne pourras pas entrer dans l’intimité du Maître, ni L’aimer vraiment. Il est urgent que nous autres chrétiens, nous soyons bien convaincus de cette réalité : nous ne suivons pas de près le Seigneur quand nous ne savons pas nous priver spontanément de toutes les choses que réclament le caprice, la vanité, le plaisir, l’intérêt… Pas une seule journée ne doit s’écouler sans que tu l’aies assaisonnée de la grâce et du sel de la mortification. Et repousse l’idée que tu en seras malheureux. Quel pauvre bonheur que le tien, si tu n’apprenais pas à te vaincre toi-même, si tu te laissais écraser et dominer par tes passions et tes velléités, au lieu de prendre ta croix courageusement.
Je me souviens à présent — certains d’entre vous m’ont sûrement entendu faire ce même commentaire dans d’autres méditations — du rêve d’un écrivain du siècle d’or espagnol. Deux chemins s’ouvrent devant lui. Le premier apparaît large et carrossable, aisé, bien pourvu en auberges, hôtelleries et autres endroits agréables et plaisants. Des gens y avancent à cheval ou en carrosse, au milieu de musiques et de rires — des éclats de rire fous — ; l’on y découvre une foule enivrée par des plaisirs apparents, éphémères, car cette route conduit à un précipice sans fond. C’est le chemin qu’empruntent les mondains, les éternels embourgeoisés ; ils affichent une joie qu’en fait ils n’ont pas ; ils cherchent insatiablement toutes sortes de commodités et de plaisirs… ; la douleur, le renoncement, le sacrifice leur font horreur. Ils ne veulent pas entendre parler de la Croix du Christ, qui leur paraît être une affaire de fous. En réalité, ce sont eux les fous : esclaves de l’envie, de la gourmandise, de la sensualité, ils finissent par souffrir bien davantage et ils se rendent compte trop tard qu’ils ont vendu leur bonheur terrestre et éternel à vil prix, pour une bagatelle insipide. Le Seigneur nous prévient : qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Que servira-t-il donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie ?
Dans ce songe, un autre sentier prend une direction différente : il est si étroit et sa pente est si raide qu’il est impossible de le parcourir à cheval. Tous ceux qui l’empruntent avancent à pied, peut-être en zigzaguant, mais le visage serein, foulant des chardons et contournant des rochers. Par endroits, ils abandonnent des lambeaux de leurs vêtements et même leur chair. Mais un verger les attend au bout, le bonheur pour toujours, le Ciel. C’est le chemin des âmes saintes qui s’humilient ; qui, par amour pour Jésus-Christ, se sacrifient avec joie pour les autres ; la route de ceux qui ne craignent pas de grimper, chargés amoureusement de leur Croix, aussi lourde soit-elle, car ils savent que si le poids les renverse, ils pourront se relever et continuer l’ascension : le Christ est la force de ces voyageurs.
Qu’importe de trébucher si nous trouvons dans la douleur de la chute l’énergie qui nous aide à nous relever et nous pousse à continuer avec un courage renouvelé. N’oubliez pas que le saint n’est pas celui qui ne tombe jamais mais celui qui se relève toujours, humblement et avec une sainte opiniâtreté. S’il est écrit au livre des Proverbes que le juste tombe sept fois par jour, toi et moi, pauvres créatures, nous ne devons pas nous étonner ni nous décourager devant nos misères personnelles, devant nos faux pas. Nous continuerons toujours plus avant si nous cherchons la force d’âme auprès de Celui qui nous a promis : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai. Merci, Seigneur, quia tu es, Deus, fortitudo mea, car Tu as toujours été, Toi, et Toi seul, mon Dieu, ma force, mon refuge, mon appui.
Sois humble, si tu veux vraiment progresser dans la vie intérieure. Aie recours avec constance, avec confiance à l’aide du Seigneur et de sa Mère bénie, qui est aussi ta Mère. Avec sérénité, tranquillement, si douloureuse que soit la blessure encore ouverte de ta dernière chute, étreins une fois encore la croix et dis : Seigneur, avec ton aide, je lutterai pour ne pas m’arrêter, je répondrai fidèlement à tes invitations sans crainte des pentes abruptes, ni de la monotonie apparente du travail habituel, ni des chardons et des cailloux du chemin. J’ai la certitude que ta miséricorde m’assiste et qu’à la fin je trouverai le bonheur éternel, la joie et l’amour pour les siècles sans fin.