Sur les pas du Seigneur (3ème partie)
De saint Josemaria Escriva
Extraits du 1er livre posthume
Amis de Dieu
(Suite et fin)
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Permettez-moi d’insister encore sur le chemin que Dieu attend que chacun de nous parcoure, lorsqu’Il nous appelle à Le servir au milieu du monde, pour sanctifier les activités courantes et pour que nous nous sanctifiions à travers elles. Avec un très grand bon sens tout empreint en même temps de foi, saint Paul prêchait qu’il est écrit dans la Loi de Moïse : “ tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain. Et il se demande : Dieu se met-il en peine des bœufs ? N’est-ce pas pour nous qu’Il parle ? Oui, évidemment, c’est pour nous que cela a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance, et celui qui foule le grain, dans l’espérance d’en avoir sa part.
On n’a jamais réduit la vie chrétienne à un corset étouffant d’obligations, qui laisserait l’âme en proie à une tension exaspérée ; elle s’adapte aux circonstances individuelles comme un gant à la main, et elle demande que, par la prière et la mortification, nous ne perdions jamais l’objectif surnaturel dans l’accomplissement de nos tâches habituelles, grandes et petites. Pensez que Dieu aime passionnément ses créatures ; comment l’âne pourra-t-il travailler si on ne lui donne rien à manger, s’il n’a pas le temps de reprendre des forces ou si l’on affaiblit sa vigueur par des coups excessifs ? Ton corps est comme un âne — Dieu a eu un âne pour trône à Jérusalem — qui te porte sur son dos par les sentiers divins de la terre : il faut s’en rendre maître pour qu’il ne s’éloigne pas de la voie de Dieu et l’encourager afin que son trot soit aussi joyeux et fougueux qu’on peut l’attendre de la part d’un âne.
Est-ce que tu tâches déjà de prendre des résolutions sincères ? Demande au Seigneur de t’aider à te fatiguer par amour pour Lui ; à mettre en tout, et avec naturel, le parfum purificateur de la mortification ; à te dépenser à son service, sans ostentation, en silence, tout comme se consume la veilleuse qui brille près du tabernacle. Et pour le cas où tu ne saurais pas maintenant comment répondre de façon concrète aux requêtes divines qui frappent ton cœur, écoute-moi bien.
La pénitence, c’est l’accomplissement exact de l’horaire que tu t’es fixé, même si ton corps oppose de la résistance ou si ton esprit prétend s’évader dans des rêveries chimériques. La pénitence, c’est se lever à l’heure. Et aussi ne pas remettre à plus tard, sans motif valable, une tâche qui est pour toi plus difficile ou coûteuse que d’autres.
La pénitence consiste à savoir concilier tes obligations envers Dieu, envers les autres et envers toi-même, en te montrant exigeant envers toi-même pour trouver du temps pour chaque chose. Tu es pénitent lorsque tu te plies amoureusement à ton plan de prière, même si tu es épuisé, sans envie ou froid.
La pénitence, c’est traiter toujours les autres avec la plus grande charité, en commençant par ton entourage. C’est apporter la plus grande délicatesse à t’occuper de ceux qui souffrent, des malades, de ceux qui traversent une épreuve. C’est répondre avec patience aux raseurs et aux importuns. C’est interrompre ou modifier nos plans lorsque les circonstances, les intérêts bons et justes des autres, surtout, le requièrent.
La pénitence consiste à supporter avec bonne humeur les mille petites contrariétés de la journée; à ne pas abandonner ton occupation même si tu perds momentanément l’enthousiasme des débuts avec lequel tu l’avais entreprise; à manger avec reconnaissance ce qu’on te sert, sans importuner par des caprices.
La pénitence, pour les parents et, en général, pour tous ceux qui ont une mission de direction ou d’éducation, c’est corriger quand il faut le faire, en accord avec la nature de l’erreur et les conditions de celui qui a besoin de cette aide, par-delà les subjectivismes bornés et sentimentaux.
L’esprit de pénitence nous amène à ne pas nous attacher d’une façon désordonnée à notre ébauche monumentale de projets futurs, dans laquelle nous aurions déjà prévu nos traits et nos coups de pinceau magistraux. Quelle joie nous donnons à Dieu lorsque nous savons renoncer à nos gribouillis et à nos coups de brosse d’artiste amateur et que nous permettons que ce soit Lui qui ajoute les traits et les couleurs qui Lui plaisent le plus !
Je pourrais continuer à t’indiquer une foule de détails de pénitence (je t’ai seulement cité ceux qui me venaient maintenant à l’esprit) dont tu peux tirer profit tout au long de ta journée pour t’approcher de plus en plus de Dieu, de plus en plus de ton prochain. Si je t’ai mentionné ces exemples, j’insiste sur le fait que ce n’est pas parce que je méprise les grandes pénitences ; au contraire, elles s’avèrent saintes et bonnes, et même nécessaires, quand le Seigneur nous appelle par cette voie, en comptant toujours avec l’approbation de celui qui dirige ton âme. Mais je te préviens que les grandes pénitences sont également compatibles avec les chutes retentissantes, provoquées par l’orgueil. En revanche, si nous cherchons continuellement à plaire à Dieu dans nos petits combats personnels — sourire quand on n’en a pas envie ! Je t’assure que, par moments, un sourire coûte plus qu’une heure de cilice —, nous évitons par-là de donner prise à l’orgueil, ou de tomber dans la naïveté ridicule qui nous fait nous considérer comme des héros admirables. Nous serons plutôt devant Lui comme cet enfant qui ne peut offrir à son père que des petits riens, que celui-ci reçoit avec une immense joie.
Mais alors, un chrétien doit-il toujours se mortifier ? Oui, mais par amour. Parce que nous portons le trésor de notre vocation en des vases d’argile, pour qu’on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient à Dieu et ne vient pas de nous. Nous sommes pressés de toute parts, mais non pas écrasés; ne sachant qu’espérer, mais non désespérés; persécutés, mais non abandonnés; terrassés, mais non annihilés. Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps.
Peut-être ne nous étions-nous pas sentis jusqu’à maintenant poussés à suivre d’aussi près les pas du Christ. Peut-être ne nous étions-nous pas rendu compte que nous pouvons unir nos petits renoncements à son sacrifice réparateur : pour nos péchés, pour les péchés des hommes de toutes les époques, pour l’action perverse de Lucifer qui continue d’opposer à Dieu son non serviam ! Comment oserions-nous proclamer sans hypocrisie : “ Seigneur, les offenses qui blessent ton Cœur très aimable me font mal, si nous ne nous décidions pas à nous priver d’une bagatelle ou à offrir un sacrifice minuscule en louange à son Amour ? La pénitence, véritable réparation, nous lance sur le chemin du don de soi, de la charité. Don de soi pour réparer, et charité pour aider les autres, comme le Christ nous a aidés.
Dorénavant, ayez hâte d’aimer. L’amour nous empêchera de nous plaindre, de protester. Il est vrai que nous essuyons souvent des contrariétés; mais nous nous en plaignons; et alors, outre que nous gaspillons la grâce de Dieu, nous Lui ôtons la possibilité de nous adresser d’autres appels. Hilarem enim datorem diligit Deus. Dieu aime celui qui donne avec joie, avec la spontanéité qui naît d’un cœur aimant, sans les simagrées de celui qui se donne à Dieu comme s’il Lui faisait une faveur.
Tourne à nouveau tes regards vers ta vie et demande pardon pour tel ou tel détail qui saute tout de suite aux yeux de ta conscience; pour le mauvais usage que tu fais de ta langue ; pour les pensées qui tournent continuellement autour de toi-même ; pour le jugement critique consenti, qui te préoccupe bêtement et est une source d’inquiétude et de souci permanents… ! Vous pouvez être tellement heureux ! Le Seigneur veut que nous soyons contents, ivres de joie, marchant sur les chemins de bonheur qu’Il a parcourus Lui-même ! Nous ne nous sentons malheureux que lorsque nous nous entêtons à nous égarer en nous engageant sur le chemin de l’égoïsme et de la sensualité; bien pire encore, si nous empruntons celui de l’hypocrisie.
Le chrétien doit se montrer authentique, véridique, sincère dans tous ses actes. Sa conduite doit refléter un esprit : celui du Christ. Si quelqu’un a, en ce monde, l’obligation d’être cohérent, c’est bien le chrétien, parce qu’il a reçu en dépôt, pour faire fructifier ce don, la vérité qui libère, qui sauve. Père, me demanderez-vous, comment puis-je parvenir à cette sincérité de vie ? Jésus-Christ a donné à son Eglise tous les moyens nécessaires : Il nous a appris à prier, à fréquenter son Père céleste; II nous a envoyé son Esprit, le Grand Inconnu, qui agit en notre âme; et II nous a laissé les signes visibles de la grâce que sont les Sacrements. Utilise-les. Intensifie ta vie de piété. Fais oraison tous les jours. Et ne refuse jamais ton épaule au fardeau aimable de la Croix du Seigneur.
C’est Jésus qui t’a invité à Le suivre comme un bon disciple, afin que tu effectues ton passage sur la terre en semant la paix et la joie que le monde ne peut donner. Pour cela, j’insiste, nous devons marcher sans peur de la vie et sans peur de la mort, sans fuir à tout prix la douleur qui, pour un chrétien, est toujours un moyen de purification et l’occasion d’aimer vraiment ses frères, mettant à profit les mille circonstances de la vie courante.
Le temps s’est écoulé. Je dois mettre un point final à ces réflexions, par lesquelles j’ai tenté de remuer ton âme pour que tu répondes en concrétisant quelques résolutions, peu nombreuses, mais précises. Pense que Dieu veut que tu sois heureux et que, si tu mets de ton côté ce que tu peux, tu seras heureux, très heureux, follement heureux, même si la Croix ne te manque jamais. Mais désormais cette Croix n’est plus un gibet; c’est le trône d’où le Christ règne. Et près de Lui, se trouve sa Mère, qui est aussi notre Mère. La Sainte Vierge t’obtiendra le courage dont tu as besoin pour marcher d’un pas décidé sur les traces de son Fils.