Amitié avec Dieu (2ème partie)
De saint Josemaria Escriva
Extraits du 1er livre posthume
Amis de Dieu
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Quelques pages auparavant, nous revivons dans l’Evangile la scène où Jésus se retire pour prier, ses disciples se tenant tout près de Lui, sans doute en Le contemplant. Quand Il eut fini l’un d’eux se décida à L’implorer : Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean l’a appris à ses disciples. Il leur dit : Quand vous priez, dites: Père que ton nom soit sanctifié.
Vous remarquerez comme la réponse est surprenante : les disciples partagent leur vie avec Jésus-Christ et, tout en conversant avec eux, le Seigneur leur montre comment ils doivent prier. Il leur révèle le grand secret de la miséricorde divine : nous sommes enfants de Dieu, et nous pouvons nous entretenir en toute confiance avec Lui, comme un enfant converse avec son père.
Lorsque je considère la façon dont certains envisagent la vie de piété — ces échanges entre le chrétien et son Seigneur — et qu’on m’en propose une image désagréable, théorique, pleine de formules toutes faites bourrées de rengaines sans âme, favorisant plus l’anonymat que la conversation personnelle, en tête-à-tête avec Dieu Notre Père — l’authentique oraison vocale n’est pas compatible avec l’anonymat —, je me rappelle ce conseil du Seigneur : Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens: ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux; car votre Père sait bien ce qu’il faut que vous lui demandiez. Un Père de l’Eglise a écrit à ce propos : je crois que le Christ nous demande d’éviter les longues prières, longues quant à la suite interminable de paroles, mais non quant au temps. Le Seigneur lui-même nous a donné en exemple la veuve qui, à force de réclamations, vient à bout de la résistance du juge inique; et cet autre exemple de l’ami importun qui arrive la nuit à des heures indues et qui, par entêtement plus que par amitié, obtient de son ami qu’il sorte de son lit (cf. Lc 11, 5 8; Lc 18, 1-8). Par ces deux exemples Il nous invite à la demande constante, non dans d’interminables prières, mais par le simple exposé de nos besoins.
Et si malgré tout, au début de votre méditation, vous n’arrivez pas à concentrer votre attention pour parler avec Dieu, si vous vous trouvez froids et que votre tête semble incapable de formuler la moindre idée, ou que votre cœur ne réagit pas, je vous conseille ce que j’ai toujours essayé de faire dans ces cas-là : mettez-vous en présence de votre Père et dites-lui tout au moins : “ Seigneur je ne sais pas prier, je ne trouve rien à te raconter ! … » Soyez-en sûrs, à ce moment même vous avez commencé à prier.
a piété, qui naît de la filiation divine, est une démarche profonde de l’âme, qui finit par transformer l’existence tout entière; elle imprègne toutes les pensées, tous les désirs, tous les élans du cœur. N’avez-vous pas remarqué comment, dans les familles, les enfants, sans même s’en rendre compte, imitent leurs parents; ils refont leurs gestes, prennent leurs habitudes, s’identifient avec eux en beaucoup de leurs attitudes. Il en est de même dans la conduite d’un bon fils de Dieu. Ainsi l’on atteint, sans trop savoir comment, ni par quelle voie, cette divinisation merveilleuse qui nous aide à envisager les événements avec le relief surnaturel que procure la foi; on se met à aimer tous les hommes comme notre Père du Ciel les aime Lui-même et, ce qui est plus déterminant, on en tire un nouvel élan dans son effort quotidien pour s’approcher du Seigneur. J’insiste : nos misères n’ont plus d’importance, car les bras aimants de Notre Père sont là pour nous relever.
Notez la différence qu’il y a entre la chute d’un enfant et celle d’un adulte. Pour les enfants une chute n’a guère d’importance : ils trébuchent si souvent ! Et s’ils laissent couler de chaudes larmes, leur père leur explique : les hommes ne pleurent pas. Et l’incident est clos par l’effort du gamin pour contenter son père.
Voyez, en revanche, ce qui se passe lorsqu’un adulte perd l’équilibre et se retrouve par terre. On serait pris d’un fou rire si la compassion ne nous retenait pas. Sans compter que la chute peut avoir des conséquences graves; elle peut même provoquer une fracture irréparable chez un vieillard. Dans la vie intérieure nous avons intérêt à être tous quasi modo geniti infantes, tels des bambins, que l’on croirait de caoutchouc ; ils s’amusent, même quand ils trébuchent, car ils se relèvent aussitôt pour reprendre leurs pirouettes. Ils savent aussi qu’en cas de besoin ils seront consolés par leurs parents.
Si nous essayons de nous comporter comme eux, nos faux pas et nos échecs dans la vie intérieure, d’ailleurs inévitables, ne nous rendront jamais amers. Nous en serons peinés, certes, mais non découragés; un sourire naîtra sur nos lèvres, comme l’eau pure de la source, quand nous nous souviendrons que nous sommes les enfants de cet Amour, de cette grandeur, de cette sagesse infinie, de cette miséricorde de notre Père. J’ai appris, tout au long d’une vie au service du Seigneur, à devenir un tout petit enfant de Dieu. Et c’est ce que je vous demande. Soyez quasi modo geniti infantes, comme des enfants qui réclament la parole de Dieu, le pain de Dieu, l’aliment de Dieu, la force de Dieu, pour nous conduire dorénavant comme des chrétiens dignes de ce nom.
Soyez vraiment… comme des enfants. Plus vous le serez, mieux ce sera. C’est là l’expérience d’un prêtre qui a dû se relever bien souvent tout au long de ces trente-six années — qu’elles ont été courtes et longues à la fois ! — au cours desquelles il s’est mis à essayer toujours d’accomplir une Volonté précise de Dieu. Une chose m’a toujours aidé: l’idée que je continue d’être un enfant; c’est pourquoi je me blottis continuellement dans le giron de ma Mère et contre le Cœur du Christ, mon Seigneur.
Nos grandes chutes, celles qui ravagent profondément l’âme, et qui sont parfois presque irréparables, sont provoquées par notre orgueil, quand nous nous croyons adultes, autosuffisants. Dans ces cas-là nous sommes comme incapables de demander de l’aide à qui pourrait nous la fournir. Non seulement à Dieu mais à l’ami, au prêtre. Nous nous isolons alors, malheureux que nous sommes, en nous enfermant dans notre désarroi, dans notre égarement.
Dès maintenant prions Dieu de ne jamais permettre que nous nous sentions satisfaits, de faire toujours grandir en nous le besoin de son secours, de sa parole, de son Pain, de son réconfort, de sa force: rationabile, sine dolo lac concupiscite; aiguisez votre faim, votre aspiration à devenir des enfants. Croyez bien que c’est le meilleur moyen de vaincre l’orgueil. Soyez-en persuadés, c’est bien le seul remède pour que notre conduite soit bonne, grande, divine. En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez pas à l’état des enfants vous ne pourrez entrer dans le Royaume des Cieux.