Enquête parmi les Voyants
Un ouvrage de Patrick Sbalchiero
Le Christ dans l’ostensoir
Muy-saint-Florent, au diocèse d’Angers (France)
(Année 1668)
Muy-saint-Florent, appelé autrefois Les-Ulmes-saint-Florent, était alors une pauvre paroisse du diocèse d’Angers, tout près de Saumur. Les catholiques risquaient fort d’être ébranlés dans leur foi par l’action des protestants, qui tenaient un synode à Saumur à ce moment-là, et par le comportement de leur curé, dont les mœurs laissaient à désirer.
C’était le samedi 2 juin 1668 ; la Fête-Dieu venait d’avoir lieu. Deux cents personnes étaient venues au salut du Saint Sacrement à 19 heures. L’ostensoir qui renfermait l’hostie consacrée était placé sur le tabernacle pour être bien en vue des fidèles. Pendant qu’on chantait l’hymne Pange lingua, le prêtre encensait le Saint Sacrement. Et voici qu’à la quatrième strophe : Verbum caro, panem verum… précédant celles du Tantum ergo, apparaît dans l’ostensoir à la place de l’hostie « la forme d’un homme qui avait les cheveux brun clair tombant sur les épaules, le visage éclatant, les mains croisées l’une sur l’autre, la droite sur la gauche, le corps revêtu d’une robe blanche en forme d’aube. Cette apparition dura plus d’un quart d’heure, tant sur le tabernacle où le Saint Sacrement était exposé que sur l’autel, après le curé l’y eut descendu pour le faire voir de plus près au peuple. » C’est ce qu’écrira Mgr Arnaud, évêque d’Angers, dans une lettre pastorale.
Le curé et le vicaire, son frère, étaient saisis et troublés par cette apparition. Alors le curé se tourna vers le peuple et invita les fidèles à s’approcher pour contempler le miracle et demander pardon pour les péchés. L’hymne terminée, on chanta le Salve Regina ; l’apparition devint plus nette quand on chanta : « Et Jesum … ostende. » (et Jésus, le fruit de vos entrailles, après cet exil montrez-le-nous). Le curé prit l’ostensoir et le mit sur l’autel, invitant ses paroissiens à continuer de prier. L’apparition s’effaça, un petit nuage apparut puis s’effaça, et l’on vit l’hostie de l’ostensoir.
Le 13 juin, le curé fit un rapport des faits à son évêque. Le 20 juin, l’évêque vint à la paroisse avec trois personnes pour faire sa propre enquête, tout particulièrement auprès d’une douzaine de témoins, et il constata que l’apparition ne fut provoquée « par aucun artifice, ni par quelque réflexion de la lumière, ni pas les voies ordinaires de la nature ». Et il reconnut l’authenticité de l’apparition : « Il y a lieu de croire que le Sauveur du monde s’est visiblement manifesté dans cette paroisse. » Le 25 juin, il publiait une lettre pastorale sur l’apparition qu’il reconnaissait véritable, en faisant le récit fidèle. Cette lettre fit impression parmi le clergé et les chrétiens du diocèse, jusqu’à l’étranger où elle fut publiée en Allemagne, en Autriche et en Italie.
Il y écrit :
« Dieu se plaît à donner de temps en temps des marques visibles de sa toute-puissance en opérant des miracles par le sacrement adorable du Corps et du Sang de son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, pour réveiller la foi des fidèles et renouveler en eux le respect qu’ils doivent à sa majesté infinie lorsque l’amour des créatures et leur habitude au péché semblent les ensevelir dans un oubli déplorable de leur Créateur et des sentiments du christianisme. Ce qu’il ne fait pas seulement pour les retirer de leur assoupissement et de la froideur avec laquelle ils s’approchent souvent du plus redoutable de nos mystères, mais encore pour confondre l’erreur des hérétiques qui, par un aveuglement dont la miséricorde infinie semble vouloir les guérir, nient la réalité du Corps et du Sang de Jésus-Christ en la sainte Eucharistie. C’est une vérité que l’on peut reconnaître dans le miracle qui est arrivé à la paroisse de Les-Ulmes-saint-Florent, près de la ville de Saumur.
« Il vient avec tant de bonté de se rendre visible à vos frères qui vous en rendent témoignage par notre voix pour vous en convaincre, par un excès de sa miséricorde, que c’est lui qui habite sur nos autels pour y recevoir nos adorations ; que c’est lui qui y est immolé tous les jours pour l’expiation de nos offenses, et enfin que c’est lui que vous recevez réellement et effectivement à la sainte table, afin que vous preniez garde de ne le point outrager par des irrévérences, des indévotions et des communions sacrilèges…
« Nous adjurons les protestants de considérer que ce miracle si glorieux étant arrivé dans le temps où leur synode s’assemblait à Saumur et dans un lieu qui n’en est éloigné que de deux lieues, il semble que Dieu les appelle à haute voix à la créance commune et indubitable de l’Eglise touchant la réalité du Saint Sacrement. Qu’ils cessent dont de déshonorer par leurs blasphèmes la très adorable Eucharistie et qu’ils apprennent de cette apparition étonnante à révérer la Divinité enfermée dans cette Hostie redoutable de nos autels ; puisqu’ils ne peuvent prétendre désormais que le très auguste Sacrement de l’autel ne soit qu’une figure et un simple signe, après que la Majesté de Jésus-Christ a fait voir, par une forme visible, qu’elle est enfermée invisiblement sous les images des Espèces saintes… »
L’évêque demanda qu’on garde l’hostie du miracle et qu’on la mette avec son ostensoir dans une niche construite à cet effet du côté de l’Evangile, pour l’adoration des croyants ; et que chaque année, le samedi qui suit la Fête-Dieu, on célèbre l’anniversaire de l’apparition.
Après plus d’un siècle, l’hostie se dégradant fut retirée de l’ostensoir en 1794. En 1901 eut lieu à Angers un Congrès eucharistique international qui se clôtura dans la paroisse de l’apparition.
Voici les paroles de cet hymne pendant le chant duquel le Seigneur daigna apparaître :
1. Je veux célébrer le mystère du Corps qui règne dans la gloire, ainsi que du Sang précieux que, pour prix du rachat du monde, ce Roi, né d’un sein virginal, a répandu pour tous les peuples.
2. Il se donne à nous, se fait homme pour nous, né de la Vierge pure, il vit pour un temps dans le monde, sème le grain de sa parole, et, pour couronner son séjour, il établit une merveille.
3. La nuit de la dernière cène, il est à table avec ses frères ; il vient d’accomplir toute loi au cours du repas rituel, de ses propres mains, il se donne aux Douze en nourriture.
4. Verbe fait chair, il prend du pain, et sa parole en fait sa Chair ; le vin devient le sang du Christ ; si rien n’apparaît à nos sens, la foi suffit à elle seule pour affermir un cœur loyal.
5. Ce Sacrement tellement saint, nous l’adorons le front courbé ; le rite antique cède le pas à la nouvelle liturgie ; là où les yeux sont impuissants, la foi apporte sa lumière.
6. A Dieu le Père et à son Fils, louange et jubilation ; honneur, respect, toute-puissance soient à ceux que nous bénissons ; que monte aussi à leur Esprit une égale adoration.
Et les paroles du Salve Regina, pendant lesquelles le Seigneur se fit voir davantage :
Salut, ô Reine, Mère de miséricorde ; notre vie, notre douceur, notre espérance, salut !
Enfants d’Eve exilés, nous crions vers vous.
Vers vous nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes.
Ô vous, notre avocate, tournez vers nous vos regards miséricordieux.
Et après cet exil, montrez-nous Jésus, le fruit béni de vos entrailles.
Ô clémente,
Ô douce Vierge Marie.