Retraite à Nazareth
Avec le père Charles de Foucauld
2ème Partie
Du 5 au 15 novembre 1897 en l’ermitage de Notre-Dame du Perpétuel Secours,
8 novembre
Mon Seigneur et mon Dieu, mon époux, mon Bien-aimé, me voici à vos pieds pour penser à Vous, pour m’entretenir à vos pieds : faites mes pensées, mon Dieu, pour qu’elles Vous plaisent, pour que ces moments, ces heures vous plaisent comme tous les moments de ma vie… C’est à moi que Vous voulez que je pense, à mes péchés… Hélas ! Mon Dieu, tels que Vous les connaissez, comment pourrai-je les écrire ! Je n’ai pas rougi de les commettre devant Vous, en Vous, mais je n’ose les écrire ; il me semble, mon Dieu, que cette vie de quarante années peut se diviser en quatre périodes : enfance, jusqu’à l’âge de quinze ans, où je perdis la foi (pardon ! Pardon ! Pardon ! Ce fut par ma faute et ma très grande faute) ; adolescence, de quinze à vingt ans, époque où je perdis mon grand-père qui m’avait élevé, sorti de Saint-Cyr, fus libre, et maître de ma fortune ; jeunesse, de vingt à vingt-huit ans, un mois et quelques jours quand je me convertis (octobre 56) ; âge mûr, de ma conversion à maintenant, de vingt-huit à trente-neuf ans… Hélas, mon Dieu, quels péchés marquent toutes ces périodes : pardon, pardon !
Dans la première : que de paresse, de gourmandise, de mensonge, d’ingratitude, de péchés honteux ; quelles négligences coupables dans mes prières et mes devoirs, mon Dieu, quelle tiédeur pour le bon Dieu, que de vanité, que d’orgueil, d’amour-propre, que de désobéissance à Dieu et à ses représentants !…
Dans la seconde, c’est hélas bien pire… plus de foi !… Impiété, discours, lectures impies, mensonge, vol, péchés honteux, orgueil et vanité insensés, égoïsme inouï, indifférence aux douleurs d’autrui, folles dépenses, jamais une aumône, jamais un sou donné aux pauvres, gourmandise et paresse prenant de telles proportions qu’elles forment mon trait distinctif et semblent répugnantes même à mes amis, sensualité extrême, aucun désir du bien, aucun amour de la vérité, indifférence à tout sauf à ma jouissance.
Pendant les quatre dernières années de cette période, tout bien, tout bon sentiment, toute apparence bonne semblent avoir radicalement disparu de mon âme : il ne reste que l’égoïsme, la sensualité, l’orgueil et les vices qui leur font cortège, mon Dieu, pardon, pardon, pardon ! Voilà où arrive si vite, malgré de grandes grâces, malgré un naturel porté au bien par plus d’un côté, malgré une pieuse et attentive éducation, malgré les affections et les bons exemples de saints parents, voilà où arrive si vite l’âme qui s’éloigne de Vous, ô seule source de tous les biens, mon Seigneur et mon Dieu !… C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute ! Pardon, pardon, pardon !…
La troisième période est la suite de celle-ci : les fruits semés dans celle-ci se récoltent, c’est l’été après le printemps… Point de trace du bien : dans la première période, l’amour pour ma famille avait été très ardent ; dans la seconde, il avait été vif encore quoi qu’il eut baissé : c’était mon phare, ma dernière lumière au milieu de cette profonde obscurité ; dans la troisième période elle baisse même : elle ne s’éteint pas, mais elle baisse beaucoup, dès lors je suis dans la nuit, il ne me reste rien, je ne vois plus Dieu ni les hommes : il n’y a plus que moi, et moi, c’est ma sensualité, gourmandise, paresse, orgueil, passions honteuses ; c’est l’égoïsme absolu dans l’obscurité et la boue…
Ecrivant plus tard à un de mes amis de ce temps-là que j’avais beaucoup changé, il me répondait : « Je t’en fais mon compliment. » Les gens les plus mondains, mes camarades, ne m’estimaient pas : je les dégoûtais, je leur répugnais, j’étais moins un homme qu’un porc. Voilà, mon Dieu, dans quelle boue je me roulais ! Et dire que Vous avez eu la bonté d’aller me ramasser là ! Mon Dieu, pardon, pardon, pardon ! Comment, mon Dieu, Vous demanderai-je assez pardon de tous les péchés que j’ai commis pendant ce temps et pendant les périodes précédentes : hélas, même la première n’avait pas été exempte de péchés mortels !… Pardon, pardon, pardon ! O mon Dieu, donnez-moi le repentir, donnez-moi un vrai regret, une vraie douleur, de Vous savoir tant et tant offensé !…
Et dans la quatrième période quels furent mes péchés, mon Dieu, éclairez-moi, Seigneur, ils sont moins apparents que ceux des périodes précédentes, et comme celle-ci dure encore, le diable et mon amour-propre s’unissent pour m’aveugler. Il me serait bien utile de connaître exactement mes péchés dans cette période, d’abord, mon Dieu, pour en savoir une véritable et profonde contrition, et ensuite pour me tenir sur mes gardes et m’efforcer de ne plus les commettre…
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