Retraite à Nazareth
Avec le père Charles de Foucauld
3ème Partie
Du 5 au 15 novembre 1897 en l’ermitage de Notre-Dame du Perpétuel Secours,
8 novembre
Mon Seigneur Jésus, comme il serait vite pauvre celui qui vous aimant de tout son cœur ne pourra souffrir d’être plus riche que son Bien-aimé…
Mon Seigneur Jésus, comme il sera vite pauvre celui qui, songeant que tout ce qu’on fait à un de ces petits, on Vous le fait, que tout ce qu’on ne leur fait pas, on ne Vous le fait pas, soulagera toutes les misères à sa portée…
Comme il sera vite pauvre celui qui recevra avec foi vos paroles : « Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres… Bienheureux les pauvres… quiconque aura quitté ses biens pour moi recevra ici-bas cent fois plus et au ciel la vie éternelle… » et tant d’autres…
Mon Dieu, je ne sais s’il est possible à certaines âmes, de Vous voir pauvre et de rester volontiers riches, de se voir tellement plus grandes que leur maître, que leur Bien-aimé, de ne pas vouloir Vous ressembler en tout, autant qu’il dépend d’elles, et surtout en vos abaissements ; je veux bien qu’elles Vous aiment, mon Dieu, mais cependant je crois qu’il manque quelque chose à leur amour, et en tout cas moi je ne puis concevoir l’amour sans un besoin, un besoin impérieux de conformité, de ressemblance, et surtout de partage de toutes les peines, de toutes les difficultés, de toutes les duretés de la vie…
Être riche, à mon avis, vivre doucement de mes biens, quand Vous avez été pauvre, gêné, vivant péniblement d’un rude labeur, pour moi je ne le puis, mon Dieu…, je ne puis aimer ainsi…
Il ne convient pas que « le serviteur soit plus grand que le maître », ni que l’épouse soit riche quand l’Epoux est pauvre, quand il est volontairement pauvre surtout et qu’Il est parfait… Sainte Thérèse, fatiguée des résistances qu’on faisait pour qu’elle acceptât des revenus pour son monastère d’Avila, était parfois près de consentir, mais quand elle revenait dans son oratoire, et qu’elle voyait la croix, elle tombait à ses pieds et suppliait Jésus nu sur cette croix de lui faire la grâce de n’avoir jamais de revenus et d’être aussi pauvre que Lui…
Je ne juge personne, mon Dieu, les autres sont vos serviteurs et mes frères et je ne dois que les aimer, leur faire du bien et prier pour eux, mais pour moi il m’est impossible de comprendre l’amour sans la recherche de la ressemblance, l’amour sans le partage de toutes les peines, sans l’ardent désir de la conformité de la vie et sans le besoin de partager toutes les croix…
La foi, c’est ce qui fait que nous croyons du fond de l’âme tous les dogmes de la religion, toutes les vérités que la religion nous enseigne, le contenu de la Sainte Ecriture par conséquent et tous les enseignements de l’Evangile ; tout ce qui nous est proposé par l’Eglise enfin…
Le juste vit vraiment de cette foi car elle remplace pour lui la plupart des sens de la nature : elle transforme tellement toutes choses qu’à peine les anciens sens peuvent-ils servir à l’âme : elle ne perçoit par eux que de trompeuses apparences ; la foi lui montre Jésus.
L’oreille lui fait entendre des injures et des persécutions ; la foi lui chante « Réjouissez-vous et jubilez de joie. »
Le toucher nous fait sentir des coups de pierre reçus ; la foi nous dit : » Soyez dans une grande joie d’avoir été jugés dignes de souffrir quelque chose pour le nom du Christ. »
Le goût nous fait sentir un peu de pain sans levain ; la foi nous montre « Le Sauveur Jésus, homme et Dieu, corps et âme. »
L’odorat nous fait sentir l’encens ; la foi nous dit que le véritable encens « est les prières des saints. »
Les sens nous séduisent par les beautés créées ; la foi pense à la beauté incréée et prend en pitié toutes les créatures qui sont un néant et une poussière à côté de cette beauté-là.
Les sens ont horreur de la douleur ; la foi la bénit comme la couronne du mariage qui l’unit à son Bien-aimé, comme la marche vers son Epoux, la main dans sa main divine.
Les sens se révoltent contre l’injustice ; la foi la bénit : « bénissez ceux qui vous maudissent », elle la trouve méritée car elle pense à ses péchés, elle la trouve douce car c’est partager le sort de Jésus…
Les sens sont curieux ; la foi ne veut rien connaître, elle a soif de s’ensevelir et voudrait passer toute sa vie immobile aux pieds du Tabernacle.
Les sens aiment la richesse et l’honneur ; la foi les a en horreur : « toute élévation est en abomination devant Dieu… » « Bienheureux les pauvres », et elle adore la pauvreté et l’abjection dont Jésus se couvrit toute sa vie comme d’un vêtement qui fut inséparable de Lui…
Les sens ont horreur de la souffrance ; la foi la bénit, comme un don de la main de Jésus, une part de sa croix, qu’Il daigne donner à porter…
Les sens s’effraient de ce qu’ils appellent des dangers, de ce qui peut amener la douleur ou la mort ; la foi ne s’effraie de rien, elle sait qu’il ne lui arrivera que ce que Dieu voudra – « Tous les cheveux de votre tête sont comptés » – et que ce que Dieu voudra sera toujours pour son bien – « Tout ce qui arrive est pour le bien des élus » ; ainsi, quoi qu’il puisse arriver, peine ou joie, santé ou maladie, vie ou mort, elle est contente d’avance et n’a peur de rien…
Les sens sont inquiets du lendemain, se demandent comme on vivra demain ; la foi est sans nulle inquiétude : « Ne soyez pas inquiets, dit Jésus, voyez les fleurs des champs, voyez les oiseaux, Je les nourris et les habille, vous valez beaucoup mieux qu’eux… Cherchez Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît… »
Les sens s’attachent à garder la présence de la famille, la possession des biens, la foi a hâte de quitter l’une et l’autre – « Celui qui aura quitté pour moi un père, une mère, une maison, un champ, recevra le centuple en ce monde et dans l’autre la vie éternelle. »
Ainsi la foi éclaire tout d’une lumière nouvelle, autre que la lumière des sens, ou plus brillante ou différente…
Ainsi celui qui vit de foi à l’âme pleine de pensées nouvelles, de goûts nouveaux, de jugements nouveaux ; ce sont des horizons nouveaux qui s’ouvrent devant lui, horizons merveilleux qui sont éclairés d’une lumière céleste et beaux de la beauté divine… Enveloppé de ces vérités toutes nouvelles dont le monde ne se doute pas, il commence nécessairement une vie toute nouvelle, opposée au monde à qui ses actes semblent une folie. Le monde est dans les ténèbres, dans une nuit profonde, l’homme de foi est en pleine lumière, le chemin lumineux où il marche n’apparaît pas aux yeux des hommes, il leur semble vouloir marcher dans le vide comme un fou…
Qu’il ne s’étonne donc pas des contradictions et des persécutions : elles seront la preuve qu’il vit selon Dieu et non selon le monde. Le monde vous a haïs parce que « vous n’êtes plus du monde », « il sera l’objet de contradictions… » Ces contradictions sont inévitables car l’esprit de Dieu qui est l’esprit de foi ne peut être en paix avec l’esprit du monde qui est l’esprit du prince de ce monde, du mensonge, « du père du mensonge ! » ; le premier est la lumière, le second les ténèbres.
Que celui qui voit la lumière la prenne à sa valeur, en fasse un cas infini, s’y attache inviolablement, la suive en tout, ne s’en laisse détourner pour rien, ne retourne aux ténèbres, mais, malgré les déductions et les terreurs que l’esprit du mal suscite au bord de son chemin lumineux dont il est si envieux, qu’il marche, montant d’élévation en élévation, restant toujours dans la foi pure, ne quittant pas sa vie de foi, et, lorsqu’on lui oppose des pensées humaines, faisant le signe de la croix comme contre le diable et les brisant contre les pierres du Christ, pour sa conversion et son salut si c’est de son âme qu’elles s’élèvent, la conversion et le salut des enfants de Dieu si elles viennent du prochain.
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