Père Jacques Philippe
Responsable de la communauté des Béatitudes
(imprimatur : 18 mai 1995)
A Celle qui nous dit :
« Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » (Jean 2,5)
La volonté de Dieu est-elle toujours
ce qui coûte le plus ?
La volonté de Dieu, et donc les inspirations de sa grâce, vont évidemment souvent en sens contraire de nos tendances immédiates, dans la mesure où celles-ci sont fréquemment des désirs de confort égoïste, de facilité, de paresse, etc. ; saint Jean de la Croix nous dit dans un passage célèbre :
« Que l’âme s’applique sans cesse non à ce qui est plus facile, mais à ce qui est plus difficile (…) non à ce qui plaît mais à ce qui déplaît » (6)
(6) Montée du Carmel, livre 1 ch.13
Il n’a pas tort de le dire, dans le contexte où il parle. Mais il ne faudrait pas faire de telles maximes une interprétation erronée, et prendre comme loi systématique pour discerner la volonté de Dieu le principe que, dans une situation déterminée, ce qu’il nous demandera sera toujours le plus difficile. Cela nous ferait tomber dans un volontarisme ascétique exagéré qui n’aurait rien à voir avec la liberté de l’Esprit Saint. On peut même ajouter que cette idée que Dieu demande toujours et constamment le plus coûteux, est typiquement le genre de pensée que le démon insinue pour décourager et éloigner de Dieu.
Dieu est un Père, exigeant certes parce qu’il nous aime, et qu’il nous invite à tout lui donner, mais il n’est pas un bourreau. Bien souvent il nous laisse libre. Quand il exige quelque chose de nous, c’est pour nous faire grandir dans l’amour. Le seul commandement, c’est d’aimer. On peut souffrir par amour, mais on peut aussi jouir et se reposer par amour…
C’est un piège de notre imagination ou du démon que de nous représenter la vie sous la conduite de Dieu comme quelque chose d’étouffant, en contradiction complète et permanente avec toutes nos aspirations, même les plus légitimes.
Dieu n’a pas pour but de nous compliquer la vie, mais en fin de compte de nous la simplifier. La docilité à Dieu libère et dilate le cœur. C’est pourquoi Jésus, qui nous invite à renoncer à nous-mêmes pour prendre notre croix à sa suite, nous dit aussi : « Mon joug est facile et léger à porter » (Mt 11,30). Même si faire la volonté de Dieu nous coûte parfois, surtout au début, l’accomplir avec amour finit par nous remplir de joie, et on peut dire qu’il y a un véritable plaisir à accomplir le bien que Dieu nous inspire. Plus nous cheminons dans la docilité au Saint-Esprit, moins notre adhésion à la volonté divine est douloureuse et forcée, plus elle devient libre et spontanée.
« Guide-moi au chemin de tes commandements, car j’ai là mon plaisir », dit le Psaume (7)
(7) Ps 119, 35
La vie est faite d’épreuves, c’est sûr, mais si nous sommes constamment tristes et malheureux dans une certaine voie, il faut se poser sérieusement la question de savoir si nous sommes sur la bonne route, ou si nous ne sommes pas en train de nous imposer des fardeaux que Dieu ne nous demande pas. Un critère de discernement d’une vocation est qu’on y est heureux. Nous imaginer, comme le font certains scrupuleux ou certains faux ascètes, que ce que Dieu nous demande dans toute circonstance est forcément le plus difficile, peut fausser grandement notre jugement, et le démon peut s’en servir pour nous tromper, il est bon d’en avoir conscience.
Je voudrais raconter un petit fait. Comme tout un chacun, il m’arrive de temps en temps la chose suivante. Quand je vais me coucher le soir, après une journée bien fatigante, content de trouver finalement le bon lit qui m’attend, je perçois une petite sensation intérieure qui me dit : « Tu n’irais pas passer un moment à la chapelle pour me tenir compagnie ? » Après quelques instants de trouble et de résistance, du genre : « Jésus, tu exagères, je suis fatigué, et si je n’ai pas mon comptant de sommeil, je serai de mauvaise humeur demain ! », je finis par consentir et par passer un moment avec Jésus. Après quoi je vais m’endormir en paix et tout content, et le lendemain je ne me réveille pas plus fatigué que d’habitude. Merci, seigneur, c’était bien ta volonté, les fruits sont là.
Mais parfois il m’arrive le contraire. J’ai un gros problème qui me préoccupe, et je me dis : ce soir je vais aller prier une heure à la chapelle pour que ça se résolve. En me dirigeant vers ladite chapelle, une petite voix dans le fond de mon cœur me dit : « Tu sais, tu me ferais davantage plaisir en allant te coucher tout de suite et en me faisant confiance ; je m’en occupe de ton problème. » Et, me rappelant ma condition bienheureuse de « serviteur inutile », je vais me coucher en paix, abandonnant toute chose entre les mains du seigneur…
Tout cela pour dire que la volonté de Dieu est là où il y a le maximum d’amour, mais pas forcément où il y a le maximum de souffrance… Il y a plus d’amour à se reposer par confiance qu’à se donner de la peine par inquiétude !