Je compare cette vertu à des ailes qui nous permettent de transmettre les commandements, la doctrine de Dieu sur toute l’étendue de la terre, sans craindre de rester embourbés. Les ailes — comme celles de ces oiseaux majestueux qui s’élèvent là où les nuages n’arrivent pas — sont lourdes, très lourdes ; mais sans elles, voler serait impossible. Mettez-vous cela dans la tête, et soyez bien décidés à ne pas céder si vous remarquez le coup de griffe de la tentation qui s’insinue en présentant la pureté comme un fardeau insupportable. Courage ! Toujours plus haut, à la poursuite de l’Amour.

Alors je leur expliquais, d’une manière assurément peu académique, mais imagée, que nous devrions instituer un autre règne, l’hominien, le règne des humains : en effet la créature rationnelle possède cette intelligence admirable, étincelle de la Sagesse divine, qui lui permet de raisonner pour son propre compte et cette prodigieuse liberté, grâce à laquelle elle peut accepter ou rejeter telle ou telle chose à son gré.
Or dans ce règne des hommes, leur disais-je, fort d’une longue expérience acquise en tant que prêtre, le problème du sexe occupe la quatrième ou la cinquième place chez un être normalement constitué. D’abord il y a les aspirations de la vie spirituelle, celles qui sont spécifiques à chacun d’entre nous; puis viennent les nombreux problèmes qui intéressent l’homme ou la femme ordinaire : leur père, leur mère, leur foyer, leurs enfants. Plus tard, la profession; enfin en quatrième ou cinquième position on voit apparaître l’instinct sexuel.

Aussi, quand j’ai rencontré des gens qui faisaient de cette question le thème essentiel de leur conversation, de leurs préoccupations, j’en ai conclu qu’il s’agissait d’anormaux, de pauvres anormaux, peut-être de malades, et j’ajoutais, ce qui provoquait chez les jeunes auxquels je m’adressais rires et plaisanteries, que ces malheureux m’inspiraient la même pitié que celle que provoquerait en moi la vue d’un enfant difforme dont le tour de tête aurait dépassé un mètre. Ce sont des malheureux et, tout en priant à leur intention, nous sentons monter en nous à leur égard une compassion fraternelle, parce que nous désirons qu’ils guérissent de leur funeste maladie. Mais ils ne sont pas, bien entendu, plus hommes ou plus femmes que ceux qui n’ont pas l’obsession du sexe.
Nous traînons derrière nous les passions. Nous nous trouvons tous en lutte avec les mêmes difficultés, quel que soit notre âge. Aussi devons-nous lutter. Souvenez-vous de ce qu’écrivait saint Paul : datus est mihi stimulus carnis meae, angelus Satanae qui me colaphizet. Il m’a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan, chargé de me souffleter, afin que je ne m’enorgueillisse pas.

On ne peut mener une vie irréprochable sans le secours de Dieu, qui veut que nous soyons humbles et que nous demandions son aide. Tu dois prier la Sainte Vierge avec confiance, maintenant même, dans le secret de ton cœur, sans bruit de paroles : ma Mère, mon pauvre cœur se révolte bêtement… Si tu ne me protèges pas… Et elle t’assistera pour que tu le gardes pur et que tu suives la voie qui t’a été tracée par Dieu.
Mes enfants : humilité, humilité ! Apprenons à être humbles. Pour protéger l’Amour il faut être prudent, constamment aux aguets, et ne pas se laisser dominer par la peur. Parmi les auteurs classiques de spiritualité, beaucoup comparent le démon à un chien enragé, retenu par une chaîne: si nous ne nous approchons pas, il ne nous mordra pas, même s’il aboie en permanence. Si vous laissez croître dans votre âme l’humilité, vous repousserez, à n’en pas douter, les occasions, et vous réagirez en ayant le courage de prendre la fuite; et vous ferez quotidiennement appel au secours du ciel pour progresser avec aisance le long de ce sentier d’Amour.

Soyez assurés que celui qui est corrompu par la concupiscence charnelle ne peut avancer spirituellement, qu’il est incapable de réaliser une bonne action; c’est un infirme qui, pareil à un torchon, est mis au rebut. Avez-vous déjà vu ces malades atteints d’une paralysie progressive, qui ne peuvent plus se débrouiller ni se mettre debout ? Parfois c’est à peine s’ils peuvent remuer la tête. Eh bien dans le domaine surnaturel, c’est ce qui arrive à ceux qui ne sont pas humbles et qui se sont lâchement abandonnés à la luxure. Ils ne voient ni n’entendent ni ne comprennent quoi que ce soit. Ils sont paralysés et comme fous. Chacun de nous doit invoquer le Seigneur, la Mère de Dieu, et leur demander de nous accorder l’humilité et la volonté de profiter avec piété du remède divin que représente la confession. Ne permettez pas qu’un foyer de pourriture se forme dans vos âmes, pour petit qu’il soit. Parlez. Quand l’eau coule, elle est propre; quand elle stagne, elle forme une mare remplie de saletés repoussantes et, d’eau potable qu’elle était, elle devient un bouillon de culture.
Que la chasteté soit possible et qu’elle constitue une source de joie, vous le savez comme moi; il est clair aussi qu’elle exige de nous de temps en temps un peu d’effort. Ecoutons saint Paul : Car je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres, malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? Crie encore davantage si cela t’est nécessaire, mais il ne faut pas exagérer : sufficit tibi gratia mea, ma grâce te suffit, nous répond Notre Seigneur.
J

‘ai parfois été frappé par l’éclat dont brillaient les yeux d’un sportif, face à l’obstacle qu’il devait franchir. Quelle victoire ! Voyez comme il surmonte ces difficultés ! C’est ainsi que Dieu, qui aime notre combat, nous voit: nous serons toujours vainqueurs, car Il ne nous refuse jamais sa grâce toute-puissante. Alors qu’importe qu’il y ait lutte puisqu’Il ne nous abandonne pas.
C’est un combat et non pas un renoncement; répondons par une affirmation joyeuse, par un engagement libre et joyeux. Ton attitude ne doit pas avoir pour seul et unique objectif d’éviter la chute ou de fuir l’occasion. Elle ne doit en aucune façon se limiter à un refus froid et calculé. Tu es convaincu que la chasteté est une vertu et que, en tant que telle, elle doit croître et se perfectionner ? Il ne suffit pas, j’insiste, d’être continent, chacun selon son état: nous devons vivre chastement, être vertueux jusqu’à l’héroïsme. Cette attitude s’accompagne d’un geste positif, qui nous fait accepter de bonne grâce la requête divine : praebe, fili mi, cor tuum mihi et oculi tui vias meas custodiant, mon fils, donne-moi ton cœur, et que tes yeux s’attachent à mes voies.
Ceci m’amène à te poser la question: comment affrontes-tu ce combat ? Tu sais que la lutte, pour peu que tu la mènes dès le début, est gagnée d’avance. Eloigne-toi immédiatement du danger, dès que tu ressentiras les premières brûlures de la passion, et même avant. En outre parle aussitôt à quelqu’un capable de te guider, et mieux encore avant, si c’est possible ; car si vous ouvrez votre cœur à deux battants, vous ne serez pas vaincus. Un geste, puis un autre font une habitude, un penchant, une facilité. Aussi est-il nécessaire de se battre pour obtenir l’habitude de la vertu, l’habitude de la mortification, pour ne pas repousser l’Amour par excellence.

Méditez ce conseil de saint Paul à Timothée : Te ipsum castum custodi afin d’être toujours aussi vigilants, bien décidés à préserver ce trésor que Dieu nous a confié. Au cours de ma vie, combien de gens n’ai-je pas entendu dire : “ Ah, si j’avais coupé court dès le début ! » Et ils disaient cela, remplis de peine et de honte.
Je dois vous rappeler que vous ne trouverez pas le bonheur hors de l’accomplissement de vos devoirs de chrétiens. Si vous veniez à les négliger, il en résulterait pour vous un terrible remords et vous seriez des malheureux. Même les choses les plus ordinaires, qui apportent un peu de bonheur et qui sont périsses, peuvent devenir alors amères comme le fiel, aigres comme le vinaigre, répugnantes comme un raclement de gorge.
Chacun de vous, et moi le premier, nous confions à Jésus : Seigneur, j’ai l’intention de lutter et je sais que Tu ne perds pas de batailles ; je comprends aussi que, si parfois je les perds, c’est parce que je me suis éloigné de Toi ! Prends-moi par la main et méfie-Toi de moi, ne me lâche pas !
Vous allez penser : Père, mais puisque je suis si heureux ! Puisque j’aime Jésus-Christ ! Puisque, tout en étant fait d’argile, je désire parvenir à la sainteté avec l’aide de Dieu et de sa Très Sainte Mère ! Je n’en disconviens pas. Je t’exhorte ainsi uniquement pour le cas où une difficulté viendrait à se présenter.

En même temps, il me faut répéter que la vie du chrétien, la tienne et la mienne, est faite d’amour. Notre cœur a été fait pour aimer et, quand on ne lui donne pas une affection pure, limpide et noble, il se venge et se remplit de misère. Le véritable amour de Dieu, la pureté de la vie, par conséquent, est aussi éloigné de la sensualité que de l’insensibilité, d’un quelconque sentimentalisme que de l’absence ou de la dureté de cœur.
Il est affligeant de ne pas avoir de cœur, et ceux qui n’ont jamais appris à aimer avec tendresse sont des malheureux. Nous, les chrétiens, nous sommes épris de l’Amour: le Seigneur ne nous veut pas secs, raides, semblables à une matière morte. Il nous veut tout imprégnés de sa tendresse ! Celui qui renonce à un amour humain pour l’Amour de Dieu, ne reste pas célibataire, comme ces gens tristes, infortunés et abattus, qui ont méprisé l’élan d’un amour rempli de pureté.
Mon intimité avec le Seigneur a été alimentée, comme je vous l’ai expliqué maintes fois — et je n’ai pas crainte qu’on le sache — par le plaisir réel que j’éprouve aux chansons populaires, qui ont presque toujours l’amour pour thème. Le Seigneur nous a choisis, moi et certains d’entre vous, pour que nous Lui appartenions totalement et transposions sur le mode divin cet amour noble des refrains profanes. C’est ce que fait l’Esprit Saint dans le Cantique des Cantiques, et ce qu’ont fait aussi les grands mystiques de tous les temps.

Relisez ces vers de la sainte d’Avila :
Si vous voulez que je reste oisif
Je veux rester oisif par amour ;
Si vous me mandez travailler je veux mourir au travail.
Dites-moi où, quand et comment ?
Dites, mon doux amour, dites :
Qu’attendez-vous de moi ?
Ou bien aussi cette chanson de saint Jean de la Croix avec ce début merveilleux :
Un pastoureau solitaire avait du chagrin,
Privé de plaisir et de joie,
Il n’avait de pensée que pour sa pastourelle
Et son cœur était blessé d’amour.

L’amour humain, quand il est pur, m’inspire un immense respect, une indicible vénération. Comment ne pas apprécier l’affection sainte et noble de nos parents, à qui nous sommes en grande partie redevables de notre amitié avec Dieu ? Je bénis des deux mains cet amour-là, et quand on me demande pourquoi je dis des deux mains, je réponds aussitôt que c’est faute d’en avoir quatre.
Béni soit l’amour humain ! Mais le Seigneur m’a demandé davantage, et c’est ce qu’affirme la théologie catholique: se livrer pour l’amour du Royaume des cieux à Jésus seul et, pour l’amour de Jésus, à tous les hommes, est plus sublime encore que l’amour matrimonial, même si le mariage est un sacrement, sacramentum magnum.

Extraits du 1er livre posthume
“Amis de Dieu”
de saint José Maria