« Seuls 3 types de profils résistent au déferlement totalitaire » – Ariane Bilheran

En quoi notre société faisait-elle déjà l’expérience d’une forme de « dégénérescence » avant l’irruption de la crise sanitaire ? L’émergence du phénomène totalitaire est-elle le produit d’une société malade, qui a perdu ses repères ? Comment les peuples ont-ils été dépossédés de leur capacité à exercer leur esprit critique ? En quoi nous a-t-on supprimé le droit de mener une « vie héroïque » ?

Quelles sont les principales caractéristiques des personnes susceptibles de participer activement au phénomène totalitaire ? Quels sont les profils de celles qui sont, au contraire, en mesure de lui résister ? En quoi est-il important de faire un travail sur soi pour être capable de résister à l’embrigadement ? Le phénomène totalitaire n’agit-il pas comme un aiguillon qui exige que nous revoyions à la hausse l’échelle de nos valeurs et notre conception de la vie ? En quoi vivons-nous « le prolongement de notre fermeture de cœur » ? Pourquoi la charité est-elle « le remède au totalitarisme » ?

La peur est le mécanisme par lequel les gens perdent leur capacité à penser de façon rationnelle.

— Dr Mark McDonald

« Des hommes réduits à leur pure existence biologique ne sont plus des hommes. » Une masse, c’est un ensemble d’individus qui ont renoncé à leur esprit critique et qui se soumettent à leur pure existence biologique.

— Ariane Bilheran citant Giorgio Agamben, philosophe italien, dans son livre « Quand la maison brûle »

[Pour prendre] l’exemple de Saint François d’Assise [qui fut] canonisé comme l’un des plus grands saints de l’Eglise tout simplement parce qu’il n’est pas parti avec son masque et son gel hydroalcoolique, à se laver les mains 15.000 fois par jour ; il est parti à la rencontre des lépreux. Il est parti dans une dimension sacrificielle, au sens où ce qui était important était de faire prévaloir le lien humain sur la possible contamination. C’était plus important de témoigner de l’amour entre des êtres humains (on est vraiment à l’inverse de la haine du totalitaire) que de préserver sa petite personne. Et c’est de cela qu’on nous a privés […] cette possibilité que nous avons, à un moment donné, d’aller traverser les risques et les dangers parce que nous voulons témoigner de quelque chose qui est plus important, qui est l’amour entre êtres humains. C’est ça le droit à la vie héroïque, c’est la capacité, notre choix de pouvoir porter assistance à autrui au risque de notre vie.

— Ariane Bilheran dans la vidéo ci-dessous. Marqueur 17:38.

Citant encore le philosophe italien, Giorgio Agamben, en avril 2020 : « Sous un Pape qui s’appelle François, l’Eglise a oublié que François [d’Assise] a embrassé les lépreux […] elle a oublié que les martyrs enseignent la disposition au sacrifice de la vie plutôt que de la foi, et que renoncer à son prochain signifie renoncer à la foi. »

— Ariane Bilheran dans la vidéo ci-dessous. Marqueur 20:56. Lire Giorgio Agamben : « Un pays, une culture est en train d’imploser et personne ne semble s’en inquiéter »

Le phénomène totalitaire possède finalement une vertu, celle de mettre chaque être humain face à lui-même et de révéler sa nature profonde.

Depuis mars 2020, le monde entier a expérimenté que du jour au lendemain nous pouvions basculer dans un état d’exception qui nous confisque tous nos droits fondamentaux… Le  totalitarisme pose la question suivante : qu’est-ce qu’il te reste lorsque tu as tout perdu ? Qui es-tu quand tu as tout perdu ?

(…)

L’Occident vit aujourd’hui le miroir de son absence de charité. [Or] la charité [et la miséricorde] [sont les remèdes] au totalitarisme… Je pense que l’Occident retrouvera ça une fois que — et c’est en cours — le confort matériel de surface lui sera peu à peu supprimé… Ce qui nous fait grandir c’est ce don inconditionnel. Et je crois que c’est l’inverse de la peur…

(Cf. La Prophétie à Rome)

Ariane Bilheran est diplômée de l’École normale supérieure (Ulm), psychologue clinicienne, Docteur en psychopathologie et philosophe.

Spécialiste de la psychologie du pouvoir, elle a prononcé des conférences en France et à l’étranger sur les thèmes de la paranoïa, de l’emprise, du harcèlement, de la manipulation et de l’autorité.

Elle a également publié de nombreux ouvrages consacrés à la littérature, la poésie, la philosophie ou la psychologie.

Note de Pierre et les Loups : Comme le disait le philosophe Yann Carriere, « ce qui rend les gens immanipulables, c’est leur relation à Dieu. »

Ecouter la vidéo ci-dessous à partir de la 27è minute :

Giorgio Agamben : « Un pays, une culture est en train d’imploser et personne ne semble s’en inquiéter »

Source : phusis.ch

Depuis son Italie confinée, le philosophe Giorgio Agamben s’inquiète comme nous de la relation qu’entretiennent les démocraties libérales au coronavirus :

« Je pense que le lecteur qui se met à réfléchir aux points suivants ne peut faire autrement que reconnaître que le seuil qui sépare l’humanité de la barbarie a été franchi. Et ce sans qu’on s’en soit rendu compte ou en faisant comme si de rien n’était. »

Il aborde les questions suivantes :

  • L’effondrement éthique et politique des pays occidentaux
  • Le rapport inhumain aux malades et aux corps des morts
  • La privation de liberté
  • La séparation de l’unité corps-esprit en corps biologique et vie affective et culturelle
  • Le « social distancing » comme nouveau principe de la société
  • Les manquements de l’Eglise, qui renie ses principes essentiels
  • Les manquements des juristes, qui ne veillent pas au respect de la constitution

Ci-dessous la traduction de son commentaire publié mercredi 15 avril dans la NZZ.

***

À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira.

Mt 24: 12

Qu’est-ce qui se joue devant nos yeux dans les pays qui se prétendent civilisés ?

Je voudrais partager avec ceux qui en ont envie une question à laquelle je pense inlassablement depuis un mois. Comment a-t-il été possible que tout un pays s’effondre éthiquement et politiquement face à une maladie sans qu’on s’en rende compte ?

Les mots que j’utilise pour formuler cette question, je les ai minutieusement choisis. La mesure du rejet de ces principes éthiques et politiques est en fait très facile à trouver. La question est de savoir : jusqu’à quelle limite est-on prêt à renoncer à ces principes de base ?

Je pense que le lecteur qui se met à réfléchir aux points suivants ne peut faire autrement que reconnaître que le seuil qui sépare l’humanité de la barbarie a été franchi. Et ce sans qu’on s’en soit rendu compte ou en faisant comme si de rien n’était.

Trois points

1) Le premier point, peut-être le plus grave, concerne le corps des personnes. Comment peut-on, au nom d’un risque qu’on est incapable de déterminer de plus près, accepter que nos êtres chers et d’une manière générale tous les êtres doivent la plupart du temps non seulement mourir seuls, mais encore que leur corps soit brûlé, sans enterrement ? C’est là du jamais vu depuis le mythe grec de la fille de roi qu’est Antigone.

2) Nous avons accepté sans hésitation, toujours au nom d’un risque difficile à déterminer, que notre liberté de mouvement soit plus restreinte que jamais dans notre pays, pas même pendant les deux guerres mondiales (le couvre-feu n’était alors valable que pendant certaines heures). Ainsi, au nom d’un risque difficile à déterminer, nous avons accepté de mettre un terme à nos relations d’amitié et d’amour parce que notre prochain est devenu une possible source d’infection.

3) Ceci a pu arriver – et nous touchons à la racine du phénomène –, parce que nous avons séparé en deux parties l’unité de notre expérience de vie, qui est toujours en même temps corporelle et spirituelle, en une unité purement biologique d’une part, et une vie affective et culturelle de l’autre. Le philosophe et théologien Ivan Illich a montré quelle est la responsabilité de la médecine moderne dans cette séparation. Elle semble aller de soi mais est en réalité la plus grande de toutes les abstractions. Je sais que cette abstraction a été atteinte par la science moderne par des appareils de réanimation capables de conserver un corps en état de vie végétative.

Il n’y a pas de retour

Mais si cet état – cette condition – s’étend au-delà de ses limites spatiales et temporelles, comme on essaie de le faire aujourd’hui, et s’il devient une sorte de principe du comportement social, on entre dans des contradictions sans issue. Je sais que certains vont répondre sans délai que l’état actuel est limité dans le temps, que tout va redevenir comme avant. C’est un fait unique qu’on ne cesse de répéter faute de meilleure connaissance.

Car les mêmes autorités qui ont déclaré l’état d’urgence nous rappellent constamment que les mêmes instructions sont aussi à suivre après la fin de l’état d’urgence et que le social distancing – comme on l’appelle dans un euphémisme significatif – représente le nouveau principe d’organisation de la société. Et que ce qu’on a accepté d’endurer – de bonne foi ou faute de meilleure connaissance – est sans retour en arrière.

Quid de l’Eglise ?

Comme j’ai rappelé la responsabilité de nous tous, impossible de ne pas mentionner ici la responsabilité pire encore de ceux qui auraient eu pour tâche de veiller à la dignité de l’homme. Avant tout l’Eglise qui – s’étant faite la servante de la science, entre temps devenue la nouvelle religion de notre temps – renie radicalement ses principes essentiels.

Sous un Pape qui s’appelle François, l’Eglise a oublié que François [d’Assise] a embrassé les lépreux. Elle a oublié qu’une des œuvres de miséricorde consiste en la visite aux malades. Elle a oublié que les martyrs enseignent la disposition au sacrifice de la vie plutôt que de la foi, et que renoncer à son prochain signifie renoncer à la foi.Lire la suite sur phusis.ch

Source : « Seuls 3 types de profils résistent au déferlement totalitaire » – Ariane Bilheran – Pierre et les Loups (pierre-et-les-loups.net)

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