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Millénarisme, ce qu’il est et ce qu’il n’est pas – 03/05/2013
Je veux conclure mes réflexions sur « l’ère de la paix » sur la base de ma lettre au pape François dans l’espoir qu’elle profitera au moins à certains qui craignent de tomber dans l’hérésie du millénarisme.
Artiste inconnu
3 mai 2013
Le Catéchisme de l’Église catholique déclare :
La tromperie de l’Antéchrist commence déjà à prendre forme dans le monde chaque fois que l’on prétend réaliser dans l’histoire cette espérance messianique qui ne peut être réalisée au-delà de l’histoire que par le jugement eschatologique. L’Église a rejeté même les formes modifiées de cette falsification du royaume pour venir sous le nom de millénarisme,(577) en particulier la forme politique « intrinsèquement perverse » d’un messianisme séculier. (578) —n. 676
J’ai délibérément laissé dans les notes de bas de page les références ci-dessus parce qu’elles sont cruciales pour nous aider à comprendre ce que l’on entend par « millénarisme », et deuxièmement, « messianisme séculier » dans le Catéchisme.
QU’EST-CE QUE C’EST…
La note de bas de page 577 est une référence aux travaux de Denzinger-Schonnmetzer (Enchiridion Symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et morum). Le travail de Denzinger retrace le développement de la doctrine et du dogme dans l’Église catholique depuis ses premiers temps, et est évidemment considéré comme une source suffisamment crédible pour que le Catéchisme puisse le citer. La note de bas de page du « millénarisme » nous amène à l’ouvrage de Denzinger, qui déclare :
… le système du millénarisme atténué, qui enseigne, par exemple, que le Christ Seigneur avant le jugement dernier, précédé ou non par la résurrection de la multitude de justes, viendra visiblement régner sur ce monde. La réponse est : le système du millénarisme atténué ne peut pas être enseigné en toute sécurité. —DS 2269/3839, Décret du Saint-Office, 21 juillet 1944
Le millénarisme, écrit Leo J. Trese dans The Faith Explained, se rapporte à ceux qui prennent Apocalypse 20:6 littéralement.
Saint Jean, décrivant une vision prophétique (Ap 20, 1-6), dit que le diable sera lié et emprisonné pendant mille ans, au cours desquels les morts ressusciteront et régneront avec le Christ; à la fin des mille ans, le diable sera libéré et finalement vaincu pour toujours, puis viendra la seconde résurrection… Ceux qui prennent ce passage littéralement et croient que Jésus viendra régner sur la terre pendant mille ans avant la fin du monde sont appelés millénaristes. —p. 153-154, Sinag-Tala Publishers, Inc. (avec le Nihil Obstat et l’Imprimatur)
Le célèbre théologien catholique, le cardinal Jean Daniélou, explique également que :
Le millénarisme, la croyance qu’il y aura un règne terrestre du Messie avant la fin des temps, est la doctrine judéo-chrétienne qui a suscité et continue de susciter plus de discussions que toute autre. —A History of Early Christian Doctrine, p. 377 (cité dans The Splendor of Creation, p. 198-199, Révérend Joseph Iannuzzi)
Il ajoute : « La raison en est, cependant, probablement un manque de distinction entre les divers éléments de la doctrine », ce que nous faisons ici.
Donc, en résumé, le millénarisme dans sa forme fondamentale était la croyance que Jésus reviendrait dans la chair sur terre et régnerait littéralement mille ans avant la fin des temps, une erreur initiée principalement par les premiers convertis juifs. De cette hérésie sont sorties plusieurs ramifications telles que les « millénaristes charnels » que saint Augustin identifiait comme ceux qui croient que…
… Ceux qui se relèveront alors jouiront du loisir de banquets charnels immodérés, pourvus d’une quantité de viande et de boisson telle non seulement choquer le sentiment des tempérés, mais même dépasser la mesure de la crédulité. Ceux qui les croient sont appelés par les chilistestes spirituels, que nous pouvons reproduire sous le nom de millénaristes…» (extrait de De Civitate Dei, Livre 10, Ch. 7
De cette forme de millénarisme sont venues les ramifications du millénarisme modifié, atténué et spirituel sous diverses sectes où les indulgences charnelles étaient exclues et pourtant une certaine forme de Christ revenant sur terre pour régner et établir un royaume définitif était encore maintenue. Sous toutes ces formes, l’Église a explicitement défini, une fois pour toutes, que ce « système de millénarisme atténué ne peut être enseigné en toute sécurité ». Le retour de Jésus dans la gloire et l’établissement définitif du Royaume ne se produiront qu’à la fin des temps.
Au Jour du Jugement, à la fin du monde, le Christ viendra dans la gloire pour réaliser le triomphe définitif du bien sur le mal qui, comme le blé et l’ivraie, ont grandi ensemble au cours de l’histoire. —Catéchisme de l’Église catholique, n. 681
La note de bas de page 578 nous amène au document Divini Redemptoris, l’encyclique du pape Pie XI contre le communisme athée. Alors que les millénaristes tenaient à une certaine forme de royaume terrestre-spirituel utopique, les messianistes laïques s’accrochent à un royaume politique utopique.
Le communisme d’aujourd’hui, avec plus d’emphase que des mouvements similaires dans le passé, cache en lui-même une fausse idée messianique. —PAPE PIE XI, Divini Redemptoris, n. 8, www.vatican.va
… CE QUE CE N’EST PAS
Saint Augustin a précisé que, sans les croyances des Chiliastes attachées au millénaire, une période de paix ou de « repos du sabbat » est en effet une interprétation valide d’Apocalypse 20. C’est ce que les Pères de l’Église ont enseigné et qui a été confirmé à nouveau par la Commission théologique de l’Église en 1952. [1]
… comme s’il convenait que les saints jouissent ainsi d’une sorte de repos du sabbat pendant cette période [de mille ans], un loisir sacré après les travaux de six mille ans depuis la création de l’homme… [et] il devrait s’ensuivre l’achèvement de six mille ans, à partir de six jours, une sorte de Sabbat du septième jour dans les mille prochaines années… Et cette opinion ne serait pas répréhensible, si l’on croyait que les joies des saints, en ce sabbat, seront spirituelles et consécutives à la présence de Dieu… —Saint Augustin d’Hippone (354-430 apr. J.-C.; Church Doctor), De Civitate Dei, Bk. XX, Ch. 7, Catholic University of America Presss
Un tel événement n’est pas exclu, n’est pas impossible, il n’est pas certain qu’il n’y aura pas une longue période de christianisme triomphant avant la fin… Si, avant cette fin finale, il doit y avoir une période, plus ou moins prolongée, de sainteté triomphante, un tel résultat ne sera pas obtenu par l’apparition de la personne du Christ en majesté, mais par l’action des pouvoirs de sanctification qui sont actuellement à l’œuvre, le Saint-Esprit et les sacrements de l’Église. —The Teaching of the Catholic Church: A Summary of Catholic Doctrine, London Burns Oates & Washbourne, p. 1140, de la Commission théologique de 1952, qui est un document magistral.
Apocalypse 20 ne doit donc pas être interprété comme un retour littéral de Christ dans la chair pour mille ans littéraux.
… Le millénarisme est cette pensée qui découle d’une interprétation trop littérale, incorrecte et erronée du chapitre 20 de l’Apocalypse. Cela ne peut être compris que dans un sens spirituel. —Catholic Encyclopedia Revised, Thomas Nelson, p. 387
C’est précisément cette définition d’une « ère de paix » que l’Église n’a condamnée nulle part dans aucun document, et en fait, a affirmé qu’il s’agit d’une certaine possibilité.
Oui, un miracle a été promis à Fatima, le plus grand miracle de l’histoire du monde, juste derrière la Résurrection. Et ce miracle sera une ère de paix qui n’a jamais vraiment été accordée auparavant au monde.. —Mario Luigi Cardinal Ciappi, 9 octobre 1994; il a également donné son sceau d’approbation dans une lettre séparée reconnaissant officiellement le Catéchisme familial « comme une source sûre pour la doctrine catholique authentique » (9 septembre 1993) ; p. 35
Pensez à l’hérésie du millénarisme comme un olivier et du millénarisme atténué ou modifié comme un olivier élagué. « L’ère de la paix » est en fait un arbre différent. Le problème est que ces arbres ont grandi côte à côte à travers les siècles, et une théologie médiocre, une mauvaise érudition et des hypothèses erronées [2] ont supposé que les branches qui passent d’un arbre à l’autre sont en fait le même arbre. Le point de croisement n’a qu’une chose en commun : Apocalypse 20:6. Sinon, ce sont des arbres complètement différents autant que l’interprétation protestante de l’Eucharistie est différente de la tradition catholique.
Ainsi, c’est dans ce sens spirituel que l’on peut comprendre les citations papales que j’ai utilisées dans des écrits précédents, qui se réfèrent explicitement à l’espoir et à l’attente d’une période de paix et de justice dans le domaine temporel (voir Et si…?). C’est le règne du Royaume de Dieu dans l’Église qui s’étend sur le monde entier, suivant la puissance de l’Esprit Saint et des sacrements.
L’Église catholique, qui est le royaume du Christ sur la terre, [est] destinée à se répandre parmi tous les hommes et toutes les nations… —PAPE PIE XI, Quas Primas, Encyclique, n. 12, 11 décembre 1925 ; cf. Matthieu 24:14
LA POSITION DU MAGISTÈRE
Comme mentionné, la Commission théologique de 1952 qui a produit Les enseignements de l’Église catholique: un résumé de la doctrine catholique a affirmé qu’une ère de paix « n’est pas impossible, il n’est pas certain qu’il n’y aura pas une période prolongée de christianisme triomphant avant la fin ».
Cette position ouverte a été confirmée plus tard par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Padre Martino Penasa s’est entretenu avec Mgr S. Garofalo (consultant auprès de la Congrégation pour la cause des saints) sur le fondement scripturaire d’une ère historique et universelle de paix, par opposition au millénarisme. Mgr a suggéré que la question soit posée directement à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le P. Martino a donc posé la question : « È imminente una nuova era di vita cristiana ? » (« Une nouvelle ère de vie chrétienne est-elle imminente ? »). Le préfet de l’époque, le cardinal Joseph Ratzinger, a répondu : « La questione è ancora aperta alla libera discussione, giacchè la Santa Sede non si è ancora pronunciata in modo definitivo » :
La question est encore ouverte à la libre discussion, car le Saint-Siège n’a pas fait de déclaration définitive à cet égard. —Il Segno del Soprannauturale, Udine, Italia, n. 30, p. 10, Ott. 1990; Le P. Martino Penasa a présenté cette question d’un « règne millénaire » au Cardinal Ratzinger
NOTE DE BAS DE PAGE : COMBIEN DE TEMPS?
Les gens ont demandé si l’ère de paix « mille ans » est un millier d’années littérale ou non. Les Pères de l’Église ont été clairs à ce sujet :
Maintenant… Nous comprenons qu’une période de mille ans est indiquée en langage symbolique. —Saint Justin martyr, Dialogue avec Trypho, ch. 81, Les Pères de l’Église, Héritage chrétien
Le cardinal Jean Daniélou, expliquant les références bibliques d’une ère de paix, a déclaré :
Elle implique une période de temps dont la durée est inconnue des hommes… L’affirmation essentielle est celle d’une étape intermédiaire dans laquelle les saints ressuscités sont encore sur la terre et ne sont pas encore entrés dans leur phase finale, car c’est l’un des aspects du mystère des derniers jours qui n’a pas encore été révélé.—A History of Early Christian Doctrine, p. 377-378 (cité dans The Splendor of Creation, p. 198-199, Révérend Joseph Iannuzzi
Saint Thomas d’Aquin a expliqué :
Comme le dit Augustin, le dernier âge du monde correspond à la dernière étape de la vie d’un homme, qui ne dure pas un nombre fixe d’années comme les autres étapes, mais dure parfois aussi longtemps que les autres ensemble, et même plus longtemps. C’est pourquoi le dernier âge du monde ne peut pas se voir attribuer un nombre fixe d’années ou de générations. —Saint Thomas d’Aquin, Quaestiones Disputate, vol. II De Potentia, Q. 5, n.5 ; www.dhspriory.org
Ainsi, les « mille ans » doivent être compris symboliquement. Ce qui est certain, c’est que la « période de paix » prophétisée par Notre-Dame, le « nouvel âge » dont parle le pape Benoît XVI et le « troisième millénaire » d’unité anticipé par Jean-Paul II ne doivent pas être compris comme une sorte d’utopie sur terre où le péché et la mort sont vaincus à jamais (ou que le Christ règne sur la terre dans sa chair ressuscitée !). Au contraire, ils doivent être compris comme l’accomplissement de la mission de Notre Seigneur d’apporter l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre. [3] et la préparation de l’Église à le recevoir dans la gloire. [4] Les mystiques approuvés par l’ecclésiastique du 20ème siècle nous disent que ce sera une période de sainteté sans précédent dans l’Église et un triomphe de la miséricorde de Dieu dans le monde:
… les efforts de Satan et des hommes méchants sont brisés et n’aboutissent à rien. Malgré la colère de Satan, la Miséricorde Divine triomphera du monde entier et sera adorée par toutes les âmes. —Miséricorde divine dans mon âme, Journal de sainte Faustine, n. 1789
Cette dévotion était le dernier effort de son amour qu’il accorderait aux hommes de ces derniers âges, afin de les retirer de l’empire de Satan qu’il désirait détruire, et de les introduire ainsi dans la douce liberté du règne de son amour, qu’il voulait restaurer dans le cœur de tous ceux qui devaient embrasser cette dévotion. —Sainte Marguerite-Marie, www.sacredheartdevotion.com